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Programme Paerpa, les leçons de l’expérimentation

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Ce dispositif, qui vise à organiser le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie, permet de créer des liens entre les soignants libéraux et les acteurs du domicile. Néanmoins, dans un secteur encombré d’outils de coordination, bien des étapes restent à franchir avant une généralisation.

En dépit du nombre d’initiatives lancées depuis deux décennies pour coordonner la prise en charge à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie, les résultats ne sont guère probants. Les personnes de plus de 75 ans représentent toujours 43 % des hospitalisations dites « évitables » (qui n’auraient pas eu lieu si une alerte avait été tirée en amont), et l’entrée à l’hôpital continue de se faire par les urgences pour plus de 40 % d’entre elles (24 % pour le reste de la population). Devant les surcoûts exorbitants induits par ces situations en période de disette budgétaire, les pouvoirs publics ne pouvaient rester insensibles.

En 2013, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, reprend un rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie(1) qui appelle à tester, sur quelques territoires, des « prototypes d’organisations nouvelles » conçues autour du parcours de l’usager. Et donne le feu vert à l’expérimentation d’un programme de « parcours pour les personnes âgées en risque de perte d’autonomie » (Paerpa).

Piloté par la direction de la sécurité sociale, en collaboration avec le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS), celui-ci vise à roder et à évaluer une organisation qui intègre les praticiens libéraux, les acteurs du sanitaire, du social et du médico-social dans une logique de prévention du risque de perte d’autonomie. Les acteurs doivent surveiller plusieurs facteurs afin d’éviter une hospitalisation de la personne âgée : la dépression, les problèmes liés aux médicaments, la dénutrition et les chutes. Une place centrale est donnée au médecin traitant qui, dès le repérage d’une situation de risque, élabore un « plan personnalisé de santé » qui s’appuie sur les professionnels de proximité (infirmiers, pharmaciens, paramédicaux) et, si besoin, sur les acteurs sociaux et médico-sociaux. Enfin, une « coordination territoriale d’appui » soutient les professionnels dans leur réponse aux besoins des personnes âgées et déploie des outils d’amélioration des pratiques.

Lancé sur neuf territoires pilotes, le programme vient d’être étendu afin de couvrir 16 territoires, soit au moins un Paerpa par région et une population potentielle de près de 550 000 personnes de 75 ans ou plus(2). Si l’évaluation, tant quantitative que qualitative, de ces dispositifs ne devrait être lancée qu’à la fin de 2018, une journée-bilan a été organisée le 20 janvier dernier par l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S) et l’École des hautes études en santé publique (EHESP)(3).

Coordination territoriale d’appui

Pour ce qui relève de la philosophie d’action, la démarche « incarne une forme de consensus sur l’idée que notre système de santé et notre système social, qui se sont construits par couches sédimentaires, ne pouvaient plus continuer à fonctionner ainsi », explique Jean-Philippe Vinquant, directeur général de la cohésion sociale (DGCS). Son premier effet est la remise à plat des relations entre les soignants et les acteurs de l’aide à domicile. « La logique de parcours de santé amène les professionnels du social et du médico-social à partager avec les soignants les mêmes impératifs de fluidité dans la prise en charge des patients âgés », observe-t-il. Toute rupture dans la chaîne des soins se répercute sur les services d’aide à la personne et se traduit par un surcroît de prestations compensatrices et, en conséquence, par un surcoût financier. Dans ce contexte, le secteur de l’aide à la personne doit sortir de sa dépendance vis-à-vis de l’organisation des soins, ajoute le directeur général de la cohésion sociale : « Soit de façon très précoce, par des logiques de prévention au domicile, soit en apportant des solutions en amont et en aval du sytème de santé, afin d’éviter des retours aux soins inappropriés et de se poser rapidement en relais des prestations sanitaires. »

Même analyse du côté des acteurs de terrain, pour qui le Paerpa apparaît d’abord comme une nouvelle façon de se structurer. Sur les sites pilotes, la création de la coordination territoriale d’appui n’a pas entraîné l’apparition de nouvelles structures : elle est venue compléter les systèmes de coordination et d’intégration existants. Dans le département du Nord, par exemple, la coordination territoriale d’appui du Paerpa du Valenciennois-Quercitain, créée en 2014, s’insère dans un site qui regroupe les équipes des CLIC (centres locaux d’information et de coordination), des réseaux de santé, et de la MAIA (méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie). Sur cette plateforme intégrée, le Paerpa apporte ses liens avec la médecine de ville et de prévention. Un numéro unique d’orientation est mis à la disposition des professionnels de santé libéraux, de 8 heures à 20 heures. Ceux-ci peuvent y trouver un soutien gériatrique dans le cadre de situations complexes, s’enquérir des disponibilités de places en accueil temporaire, faire appel à la gestion de cas de la MAIA, relayer des problématiques d’aide sociale qui seront ensuite traitées par les CLIC ou être aiguillées vers une offre d’éducation thérapeutique du patient.

Plans personnalises

« Ce numéro unique a été d’un grand recours pour faire participer le secteur libéral. Plus de 5 000 appels ont été reçus depuis la mi-2015 », se félicite Marguerite-Marie Defebvre, chef de projet Paerpa à l’agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France, qui copilote le dispositif avec le conseil départemental du Nord. La coordination territoriale d’appui complète son action par des missions d’assistance aux prises en charge (expertise gériatriques et psycho-gériatriques, adaptation du domicile) et par des rencontres avec les professionnels libéraux pour les initier à un travail partenarial. Plus de 550 plans personnalisés de santé ont ainsi été élaborés sur le territoire du Valenciennois, chacun impliquant plusieurs professionnels libéraux et débouchant sur des actions spécifiques définies par ces derniers. « 60 % des médecins traitants du territoire ont d’ores et déjà réalisé au moins un plan personnalisé de santé, voire, pour certains, plus de dix », se réjouit la représentante de l’ARS des Hauts-de-France.

Autre illustration de cette volonté de s’adapter aux forces en présence, les équipes des coordinations territoriales d’appui peuvent aller de deux ou trois agents jusqu’à des équipes pluridisciplinaires dépassant parfois la trentaine de professionnels. Plus l’exercice libéral individuel domine sur un territoire, plus la coordination territoriale d’appui a un rôle structurant et doit s’accompagner d’outils d’expertise et de communication. En sens inverse, la présence d’un nombre important de libéraux en exercice regroupé (maison de santé, pôle de santé, centre de santé) peut faciliter la mise en œuvre des missions de la coordination, les pilotes pouvant s’appuyer sur ces groupes pour mobiliser plus facilement les professionnels dans la démarche.

Fluidifier le lien

Sur le territoire Paerpa de la Mayenne, les professionnels de santé libéraux organisés en maisons de santé pluriprofessionnelles ont mis en place une solution d’organisation inédite. Aucune structure porteuse de la coordination territoriale d’appui n’a été désignée. « Ce sont les soignants libéraux et les professionnels du domicile qui portent la coordination », expose Pascal Gendry, coordonnateur du pôle santé du Sud-Ouest mayennais, qui regroupe une soixantaine d’intervenants libéraux. Dès le repérage d’une situation de fragilité à l’hôpital local, par le médecin traitant ou par un professionnel du domicile, un plan personnalisé de santé est élaboré, qui intègre les besoins d’accompagnement social et l’évaluation sanitaire. « Le médecin traitant possède un rôle central. En tant que responsable aux yeux de la famille, il a tout intérêt à ce que l’articulation des soins et des aides à domicile se passe bien, notamment à la sortie de l’hôpital », relève le coordonnateur. L’équipe est au diapason. Une infirmière gestionnaire de parcours a été recrutée à raison d’une journée par semaine pour fluidifier le lien entre les différents professionnels. La dynamique du Paerpa, notamment la circulation des informations et des outils d’expertise, repose sur deux postes, l’un de coordination administrative et l’autre de secrétariat, tous deux à temps partiel. Un minimalisme que Pascal Gendry explique par la nature même des maisons de santé « dont l’existence repose sur la conviction que la coordination est fondamentale dans la prise en charge des personnes ».

Interopérabilité des systèmes

Eliane Abraham, pilote de la coordination territoriale d’appui du Paerpa de la métropole du Grand Nancy, en Meurthe-et-Moselle, pointe quant à elle l’impact sur l’organisation du territoire. La démarche Paerpa, explique-t-elle, s’accompagne d’un travail de diagnostic territorial et de priorisation d’actions d’amélioration des pratiques. « Cela représente une vraie occasion de reconfigurer l’existant, en légitimant les acteurs et en identifiant les marges de progression sur le territoire. » Dans le Grand Nancy, l’installation de la coordination territoriale d’appui a été l’occasion de regrouper sur un même site l’ensemble des acteurs institutionnels impliqués dans le parcours des personnes âgées – CLIC, MAIA, réseau gérontologique, conseillères APA (allocation personnalisée d’autonomie). Portée par le CLIC et le réseau gérontologique, le Paerpa impulse une démarche permanente d’amélioration des pratiques. « Il y a eu des enquêtes, des audits, des visites sur sites, des séances d’analyse des pratiques en interne et avec les partenaires », détaille Eliane Abraham. Les liens ville-hôpital, hôpital-hébergement temporaire et domicile-EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), notamment, ont été peaufinés jusque dans les moindres détails. « Et nous continuons à rechercher les blocages dans les parcours pour tenter de les lever », assure-t-elle. Avec quelques résultats : d’après une estimation des médecins traitants du territoire, sur 1 200 patients âgés qui ont bénéficié d’un plan personnalisé de santé, 200 hospitalisations auraient été évitées.

A deux ans d’une éventuelle généralisation, l’avenir des Paerpa demeure toutefois tributaire de la réponse à un grand nombre de questions. Ils s’implantent en effet sur des terrains riches d’une multitude de dispositifs, avec un enchevêtrement d’intérêts et de priorités. Dans un tel contexte, comment assurer la circulation des informations nécessaires au suivi du parcours d’une personne ? CLIC, réseaux, MAIA, associations gestionnaires, hôpitaux, EHPAD, SSIAD (services de soins infirmiers à domicile), maisons de santé, libéraux en exercice isolé, tous possèdent des systèmes d’information sur mesure, dont aucun n’est vraiment interopérable. Si l’expérimentation autorise à titre dérogatoire l’échange de données de santé à caractère personnel par des personnels sociaux et médico-sociaux, via les messageries sécurisées de santé, des solutions plus universelles vont devoir être trouvées. L’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP), opérateur de l’Etat pour le numérique de santé, indique s’être saisie du problème. Son directeur, Michel Gagneux, annonce pour le second semestre 2017 un programme d’accompagnement des professionnels et des éditeurs de logiciels qui permettrait de se rapprocher, pas à pas, d’une interopérabilité des systèmes. Au menu : concertation entre éditeurs et professionnels, conduite du changement, intégration progressive des outils d’échange nécessaires à la dématérialisation des données et, enfin, édition d’un guide permettant aux acteurs de se repérer parmi les solutions existantes. « Nous travaillons dans l’idée que des systèmes d’information partagés permettront par exemple à des services sociaux d’accéder, dès l’entrée d’une personne à l’hôpital, aux informations sur les actions d’accompagnement déjà mises en place et qui les coordonne, ce qui permettra de mieux gérer la sortie », explique Michel Gagneux.

« Aller vers davantage d’intégration »

En outre, comment le programme va-t-il cohabiter avec les dispositifs qui continuent d’être lancés pour organiser des acteurs de terrain ? L’offre de service des coordinations territoriales d’appui des Paerpa fait en effet écho à celle des plateformes territoriales d’appui (PTA), qui visent les parcours complexes, ou des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui visent à organiser la réponse à un besoin de santé spécifique sur un territoire. Issues de la loi « santé » du 26 janvier 2016, ces dernières peuvent concerner aussi bien les personnes âgées, avec la même exigence de maintien à domicile et la même volonté d’appuyer l’action des professionnels libéraux, sociaux et médico-sociaux en leur fournissant un point de contact unique. Et la similitude ne s’arrête pas là : Paerpa, PTA et CPTS sont tous trois financés par l’ARS sur la même enveloppe des fonds d’intervention régionaux. Une situation incompréhensible pour les familles, quand ce n’est pas pour les professionnels. D’autant que de nombreux acteurs estiment que le modèle Paerpa, avec son plan personnalisé de santé et sa coordination territoriale d’appui, serait tout à fait valable pour le handicap, la petite enfance et les pathologies chroniques…

Cécile Courrèges, directrice de l’ARS Pays de la Loire, qui pilote le Paerpa de Mayenne, n’hésite pas à remettre en cause la cible des personnes âgées en risque de perte d’autonomie. « L’enjeu de demain est celui d’une approche qui dépasse l’âge. C’est à partir de là que le modèle deviendra pertinent », assure-t-elle, en indiquant n’avoir engagé son agence dans la démarche que « pour apprendre de façon générale à accompagner les parcours, quel que soit le public ». Selon elle, la multiplication des parcours lancés ces deux ou trois dernières années pour les besoins de populations très diverses (personnes âgées, maladies chroniques, maladies rares, insuffisance rénale chronique…) pourrait conduire à l’inverse de l’objectif recherché. « Nous sommes en train de recréer de nouveaux cloisonnements par populations spécifiques mises côte à côte. Il faut qu’un travail s’engage entre acteurs régionaux et nationaux pour aller vers davantage d’intégration, car c’est là le moteur de l’amélioration de la situation des personnes dont nous avons la responsabilité. »

Crédits durables

Pour que le modèle Paerpa puisse un jour servir d’étalon aux parcours de santé, il lui reste à trouver son modèle économique. Pour l’heure, celui-ci repose sur un financement associé à l’expérimentation. En cas de généralisation, la capacité des ARS d’absorber les dépenses associées atteindrait rapidement ses limites. La direction générale de l’offre de soins (DGOS), qui a accompagné le lancement des premières coordinations territoriales d’appui, se dit déjà confrontée à cette question, via des ARS à qui les acteurs du territoire demandent de dégager des crédits durables. « On sait accompagner la structuration des coordinations, mais pas éternellement les structures d’appui à la coordination », déplore Anne-Marie Armanteras-de Saxcé, directrice générale de la DGOS. Les deux années restantes avant le bilan de l’expérimentation ne seront pas de trop pour franchir les dernières étapes.

La Cour des comptes épingle l’imbroglio des coordinations

Le dernier rapport thématique de la Cour des comptes sur le maintien à domicile des personnes âgées(1) n’est pas tendre avec l’organisation du secteur. Face à la multitude des dispositifs sociaux, médico-sociaux et sanitaires, construits selon un « modèle en tuyaux d’orgue », les rapporteurs dénoncent le caractère inopérant des coordinations mises en place. « Chaque secteur de prise en charge a développé ses propres dispositifs de coordination. Dans la pratique, faute d’informations partagées, ces dispositifs peinent à coordonner efficacement l’action de l’ensemble des intervenants. »

La critique est aussi sévère sur les initiatives nationales qui ont vu le jour dans les années récentes pour mieux organiser les parcours des personnes âgées : les réseaux gérontologiques, créés en 1996, les maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (MAIA), développées par le plan national Alzheimer 2008-2012, et les parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (Paerpa), mis en place par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. S’ils visent tous à rapprocher les médecins libéraux des acteurs de l’autonomie et à promouvoir le parcours de soins des personnes âgées, « ils ont été développés sans aucune liaison et avec des modes de gouvernance et de financement différents », critique la Cour des comptes, qui dénonce « une situation particulièrement confuse pour les acteurs de terrain ».

Selon les rapporteurs, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé n’a fait que rajouter au tumulte en créant des « plateformes territoriales d’appui » chargées de mettre en œuvre des fonctions d’appui aux professionnels pour la coordination des parcours de santé complexes. « Ces dispositifs sont encore embryonnaires, mais il est possible de constater d’ores et déjà l’absence de référence aux autres entités de coordination mises en place (MAIA, coordination territoriale d’appui des Paerpa) […] et la focalisation de ces nouveaux réseaux sur des enjeux essentiellement sanitaires. »

Pour la Cour des comptes, le maintien en l’état de ces dispositifs concurrents ne se justifie pas. « Il serait plus pertinent de généraliser les outils qu’ils ont contribué à faire émerger, de définir à l’échelle nationale les modalités de la coordination entre les professionnels et de laisser les ARS identifier les équipes qui en seront chargées localement. » Pour cela, les rapporteurs recommandent de s’appuyer sur l’analyse des résultats des évaluations conduites sur les MAIA et les Paerpa, afin de mieux définir au niveau national les conditions opérationnelles de coordination entre les médecins et les autres acteurs de la prise en charge de la dépendance.

Notes

(1) « Assurance maladie et perte d’autonomie », contribution du HCAAM au débat sur la dépendance des personnes âgées, 23 juin 2011.

(2) Voir ASH n° 2951 du 11-03-16, p. 6.

(3) Elle s’intitulait « Parcours santé des aînés : les leviers de la réussite ».

(1) « Le maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie », rapport public thématique de la Cour des comptes, juillet 2016.

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