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Dans les Hauts-de-France, des professionnels, infirmiers psychiatriques et éducateurs spécialisés, interviennent pour soutenir des travailleurs sociaux de structures confrontées à des jeunes présentant des troubles comportementaux difficiles à gérer.

Samy(1) a 16 ans. Combien de familles d’accueil et d’établissements a-t-il déjà connus ? Face à cette question, il arbore une moue ignorante. Il y en a trop pour tous les énumérer. En cette fin de février, il dort encore dans un CPE (centre de placement éducatif), à Grande-Synthe (Nord). Dans trois jours, sa mesure de justice se termine et il pourra finaliser son intégration à l’IME (institut médico-éducatif) Louis-Christiaens de Gravelines (Nord), à quelques kilomètres de là, sur la côte d’Opale. « J’aime bien ici, car il y a l’équipe mobile. Ils me calment quand je m’énerve », glisse-t-il. Ses éclats de colère sont difficiles à gérer, sa réputation le précède et les institutions ont tendance à se défausser quand il s’agit de l’accueillir. C’est pourquoi, afin d’accompagner son arrivée à l’IME, l’équipe mobile du Littoral dédiée aux enfants et adolescents en situation complexe a été sollicitée.

Un autre regard sur les jeunes « incasables »

Car Samy, avec son épi rebelle qu’il a du mal à coiffer et son costume des grands jours sorti pour sa rencontre médiatisée avec ses petits frères et sœurs, est ce qu’on appelle une « patate chaude » ou un « incasable », dans l’argot des travailleurs sociaux. Pour régler ces cas délicats, quatre équipes mobiles ont été constituées à la suite d’un appel à projet de l’ARS (agence régionale de santé) des Hauts-de-France. Et ce jeudi matin, celle du Littoral résume sa mission lors de sa réunion hebdomadaire : fournir un soutien aux structures en rassurant leurs salariés et en portant un autre regard, plus distant, sur le jeune, afin de réussir à le stabiliser et de casser la spirale des renvois, qui sont autant de ruptures et d’échecs dans son parcours. « Nous intervenons de façon modeste en cherchant la solution, s’il y en a une, avec les équipes en place », précise Florence Soret, la chef de service, titulaire d’un master 2 en économie et gestion des organisations médico-sociales. Elle insiste : « Nous ne sommes pas des superhéros du social. »

Dotée d’un budget de 250 000 € financé par l’ARS, l’équipe mobile du Littoral(2) est née en octobre dernier du partenariat de quatre institutions réparties entre les départements du Nord et du Pas-de-Calais : pour le secteur médico-social, l’AFEJI (Association des Flandres pour l’éducation, la formation des jeunes et l’insertion sociale et professionnelle) et l’association Cazin-Perrochaud ; pour le domaine psychiatrique, l’EPSM (établissement public de santé mentale) des Flandres et l’institut départemental Albert-Calmette. D’où une structure légère, de facto pluridisciplinaire, pour laquelle sont mis à disposition des salariés des quatre organisations fondatrices. Elle couvre un territoire étiré sur 125 kilomètres de long, entre Dunkerque et Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais). Pour des raisons de proximité géographique, l’équipe se répartit entre deux bureaux, l’un à Gravelines et l’autre à Berck-sur-Mer. Sur le versant nord, deux professionnels – Romain Delannoy, infirmier, et Thierry Devos, éducateur spécialisé – ont été détachés de l’espace « adolescents » de l’EPSM des Flandres, à Dunkerque, remplissant à eux deux un mi-temps. Educateur spécialisé à l’AFEJI, auparavant en MECS (maison d’enfants à caractère social), Nicolas Everaert est désormais avec eux à temps plein. Et sur le versant sud, dans le Pas-de-Calais, Gaëlle Antoine, éducatrice spécialisée à l’association Cazin-Perrochaud, assure un temps plein, tandis que Clémentine Warczynski, infirmière venue de l’institut départemental Albert-Calmette, est à mi-temps.

Une équipe riche de cultures différentes

Sur le papier, cette organisation paraît complexe. Elle se vit de façon relativement simple, grâce à Florence Soret, salariée de l’AFEJI, qui assure le lien. « Il faut comprendre que ces cultures différentes font la richesse de l’équipe, son ouverture d’esprit. Il y a une volonté de partenariat, souligne-t-elle. Toutes les décisions doivent être validées par les quatre structures : nous avons pris du temps pour mettre en place les choses. » Tous les documents ont été formalisés, de la fiche d’admission au cahier de liaison. Entre les professionnels, les différences d’approche sont source d’échanges, pour une prise en charge globale, donc plus fine. Un coup d’œil à la liste des médicaments suffit aux infirmiers psychiatriques pour expliquer des états de fatigue ou un manque de concentration. Les éducateurs, de leur côté, sont vigilants sur l’acquisition de l’autonomie. « La clé de la réussite est la transversalité entre le médical et le social, remarque Gaëlle Antoine. Il faut que nous apprenions à travailler ensemble, car nous touchons les mêmes publics. » Seul regret, de la part de Romain Delannoy : avec son quart-temps, il a « un peu le sentiment de survoler les choses ».

L’équipe mobile ne se saisit d’un cas que lorsqu’un appel à l’aide est émis. « L’idéal, c’est quand l’équipe présente dans la structure adhère à la perspective de notre venue et assume le fait d’être en difficulté », précise Nicolas Everaert. Mais l’alerte peut provenir d’autres sources : les supérieurs hiérarchiques ou les référents. Cela s’est produit récemment sur le versant sud : une éducatrice spécialisée et une psychologue, qui suivent un enfant trisomique avec des traits autistiques âgé de 3 ans et demi placé dans une famille d’accueil, ont demandé le soutien de l’équipe mobile car elles sentaient que l’assistante maternelle était fatiguée et avait besoin d’un temps de répit. « Elles nous ont appelés pour éviter la rupture », raconte Clémentine Warczynski.

Les critères sont précis : le jeune doit bénéficier d’une reconnaissance MDPH (maison départementale des personnes handicapées) et avoir entre 3 et 20 ans. Il faut aussi qu’il soit inscrit dans une structure d’accueil. « Nous nous déplaçons alors pour échanger avec les professionnels, détaille Florence Soret. Ce sont souvent des enfants qui sont dans le passage à l’acte et posent problème à l’institution, avec des profils abandonniques importants. Ils testent le lien, le cadre, et s’engouffrent dans les failles. » Il suffit d’une période de grippe avec des salariés fatigués et des collègues absents, ou encore de week-ends où il faut gérer des groupes d’enfants plus importants, et c’est le clash.

Après ce premier contact, la structure formalise sa demande en remplissant une fiche de renseignements. Le premier jeudi de chaque mois, une commission d’admission donne son avis sur la pertinence de l’intervention. Si elle est acceptée, une convention est signée, qui précise la durée de la prise en charge. S’ensuivent deux semaines d’observation. Puis un temps de réflexion réunit tous les acteurs, les salariés de la structure, l’équipe mobile et le jeune afin de rédiger le projet d’accompagnement individualisé renforcé, où sont posés des objectifs clairs. Ce seront les critères sur lesquels s’appuiera l’évaluation qualitative finale de la mission. « Même si nous n’avons pas de recette miracle ni d’obligation de résultat », précise Florence Soret. Dégagée du poids du quotidien, l’équipe mobile, tout en comprenant les travailleurs sociaux, essaie de mettre en valeur les compétences du jeune, souvent masquées par les symptômes de son mal-être.

Rassurer des salariés parfois dans le rejet

En ce mois de février, quatre suivis sont actifs, dont celui de Samy. Le directeur de l’IME Louis-Christiaens, que le jeune doit intégrer, est aussi celui de l’équipe mobile, ce qui a facilité la prise en charge. Titulaire d’un Cafdes (certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale), Messaoud Djaïz se souvient : « Le 22 août 2016, lors d’un groupe technique d’appui avec la MDPH et l’ARS, a été évoquée la nécessité de construire un parcours pour ce jeune homme. Il avait été placé par défaut dans un CPE après avoir été renvoyé d’un IME et d’une famille d’accueil. » Certes, des atteintes à la loi avaient été commises, mais cela a été un biais pour trouver une solution. « Un jeune qui pose des problèmes comportementaux suscite de la peur et du rejet, explique Joël Wilquin, psychiatre rattaché à l’équipe mobile. Les structures se disent alors qu’il serait mieux ailleurs, sans que l’on sache très bien ce qu’est cet ailleurs. » Pour le directeur de l’IME, Samy n’était clairement pas à sa place dans un établissement d’alternative à la détention : ses droits – tels que l’autorisation de voir sa fratrie – n’y étaient pas toujours mis en œuvre et son handicap cognitif pouvait être stigmatisant dans un groupe d’adolescents remuants. « Nous avons fait alors le pari d’une prise en charge chez nous, avec l’appui de l’équipe mobile, précise Messaoud Djaïz, issu de la prévention spécialisée et récemment entré en fonction. Il fallait rassurer l’équipe, car les rumeurs le décrivaient comme un jeune difficile et dangereux, alors qu’il n’était pas encore arrivé. Or ce préjugé pouvait conditionner la qualité de l’accueil et le comportement du jeune. A force de le voir comme violent, il pouvait le devenir. » L’intégration a été progressive : participation à des ateliers, à la fête de Noël, puis test à l’internat. « Tout s’est bien passé, remarque le directeur. Il y a eu des incidents, mais pas plus qu’avec un autre, et qui n’ont pas fait l’objet d’un droit de retrait ou d’une alerte. »

Faire le lien entre les structures

Sur le versant sud, Gaëlle Antoine et Clémentine Warczynski se rappellent de difficultés semblables pour des adolescents étiquetés d’office. Par exemple, pour Julien, 16 ans, déficient mental léger avec des troubles du comportement, qui a connu une enfance difficile avec un beau-père qui le rejetait. Sa réputation est telle que sa semaine est actuellement fragmentée entre cinq institutions différentes, personne n’ayant vraiment envie de l’avoir à temps plein. Il est hébergé en MECS, ce qui ne lui convient pas vraiment, car son handicap le fragilise. « Il a besoin de se retrouver avec des enfants qui lui ressemblent », indique Gaëlle Antoine. Dans un tel cas, l’équipe mobile se révèle précieuse car elle fait le lien entre les structures et constitue pour le jeune homme un repère stable. « Il ne voulait pas aller en classe, par exemple, souligne encore Gaëlle. J’ai utilisé ce temps pour me balader avec lui, parler de ce qui avait été ou pas. Maintenant, il commence l’école. » Désormais, Julien respecte globalement le cadre et, avec le recul, les travailleurs sociaux qui l’accompagnent au sein des structures ne comprennent pas ce qu’on a pu leur dire de lui. « L’avantage de l’équipe mobile est qu’elle est petite et réactive », observe Judicaël Lagache, assistant social à l’ITEP (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) L’Escale, où est situé le bureau de Gaëlle Antoine et de Clémentine Warczynski. Il leur a ouvert son carnet d’adresses afin qu’elles consolident leur réseau et se fassent connaître. « Elles vont plus vite que nous. En effet, les structures ont des procédures à respecter », complète-t-il.

Professeure de sport diplômée et faisant fonction d’éducatrice sportive au sein de l’IME Louis-Christiaens, Annick Verscheure se félicite, elle aussi, de la présence de l’équipe mobile : « Elle est sécurisante. Un jeune comme Samy, quand il disjoncte, peut ne plus être dans la réalité. Si vous êtes seul et qu’il monopolise votre attention, le reste du groupe peut se retrouver en danger. » Un risque qu’il ne faut pas sous-estimer lors des sorties, où une blessure peut vite arriver. Educateur spécialisé, Nicolas Everaert repère tout de suite l’angoisse qui monte chez Samy : trop de monde, le jeune homme sort de la piste. Il sollicite les adultes pour des broutilles. La disponibilité du travailleur social le rassure. Nicolas Everaert décrypte : « Il a une estime de soi encore fragile et a du mal avec le regard des autres. » Ce renfort, au plus près du jeune, n’est possible en IME qu’avec l’apport de l’équipe mobile. « Nous avons cette chance de faire de l’individuel, par exemple en accompagnant le jeune sur le chemin de la médiathèque, pour une préparation à l’autonomie. C’est un vrai luxe », reconnaît l’éducateur spécialisé.

« Nous faisons office d’interface entre les différents interlocuteurs et limitons les failles liées au manque de communication qui peuvent exister », résume Romain Delannoy. Comme dans le cas de ce garçon de 10 ans trop turbulent pour suivre à l’école primaire les cours de sport qui, pourtant, pourraient lui faire du bien car il exprime le besoin de se dépenser. En plus de son soutien à la famille d’accueil, l’équipe mobile intervient donc aux côtés de l’instituteur pour que l’enfant puisse lui aussi profiter de ces activités. « Il y avait eu beaucoup de promesses non tenues, mais l’instituteur est désormais rassuré », raconte l’infirmier psychiatrique. Cet exemple est pour lui emblématique du double rôle de l’équipe mobile : faire en sorte que l’enfant se sente accueilli et que les intervenants soient en confiance. « Nous formons un rouage essentiel », estime-t-il. Et un élément novateur : « A ma connaissance, c’est la première fois qu’un éducateur spécialisé et un infirmier psychiatre interviennent ensemble dans une classe », sourit-il.

Réfléchir au désengagement

La difficulté avec ce dispositif encore jeune (les premiers accompagnements ont commencé fin novembre dernier) consiste à travailler le désengagement, car l’équipe mobile n’a pas vocation à rester. Pour Samy, la convention de sept semaines d’intervention a été prolongée pour la même durée, afin d’alléger progressivement sa prise en charge. C’est le maximum qu’assure l’équipe mobile. Il ne s’agit pas, en effet, de se substituer aux collègues qui accompagnent déjà l’usager, ni de créer le besoin d’un poste supplémentaire. « Nous continuons seulement si nous sentons que nous pouvons encore apporter à la situation », précise Florence Soret, la chef de service. « Le risque majeur serait que, finalement, l’accueil de Samy ne soit pas possible sans le soutien de Nicolas Everaert, confirme Messaoud Djaïz. Cela voudrait dire que l’équipe mobile n’a plus de sens. »

Gérer le départ… Une question qui revient pour chaque accompagnement. L’équipe mobile n’existe pas depuis assez longtemps, et n’a donc pas assez de recul pour avoir formalisé une manière de faire sur le sujet. Elle invente au fur et à mesure. C’est d’ailleurs un de ses points forts, souligné par ses salariés : « C’est enrichissant, je m’adapte tout le temps », apprécie Romain Delannoy. Clémentine Warczynski a le même ressenti : à l’hôpital, elle obéit à un médecin ; ici, elle prend des décisions seule, en toute autonomie, même si elle dialogue en permanence avec ses collègues et sa hiérarchie. Une responsabilisation qu’elle trouve passionnante. Ce droit à l’initiative séduit aussi les travailleurs sociaux, plus habitués aux structures de type MECS ou CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale).

L’équipe mobile répond aussi à un changement de regard sur le public accueilli : « Le déficient intellectuel considéré comme gentil, qui dit oui à tout, n’est plus obligé de vivre en établissement. Il peut aller à l’école ou dans divers dispositifs de droit commun, souligne Jean-Pierre Leroy, chef de service à l’IME Louis-Christiaens. En termes économiques, cela revient moins cher que le placement en institution. » Conséquence, les profils se durcissent et les équipes ne sont pas toujours prêtes : « Ce n’est plus seulement le handicap qui pose problème. Les équipes auront à se questionner, car ces jeunes pousseront leurs limites », prévient le responsable. Un exemple tout bête ? Le jeune a le droit de fumer, mais à des horaires précis : certains éducateurs, plus souples ou qui ne veulent pas entrer dans une confrontation, cèdent à une demi-heure près. La fois suivante, un autre éducateur va tenir la règle et l’usager protestera en s’appuyant sur le précédent, puis s’énervera. « Si l’équipe n’a pas un moment pour se poser et refixer la règle, la situation se dégrade », conclut Jean-Pierre Leroy. Gaëlle Antoine sourit et glisse : « On n’est jamais prêt à changer, jamais tout à fait prêt à accueillir des enfants différents. »

Notes

(1) Les prénoms des adolescents ont été modifiés.

(2) IME Louis-Christiaens : route de Bourbourg – 59820 Gravelines – Tél. 03 28 23 17 15.

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