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Bracelet électronique : surveiller ou accompagner ?

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La gestion des incidents dans le cadre d’une mesure de placement sous surveillance électronique ne relève pas d’une logique de négociation, mais d’une mise en conformité avec une procédure mécanique. D’où le danger pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation d’être peu à peu dépossédés de leur savoir-faire, alerte Tony Ferri, conseiller d’insertion et de probation, philosophe et chercheur(1).

« Lorsqu’un condamné demande à bénéficier de la mesure de placement sous surveillance électronique (PSE), le juge de l’application des peines (JAP) rend sa décision après avoir examiné son projet et les propositions présentées par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Il rend alors un jugement dans lequel sont exposées les obligations de la personne et ses périodes d’assignation à domicile sous contrôle. Ce jugement sert de support au SPIP pour mettre en œuvre la mesure et assurer son suivi.

On peut toutefois s’interroger sur la façon dont l’institution judiciaire règle les incidents. Ce traitement repose sur le partage des tâches entre surveillants et SPIP. Les surveillants affectés au pôle de surveillance (d’abord ceux qui opèrent dans les centres interrégionaux, puis ceux qui interviennent dans les SPIP) sont les premiers à être alertés de la survenue des incidents. Leur rôle est de constater ces situations, de recueillir, par téléphone, les premières explications des personnes placées et de relayer ces informations auprès de la direction du service pénitentiaire d’insertion. Il semble en tout cas difficile pour les condamnés de “prétexter” des dysfonctionnements électroniques pour échapper au contrôle : lorsqu’un bracelet présente une anomalie, le pôle de surveillance ne tarde pas à s’en apercevoir et procède à son remplacement.

Averti par les surveillants, le directeur fonctionnel du SPIP va alors demander aux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation de déterminer les causes et d’évaluer la portée de l’incident à partir des explications circonstanciées et des justificatifs fournis par les condamnés et en tenant compte des éventuels déclenchements antérieurs d’alarme déjà signalés. Cette transmission des documents susceptibles d’étayer objectivement les déclarations des condamnés est réclamée non seulement par la direction des SPIP, mais aussi par les juges d’application des peines. Une logique de justification permanente qui conduit certains SPIP à renforcer leurs moyens de contrôle et de suivi en se constituant en “pôle de surveillance électronique spécialisé” : il est alors d’usage pour les professionnels de procéder à des vérifications, à une collecte de données et à des évaluations collégiales afin de juger de la pertinence des explications et de la valeur des justificatifs fournis par les personnes placées.

De même que le dispositif de surveillance électronique se rattache à une technologie automatique comparable à celle du radar, la règle de traitement des incidents repose sur une procédure préalablement définie et systématique. Contrairement à la conduite d’un entretien où ils ont une marge d’appréciation liée à la capacité relationnelle des interlocuteurs, dans le cas du traitement des incidents causés par les personnes placées, les professionnels des SPIP sont astreints à une procédure qui définit leurs moyens d’action et leur mode de réaction. C’est d’autant plus vrai qu’il appartient aux surveillants de constater les incidents et aux JAP (ou, à titre dérogatoire, aux directions fonctionnelles des SPIP) d’établir les consignes et de prononcer les décisions.

Les conseillers d’insertion et de probation font avant tout la jonction entre le tribunal et les condamnés. Et leur tâche est de croiser et d’évaluer l’ensemble des informations ressortissant aux situations des personnes suivies à partir de rapports circonstanciés. Même s’ils désiraient contourner le dispositif, les condamnés ne pourraient pas négocier facilement avec les SPIP, pour la simple raison que ces derniers ne font que rendre compte de situations, de comportements ou d’évolutions. La surveillance électronique procède d’un fonctionnement programmatique qui surplombe tant les condamnés qui doivent s’y soumettre que les acteurs qui les mettent en œuvre. C’est en outre un système qui, en raison de la technologie utilisée, proche de celle du GPS et des téléphones portables, laisse peu de marge aux erreurs de détection. Lors du déclenchement de l’alarme, les conseillers d’insertion et de probation ne se demandent pas s’il s’agit d’un dysfonctionnement du matériel, mais pensent tout de suite à un incident imputable à la personne placée. En effet, comme les bugs électroniques restent marginaux au regard du nombre de personnes placées et de la masse des données traitées, le matériel électronique est jugé fiable et opérationnel.

Cependant, dans le traitement des incidents, l’élément électronique tend à supplanter l’élément humain et à mettre au premier plan un suivi automatique. Cette gestion se fait au détriment des relations humaines interindividuelles indispensables à la constitution de projets, au travail social et aux perspectives de sortie de la délinquance. Il est certes heureux que la surveillance électronique soit fiable sur le plan technique, c’est de là qu’elle tire sa force. On peut néanmoins objecter, sur les plans normatif et critique, qu’elle favorise le contrôle au grand dam de l’accompagnement social, qui implique de connaître en profondeur les problématiques des personnes, de favoriser la relation d’aide, de conseiller et d’orienter au mieux les intéressés dans des démarches de réinsertion selon leurs besoins ou leurs handicaps, d’activer le réseau partenarial, de proposer des réponses souples et adaptées en fonction des cas.

Concernant la mise en œuvre du placement sous surveillance électronique, les questions “à quelles fins” et “comment” ne sont pas dissociables. Se contenter de poser comme objectif l’efficacité du suivi ne fait que rendre plus criante l’opposition entre l’élément technologique et l’élément humain. Doit-on, pour mettre en œuvre la surveillance, privilégier l’automatisation du contrôle à distance ou, au contraire, le développement des contacts humains de proximité ? Faut-il aller jusqu’à rendre automatiques les échanges téléphoniques et les confier à des robots qui adresseraient systématiquement des messages aux personnes placées qui ne respectent pas le cadre de leur mesure de PSE ? Faut-il, au contraire, poser comme une exigence éthique incontournable la présence, au cœur du dispositif, de professionnels de terrain, actifs et dévoués, qui développent en permanence du liant avec les personnes surveillées ? L’un des dangers du PSE est d’aggraver les procédures de surveillance impersonnelle en associant au contrôle spatial et temporel automatique à distance l’appauvrissement de la relation. Ce qui revient à établir un système de traçabilité dépourvu de tout contact concret entre individus. Et pose une question fondamentale : comment garantir la possibilité qu’émerge un changement de conduite ou d’état d’esprit chez les condamnés dès lors qu’il n’y a plus personne pour les orienter, leur ouvrir des voies, les seconder ? »

Notes

(1) Et auteur de Pouvoir et politique pénale. De la prison à la surveillance électronique (éd. Libre & Solidaire, 2016).

Contact : tony.philosophe@yahoo.fr

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