Au cours de l’année dernière, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) « n’a pu que constater un recul [des] droits [fondamentaux], à la fois dans les dispositifs législatifs votés dans l’urgence, et lors des 146 visites d’établissements effectuées au cours de l’année », déplore l’actuelle titulaire de la fonction, Adeline Hazan, dans son rapport d’activité 2016, rendu public le 22 mars(1). Un constat qui doit beaucoup à la situation particulière entraînée par les attentats qui ont marqué la France en 2015 et 2016, note la CGLPL en avant-propos. « Le contexte des attentats terroristes a en effet conduit au vote de deux lois contenant des dispositions très restrictives des libertés individuelles », certes compréhensibles « dans une période exceptionnelle », mais dont le caractère « nécessaire » et « proportionné » ne lui semble pas avoir été respecté.
La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale(2), d’abord, initialement « destinée à simplifier une procédure pénale devenue, estimait-on, trop complexe », a finalement abouti « à un assemblage de dispositions […] qui apparaissent fort peu soucieuses du respect de l’équilibre déjà vacillant entre sécurité et libertés individuelles », concernant la période de sûreté, la libération conditionnelle ou le régime des fouilles dans les établissements pénitentiaires. La loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence, ensuite, a été mise à profit « pour adopter des dispositions dépassant largement son objet initial, notamment des mesures repoussées au cours des débats précédents : la limitation des aménagements de peine et l’exclusion des crédits de réductions de peine pour les personnes condamnées pour des infractions terroristes ; l’allongement de la réclusion criminelle de 20 à 30 ans pour certaines infractions ; la légalisation de la vidéosurveillance en cellule au sein des établissements pénitentiaires », pourtant « attentatoire à la dignité et à l’intimité ».
Ce recul des droits fondamentaux est particulièrement perceptible dans les établissements visités, souligne Adeline Hazan. « La surpopulation carcérale n’a cessé de s’aggraver », alors qu’elle constitue « un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme » : « au 1er décembre 2016, le taux de densité carcérale globale s’élevait à 118 % et celui observé dans les maisons d’arrêt à 141 % », avec des pics à 200 % en Ile-de-France et en outre-mer. Sans oublier que « le nombre de détenus provisoires (donc présumés innocents), a, quant à lui, dépassé en 2016 le seuil symbolique des 20000, augmentant de 14 % par rapport à 2015, et représentant désormais le tiers des détenus alors qu’il n’en formait que le quart ». Quant à la réponse apportée, en septembre dernier, par le garde des Sceaux, qui a choisi d’affecter « la quasi-intégralité des efforts budgétaires » à la construction de nouvelles places de prison plutôt qu’aux alternatives à l’incarcération(3), elle n’est pas « satisfaisante », selon la CGLPL : « depuis 25 ans, ce sont près de 30000 nouvelles places de prison qui ont été créées », sans empêcher la surpopulation carcérale de croître.
A l’inverse, poursuit-elle, « les peines alternatives à l’incarcération sont toujours très insuffisantes, malgré la loi du 15 août 2014 qui n’a pas produit les effets escomptés : 2 300 contraintes pénales ont été prononcées en deux ans au lieu des 8 000 à 20 000 par an prévues dans l’étude d’impact de la loi ». Et Adeline Hazan de s’insurger contre le nombre de situations rencontrées par ses équipes, qui vont à l’encontre du principe selon lequel « la prison doit être le dernier recours » et dans lesquelles « la peine semble dépourvue de sens : des très courtes peines, facteur important de désocialisation et de précarisation et dépourvues d’impact en termes de réinsertion en raison de la surcharge des services pénitentiaires d’insertion et de probation ; des peines exécutées par des personnes dont la vieillesse ou la santé physique ou mentale paraît incompatible avec un maintien en détention, mais qui y restent faute d’alternative ».
Cette tendance touche aussi la psychiatrie, assure-t-elle en outre, secteur « où le nombre de placements sous contrainte a augmenté, tout comme se sont développées depuis ces vingt dernières années les mesures d’isolement et de contention physique, effectuées sans contrôle, ni a priori ni a posteriori, jusqu’à une récente loi du 26 janvier 2016 [loi de modernisation de notre système de santé], dont on attend toujours, à l’heure où ces lignes sont écrites, la circulaire d’application ».
Parallèlement, enfin, on assiste à « une recrudescence des placements en rétention administrative de familles accompagnées d’enfants mineurs, et ce malgré une condamnation de la France en 2012 par la Cour européenne des droits de l’Homme, et malgré l’engagement pris en ce sens en 2012 par le candidat devenu président de la République », François Hollande. « Entre 2014 et 2015, le nombre des mineurs placés en rétention administrative avec leurs parents est passé de 45 à 105 (133 % d’augmentation) », rapporte en effet l’institution, en rappelant « que toute mesure doit être prise pour éviter absolument l’enfermement d’enfants dans des centres de rétention administrative et a fortiori dans des locaux de rétention administrative ».
(1) Rapport publié aux éditions Dalloz. Il sera disponible à partir du 26 avril sur