« Sorti de la troisième, je ne savais pas quoi faire. Je suis parti en formation de peintre en bâtiment, mais cela ne m’a pas plu. J’ai arrêté après le BEP, témoigne Claude, 18 ans. J’ai compris que je voulais partir sur le sport et mon éducatrice m’a parlé de PrépaSport. » En janvier dernier, Claude a été choisi parmi une trentaine de jeunes orientés par différents services sociaux(1) pour faire partie du premier groupe de 12 NEET(2) âgés de 16 à 24 ans qui bénéficient d’un parcours de remobilisation éducatif personnalisé autour du sport (PrépaSport) de cinq mois à Mont-de-Marsan (Landes).
Ce programme intensif alterne entre des pratiques sportives variées (boxe anglaise, ju jitsu brésilien, basket, canoë-kayak, badminton, cyclisme, BMX, Pilates, padel…) et une réflexion des jeunes sur leur projet personnel et professionnel, des mises en situation lors de chantiers manuels et de stages, ainsi qu’un travail transversal de renforcement de leurs compétences psychosociales. L’encadrement, pluridisciplinaire, réunit une éducatrice spécialisée formée au renforcement des compétences psychosociales (chargée du module « préparation à la vie professionnelle »), son collègue connaisseur des métiers du bâtiment et de l’informatique (chargé du module « découverte des métiers »), le directeur du Stade montois omnisport (SMO), un coordinateur sportif à temps partiel, une personne en service civique, un stagiaire éducateur et cinq éducateurs sportifs à 0,1 ou 0,2 équivalent temps plein (pour un total de 4,6 postes ETP).
« Mon objectif est de passer le maximum de diplômes, reprend Claude, qui, à cause d’une blessure, ne peut pas participer à la séance de boxe anglaise prévue avec ses camarades. La semaine prochaine, avec la moitié du groupe, je suivrai une semaine de préparation théorique au BAFA [brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur] pour devenir animateur et, je l’espère, pouvoir ensuite passer le BPJEPS [brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport]. Les autres feront des stages en entreprise. Nous allons aussi préparer le brevet de surveillant de baignade et le permis de conduire. En ce moment, nous nous entraînons au code le matin. C’est super de pouvoir tout passer en cinq mois ! » Le jeune homme, qui vit en famille d’accueil, n’a pas toujours été aussi motivé. « Lorsque j’ai connu Claude, en quatrième au collège de Gabarret, un internat où on trouve des enfants avec des problèmes de famille, il était dur, pas adapté à la classe, et faisait partie des élèves laissés de côté, se souvient Yohan Castets, professeur d’histoire-géographie, éducateur sportif basket au SMO et stagiaire en vue d’une reconversion dans l’éducatif. A PrépaSport, on prend les choses à l’envers par rapport à l’Education nationale : on part de la personne. Le suivi est très individualisé. »
PrépaSport(3) est né en 2014, à la suite d’une demande faite par la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) à l’UCPA, organisme d’éducation populaire, d’organiser des activités sportives occupationnelles pour des jeunes sous main de justice. « En nous inspirant d’expériences canadiennes et scandinaves repérées sur Internet, nous avons eu l’idée de proposer plutôt un parcours de remobilisation à travers le média sport et un outil de préformation, raconte Caroline Morda, coordinatrice de PrépaSport à Bordeaux. Pendant six mois, nous avons réfléchi avec la PJJ à la construction de ce parcours et à son financement, avec l’opportunité de bénéficier de fonds européens. Nous nous sommes dit que le dispositif ne devait pas être exclusivement réservé aux jeunes PJJ, mais qu’il serait intéressant de mixer ce public avec un tiers de jeunes venant de l’ASE et un tiers orienté par les missions locales. » La première année, le défi a été d’acquérir une légitimité afin que les structures hors PJJ y orientent des jeunes. Très vite, la demande a dépassé les capacités, limitées à une petite trentaine de stagiaires par an.
Dès la fin de la première année, l’UCPA a souhaité se retirer et le Stade bordelais ASPTT, qui n’était au départ qu’un prestataire sportif, a accepté de porter le projet sur ses fonds propres à partir de janvier 2015. Le club n’avait pas d’expérience dans le social, mais l’envie de s’investir dans le projet. L’Europe a soutenu l’initiative, avec un financement sur trois ans correspondant à 70-80 % d’un budget annuel de 300 000 €. La PJJ, la direction régionale de la jeunesse et des sports, la préfecture, le département de la Gironde, la région Nouvelle-Aquitaine, la métropole et la mairie de Bordeaux complètent chacun à hauteur de 2 à 6 % du total. « Une association d’aide sociale à l’enfance s’est proposée pour prendre la suite de l’UCPA, et nous nous sommes posé la question de la meilleure association support, précise Caroline Morda. Finalement, nous avons préféré une association sportive car les jeunes qui sortent de la PJJ ou de l’aide sociale à l’enfance fuient les structures éducatives. Là, ils rentrent dans un club sportif : ils sont examinés par un médecin du sport, portent un logo sportif sur leur t-shirt et sont considérés comme des sportifs – ce qui, pour eux, est très important. »
Fort de ses bons résultats, le Stade bordelais ASPTT a présenté PrépaSport courant 2016, lors d’une rencontre régionale entre clubs omnisports. Jean-Jacques Crabos, le président du SMO, et Eric Saint-Martin, son directeur, qui assistaient à cette rencontre, ont été séduits et ont eu envie de dupliquer le dispositif à Mont-de-Marsan. « Nous nous sommes dit qu’avec ce volet insertion, la boucle serait bouclée entre le sport de compétition, le sport loisir et le sport santé », se rappelle Eric Saint-Martin, dont le club revendique 6 100 licenciés dans 33 sections, 53 salariés et un chiffre d’affaires de 4,6 millions d’euros.
« J’ai pensé que cela pourrait être bien d’utiliser le levier du sport pour raccrocher des jeunes en difficulté avec le système scolaire, indique quant à lui Jean-François Gaube, cadre socio-éducatif au centre départemental de l’enfance des Landes et président de la section ski du Stade montois. Nous sommes donc allés voir comment cela fonctionnait à Bordeaux, où ils en étaient à la cinquième session. » Kader Kahloul et Gaëlle Maugué-Collin, les deux éducateurs spécialisés qui exercent depuis 2015 à PrépaSport Bordeaux tout en habitant à Mont-de-Marsan, étaient volontaires pour faire profiter le SMO de leur expérience afin de dupliquer le dispositif. Ils ont rédigé le projet éducatif, tandis qu’Eric Saint-Martin écrivait le projet financier pendant l’été 2016 avec l’appui d’une chargée de mission « Europe » du conseil départemental. De septembre à novembre, le SMO a présenté PrépaSport aux services sociaux du département, prescripteurs potentiels. « C’est un projet qui pouvait répondre aux attentes de certains jeunes que nous recevons, se souvient Mona Farud, responsable du BIJ (bureau information jeunesse) de Mont-de-Marsan. Nous avons diffusé l’information, notamment à certains jeunes en rupture de formation, voire sociale, ou en voie de marginalisation, qui viennent régulièrement nous voir. » Les présidents de section du SMO ont été mobilisés. « Nous avons essayé d’organiser le programme avec les éducateurs sportifs déjà en poste pour faire découvrir un maximum de sports à ces jeunes », poursuit Jean-François Gaube, devenu président de PrépaSport.
« Avec Kader Kahloul et le Stade montois, nous avons mené une réflexion pour transposer le projet existant, pour qu’il soit vraiment en adéquation avec les jeunes de Mont-de-Marsan, souligne Gaëlle Maugué-Collin, recrutée au SMO avec son collègue début janvier. PrépaSport vise d’abord l’insertion socio-professionnelle des jeunes, dans un bassin d’emploi moins diversifié et plus rural qu’à Bordeaux, mais où l’on savait pouvoir s’appuyer sur un vaste réseau. » Incontournable dans une ville dont un habitant sur trois possède une licence sportive, avec un tissu fort de 500 entreprises partenaires, le SMO a ainsi réussi en vingt-quatre heures à décrocher des stages pour six jeunes du groupe dans le domaine de leur choix : en pizzéria, en logistique, en espaces verts, dans la mécanique, la police ou l’informatique…
A la mi-janvier, 31 jeunes ont été reçus par cinq membres de l’équipe salariée et bénévole, pour seulement 12 places. « Nous avons été surpris de l’engouement, reconnaît Jean-François Gaube. Nous savions que cela répondait à une attente, mais nous partions dans l’inconnu. » Neuf garçons et trois filles (sur six candidates) de 16 à 24 ans ont été sélectionnés sur leur motivation. Six sont connus par la justice, l’une étant pensionnaire d’un centre éducatif fermé. Tous sont NEET depuis plusieurs mois. Reste que la sélection a été difficile. « Nous avons choisi des jeunes peu ou pas diplômés, plutôt en panne, mais avec la motivation pour avancer, insiste Gaëlle Maugué-Collin. Même si le jeune est dans le rien (ni scolarisé, ni employé, ni stagiaire), il faut qu’il ait envie de faire quelque chose et accepte de recevoir de l’aide. »
En effet, pour suivre ce programme soutenu (de 9 heures à 16 h 30, cinq jours par semaine pendant cinq mois), ces jeunes ont besoin d’une forte motivation. « Nous leur donnons rendez-vous tous les matins à 9 heures, ce qui est un gros effort alors que beaucoup n’ont pas eu d’activité pendant plusieurs mois et restaient au lit jusqu’à midi, observe Eric Saint-Martin. Pourtant, les premiers arrivent maintenant dès 8 h 25 ! » La journée commence par un petit déjeuner que les jeunes préparent à tour de rôle. C’est un moment de convivialité, mais aussi un repas important pour Romain, 24 ans, qui était sans ressources à son arrivée et vivait seul dans une caravane sans eau ni électricité. Son entrée en formation lui a permis de prétendre à un logement, et l’équipe l’accompagne pour l’obtention de la couverture maladie universelle et de certaines allocations. Stagiaire de la formation professionnelle continue comme ses autres camarades, il recevra aussi 310 € par mois.
Les deux premières semaines de la session ont été consacrées à la cohésion du groupe, avec un rythme de sport intensif. L’objectif semble atteint lorsqu’on observe l’ambiance entre les jeunes ainsi qu’avec les éducateurs. « Quand quelqu’un a de la difficulté, on est tous ensemble pour l’aider », se réjouit Marine, 17 ans, qui a arrêté le collège en troisième après avoir redoublé et s’est retrouvée perdue quand elle n’a pas été admise en CAP petite enfance. « Je ne suis pas très sportive et je n’aime pas la course, mais quand je ralentis, les autres m’encouragent et j’arrive à continuer ! » Pas très à l’aise en vélo, alors que le groupe se déplace par ce moyen d’une activité à l’autre, la jeune femme a tout de même réussi à prendre confiance en elle. Son camarade Boris, 19 ans, qui appréhendait beaucoup les activités aquatiques, a pris des cours de natation. L’annonce de son prochain passage du brevet de 25 mètres, lors de la réunion de débriefing de la semaine, a déclenché les applaudissements enthousiastes de ses camarades. « Les jeunes ont réussi à créer un esprit d’équipe qui les tire vers le haut, se félicite Julien Morin, coordinateur sportif à tiers temps de PrépaSport et éducateur sportif sur certaines activités. Je ne pensais pas que cela irait si vite. »
L’implication dans différentes activités sportives et les repas pris en commun au restaurant du conseil départemental permettent d’améliorer une hygiène de vie souvent déficiente : mauvaises pratiques alimentaires et de sommeil, importante consommation de tabac et, parfois, de produits stupéfiants… « Notre dispositif, c’est un esprit sain dans un corps sain, résume Kader Kahloul. S’ils se sentent mieux dans leur corps, ils se sentiront mieux dans leur tête. » L’éducateur spécialisé a pu observer à quel point les stagiaires changeaient physiquement au cours d’une session : souvent fermés au départ, ils deviennent au fil des mois « plus ouverts, plus joyeux et plus enclins à se mobiliser ». Il documente avec des photos et des vidéos cette transformation physique dont les jeunes sont très fiers.
Le moteur de la prise en charge est la confiance en l’adulte, qui se construit progressivement, notamment en transpirant ensemble lors des séances sportives. « Ces jeunes se méfient souvent de l’éducateur et la formation est pour eux une contrainte, analyse Kader Kahloul. Si on n’arrive pas à tisser de lien avec eux, on aura beaucoup de mal à les amener vers l’objectif de professionnalisation-socialisation. » A chaque instant, les éducateurs travaillent cette relation fragile qui pourra, peut-être, permettre aux jeunes de prendre confiance en eux et de raccrocher les wagons de l’insertion sociale. Certains seront confortés dans leur projet, cohérent avec leurs capacités et le marché local de l’emploi. D’autres devront être accompagnés et encouragés vers une ambition plus réaliste… « Nous adaptons l’exigence de la pratique collective à chacun individuellement, précise Caroline Morda. Cela demande constamment des pirouettes : réadapter, raccrocher, restimuler pour coller aux objectifs. »
Cette attention, évidente pour les professionnels de l’intervention sociale, demande une certaine adaptation des membres de l’équipe issus du monde du sport. « Les éducateurs sportifs sont globalement intéressés par le projet, mais sans connaissance réelle du public, observe Gaëlle Maugué-Collin. Nous travaillons avec eux sur leurs représentations et sur l’utilisation du sport comme outil pour faire du social, et pas comme fin en soi. » Les éducateurs sportifs de la boxe, du canoë-kayak et du judo viennent ainsi d’être intégrés aux réunions d’équipe. « Au début, les éducateurs sportifs ne donnaient qu’un cours de sport, mais on a rectifié le tir, admet Julien Morin, arrivé au SMO pour entraîner des cyclistes de haut niveau. Maintenant, nous essayons de les intégrer dans l’équipe éducative, pour qu’ils ne soient pas uniquement dans la prestation sportive. »
Ce travail d’intégration entre les mondes du sport et de l’éducatif est en cours, avec en ligne de mire commune l’intégration socioprofessionnelle des jeunes. Depuis sa création, la force de PrépaSport est une adaptation de ses outils et un réajustement permanent de ses modes d’intervention, grâce notamment aux nombreux écrits produits par les éducateurs, sportifs ou spécialisés. Tous les jeunes ayant suivi une session à Bordeaux à partir de 2015 sont suivis pendant un an, de façon hebdomadaire, grâce à Facebook. « Si on les lâche tout de suite, le soufflé retombe, met en garde Caroline Morda. Nous avons mis en place des bilans de coordination entre les référents éducatifs, les missions locales, le jeune et nous. Nous avons tuilé toute la sortie avec des rétroplannings, et cela a été efficient pour la recherche d’emploi et de formation. » La preuve : sur les 25 participants bordelais de la session 2015-2016, 16 jeunes sont en emploi, 7 en formation et seulement 2 encore NEET. Une perspective encourageante pour le groupe de Mont-de-Marsan.
Un pôle d’insertion par le sport est en projet à Bordeaux Maritime, un quartier « politique de la ville », avec le soutien de plusieurs acteurs locaux (mairie et préfecture, notamment). Son objectif est de mettre en place une insertion par le sport de A à Z en associant trois dispositifs : Sport-Emploi, pour le repérage de jeunes par le biais du sport ; PrépaSport, pour la remobilisation et la préparation du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) ; et Stade Formation, pour le passage des certificats de qualification professionnelle (CQP) dans le sport ainsi que du brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS). Il devrait voir le jour début 2018.
(1) PJJ, service pénitentiaire d’insertion et de probation, mission locale, aide sociale à l’enfance, pôle « prévention » du département, quartiers « politique de la ville », Association de sauvegarde et d’action éducative des Landes et BIJ.
(2) Neither in employment nor in education or training, c’est-à-dire « ni en emploi, ni en formation, ni en stage ». C’est le profil ciblé par l’Initiative pour l’emploi des jeunes (IEJ) de l’Union européenne, qui y consacre 620 millions d’euros dans 13 régions françaises (dont l’Aquitaine) ayant plus de 25 % d’inactivité professionnelle chez les 16-25 ans.
(3) PrépaSport :