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L’album de vie pour remonter le fil de son histoire

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La pouponnière de l’Association Caroline-Binder, à Logelbach, dans le Haut-Rhin, aide les enfants qui ont quitté l’établissement à se réapproprier leur histoire au cours de la période de la petite enfance en organisant des rencontres autour de leur album de vie, témoigne Myriam Higelin, psychologue.

« La pouponnière (maison d’enfants à caractère social) où j’exerce comme psychologue depuis plusieurs années a créé un outil, l’“album de vie”. Réalisé par le référent de l’enfant, il retrace, à partir d’écrits et de photos, les expériences vécues par ce dernier, son développement, ses relations avec les adultes qui ont pris soin de lui, avec ses pairs, ses parents et sa famille. Utilisé depuis plusieurs années déjà, ce livret sert à créer du lien avec le jeune tout au long de son accueil, mais aussi après, puisqu’il le suit dans sa nouvelle orientation lorsqu’il quitte le service.

Je voudrais témoigner de l’intérêt de cet album pour accompagner les enfants au cours de leur vie après la pouponnière. Après avoir été accueillis dans notre établissement, certains d’entre eux s’interrogent, quelques années plus tard, sur leur parcours et demandent à revenir dans leur lieu d’accueil et à rencontrer les personnes qui les ont connus. La première fois que nous avons proposé cet accompagnement, nous avions été contactés par la psychologue du pôle “familles d’accueil” de l’aide sociale à l’enfance (ASE) : elle avait un entretien avec un jeune garçon qui avait été orienté en famille d’accueil après avoir été accueilli à la pouponnière. Ils avaient évoqué ensemble, à partir de la lecture de l’album de vie, son parcours institutionnel.

Nous avons donc décidé de proposer à cet enfant un temps de rencontre à la pouponnière pour évoquer avec lui ce temps de sa vie. Le garçon n’avait en effet comme seule histoire que les photos et les mots d’accompagnement figurant dans son album de vie. Quant à l’assistante familiale chez qui il était accueilli, elle ne disposait aussi que de cet outil pour se pencher sur son passé et en parler avec lui.

Une rencontre préalable entre les professionnels de l’ASE et ceux de la pouponnière a été organisée afin d’échanger sur les connaissances de l’histoire de l’enfant que chacun avait en mémoire, et préparer l’accueil de l’enfant (jour, horaire, lieu, personnes). La présence de son ancienne référente, qui était le témoin direct de cette période de sa vie, est apparue comme une évidence. L’album de vie a servi de fil conducteur à cette rencontre. Une expérience très riche et qui a été reconduite, puisque quatre autres enfants sont revenus à la pouponnière et ont bénéficié de cet accompagnement spécifique.

Que dire de ces temps de rencontre avec les enfants ? Je retiendrai l’importance pour eux de pouvoir faire revivre des souvenirs, des impressions, des paroles, passées ou actuelles, et de revoir des personnes (liées à un temps d’histoire différent) dans un espace-temps rassurant. Rassurant, car ce moment avait été pensé en amont. Rassurant, car il se déroulait en présence d’une personne investie affectivement auprès de l’enfant – l’assistante familiale qui l’accueille actuellement.

Tentatives d’articulation de deux histoires

Ces rencontres semblent créer un espace propice à la “rêverie” où la qualité première est la disponibilité, l’attention portée à l’enfant par les personnes présentes. Une “attention” qui rappelle, d’un point de vue théorique, la qualité de l’objet contenant qu’évoque le psychiatre Wilfred Bion(1).

Au fil de ces rencontres, j’ai pu observer un nouveau tissage, une mise en présence de deux histoires : l’une passée, comme “hors du temps” ; l’autre actuelle, sorte de “réalité” pour l’enfant. Ces jeunes semblent se référer à la période d’“avant” comme à une autre histoire. Ils utilisent des formulations ou des termes qui laissent penser qu’ils cherchent à vérifier “si c’est vrai”, comme si à cette époque ils étaient “autres”. Leur attitude – ils manifestent une forme d’étrangeté face aux souvenirs des référentes dont ils n’ont pas gardé trace dans leur mémoire – est assez troublante. Chaque enfant accueille ces paroles de manière spécifique, comme s’il écoutait sa vie d’une manière extériorisée. Et, au moment du départ, leurs comportements – impatience de quitter ce lieu, demande de prolongation de la rencontre ou réclamation insistante pour avoir les coordonnées de la pouponnière – sont autant de tentatives d’articulation de leurs deux histoires. La présence de la personne qui est investie affectivement – l’assistante familiale – participe à la réassurance de l’enfant.

Si la façon dont les jeunes (re)construisent leur histoire est pour nous riche d’enseignements, nous nous devons de réfléchir au sens même de leur démarche. Quel sens a-t-elle pour eux ? Ne viennent-ils pas à la pouponnière non pas pour nous rencontrer mais pour se rencontrer eux-mêmes ? Et qu’attendons-nous d’une telle démarche ? Nos questions ne sont-elles pas : nous ont-ils oubliés ? Comment se rappellent-ils de nous ?

« Mise en scène » d’un vécu partagé

Comment nourrir notre pratique quotidienne d’accompagnement des enfants qui nous sont confiés à partir de telles rencontres ? Soutenir la rencontre d’un jeune avec les professionnels d’un lieu passé peut-il avoir des effets redynamisants et renarcissisants dans l’appropriation d’une histoire ?

Notre hypothèse est qu’un vécu partagé autour d’une histoire permet à cette dernière de s’étoffer et de prendre une autre dimension que celle, figée et plane, de la photographie conservée dans l’album de vie. Dans quelle mesure la parole, qui redonne vie aux images et aux émotions, n’invite-t-elle pas à la rencontre de soi, de l’autre ? Nous ne sommes qu’au début d’un travail, mais nombre de questionnements et d’hypothèses naissent déjà autour de cette “mise en scène” d’un vécu partagé…

Ce qui m’apparaît fondamental, c’est que l’enfant réalise que des personnes l’ont connu et peuvent lui raconter comment s’est passée leur rencontre singulière. Le jeune relit son album de vie à partir de ce que lui disent des témoins directs de son parcours de vie et en présence de personnes ressources. On pourrait imaginer aussi ouvrir l’album de vie aux parents – lorsque c’est possible – afin de prendre en compte, malgré la séparation, la filiation – l’appartenance à une famille. Cet outil retranscrirait ainsi la vie de l’enfant au service du point de vue de sa référente et de ses parents. Et faciliterait l’inscription progressive de celui-ci dans ces deux types de liens. »

Notes

(1) Il a notamment développé la notion d’« objet contenant », de fonction contenante de l’objet ayant comme finalité la symbolisation.

Contact : mhigelin@cbinder.asso.fr

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