L’encadrement des loyers prévu par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – dite loi « ALUR » – ne peut pas être limité à Paris et à Lille, selon un arrêt rendu le 15 mars par le Conseil d’Etat. La Haute Juridiction administrative a ainsi donné raison à l’association « Bail à part, tremplin pour le logement », qui avait déposé une requête en annulation, pour excès de pouvoir, de la décision prise le 29 août 2014 par Manuel Valls, alors Premier ministre, « de ne mettre en œuvre l’encadrement des loyers prévu par la loi du 24 mars 2014 qu’à Paris, à titre expérimental ».
« Nous avons désormais assez de recul pour juger des difficultés de [la] mise en œuvre » de cette mesure, avait en effet déclaré l’ancien chef du gouvernement. « Tous les acteurs le disent : les conditions techniques ne sont pas réunies, et ne le seront pas avant des mois, voire des années. C’est notamment le cas pour la collecte des données des loyers. Cette situation complexe génère trop d’incertitude pour les investisseurs. Le dispositif sera donc appliqué à titre expérimental à Paris. Il ne sera pas étendu aux autres agglomérations concernées tant qu’un bilan sur sa mise en œuvre n’aura pas été réalisé. » Dans une nouvelle déclaration deux jours plus tard, il avait cependant précisé que ce dispositif pouvait également être expérimenté à Lille(1).
La loi « ALUR », rappelle tout d’abord le Conseil d’Etat, prévoit que sont dotées d’un observatoire local des loyers « les zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d’emménagements annuels dans le parc locatif social ». Et que, « dans ces zones, le représentant de l’Etat dans le département fixe chaque année, par arrêté, un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logement et par secteur géographique ».
Or « les déclarations litigieuses révèlent la décision du Premier ministre de ne mettre en œuvre ces dispositions législatives que dans les agglomérations de Paris et Lille et de subordonner à la réalisation d’un bilan de cette mise en œuvre expérimentale l’application de ces mêmes dispositions dans les autres agglomérations concernées », poursuit la Haute Juridiction administrative, qui considère « qu’une telle décision a le caractère d’un acte faisant grief ».
En outre, « si l’article 37-1 de la Constitution prévoit que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental », il ne permet pas au pouvoir réglementaire de procéder à une mise en œuvre de la loi à titre expérimental lorsque la loi ne l’a pas elle-même prévu », renchérit l’instance, en jugeant que la décision du Premier ministre doit, de ce fait, être annulée.
Une décision dont s’est félicité Julien Bayou, le président de l’association requérante « Bail à part, tremplin pour le logement ». Militant de longue date de la lutte contre le mal-logement et également porte-parole du collectif Jeudi noir, il a aussitôt appelé les dirigeants actuels à « mettre en place l’encadrement des loyers sans attendre ». Ce que fait déjà le gouvernement, a rétorqué pour sa part le ministère du Logement et de l’Habitat durable, dans un communiqué du 17 mars : « Cette décision, conforme à l’esprit de la loi, est d’ores et déjà appliquée depuis l’arrivée au gouvernement d’Emmanuelle Cosse, qui a rouvert la possibilité d’encadrement pour les 28 territoires identifiés par la loi « ALUR ». » Et le ministère d’ajouter que « l’encadrement des loyers est ainsi effectif à Lille depuis le 1er février 2017 »(2) et que l’agrément de l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne « a été étendu, par signature de la ministre du Logement et de l’Habitat durable, en juin 2016, aux 412 communes de l’agglomération parisienne pour une mise en œuvre courant 2018 »(3). « Il existe près de 30 observatoires des loyers dans toute la France », affirment en outre les services d’Emmanuelle Cosse. Celle-ci invite, enfin, « toutes les agglomérations concernées par la loi « ALUR », comme le prévoit cette dernière, à la saisir en ce sens d’une demande d’agrément de leurs observatoires locaux des loyers ».