Soucieux de garantir le développement de la mesure de justice restaurative créée par la loi « Taubira » du 15 août 2014(1), le garde des Sceaux a adressé le 15 mars à tous les magistrats une circulaire pour apporter son éclairage sur le dispositif et faciliter ainsi sa plus large « appropriation ».
Pour mémoire, la loi « Taubira » a défini la justice restaurative comme « permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission ». Mise en œuvre par un tiers indépendant, la mesure de justice restaurative a pour objectif de restaurer le lien social et de prévenir la récidive. Elle peut être proposée à tous les stades de la procédure et ne constitue pas, en elle-même, un acte de procédure. Elle est une voie offerte aux parties, facultative, et sans conséquence sur le déroulement de la procédure judiciaire, qui s’exerce en parallèle. Elle peut même être mise en œuvre pour une infraction qui ne sera pas poursuivie (dans le cas d’une infraction prescrite ou insuffisamment caractérisée, par exemple).
La circulaire en précise notamment le cadre normatif et en définit les principes et conditions de mise en œuvre. Elle livre également, en annexe, quelques exemples de mesures(2).
Le ministre rappelle qu’il y a quatre conditions préalables à la mise en œuvre d’une mesure de justice restaurative :
→ la reconnaissance des faits par l’auteur. Ce dernier doit reconnaître à la fois son implication et sa responsabilité ;
→ le consentement exprès des victimes et des auteurs. Celui-ci doit être recueilli par écrit, par le tiers chargé de la mesure, préalablement à sa mise en œuvre. Les parties ne peuvent en aucun cas être contraintes à participer et demeurent libres de quitter le processus à tout moment ;
→ une information claire doit être délivrée aux victimes et aux auteurs tant sur les modalités de mise en œuvre, les enjeux et les garanties de contrôle que sur la confidentialité des échanges ou bien encore leur faculté d’interrompre le processus à tout moment ;
→ l’intervention d’un tiers indépendant formé. Issus d’horizons différents (membres du personnel du secteur public ou associatif habilité de la protection judiciaire de la jeunesse [PJJ] ou du service pénitentiaire d’insertion ou de probation [SPIP], avocats, intervenants associatifs…), ces intervenants ne doivent pas être directement en charge des victimes ou des auteurs. Notons toutefois que, dans le cas des associations exerçant dans le secteur socio-judiciaire ou celui de l’aide aux victimes, cette règle de non-cumul s’applique à la personne animant la mesure et non à la structure gestionnaire. « Ainsi, estime le ministre, la répartition des dossiers entre intervenants ou la désignation de personnels dédiés garantira le respect de ce principe. »
Au passage, Jean-Jacques Urvoas rappelle que la loi ne prévoit pas d’habilitation particulière de structures associatives. « Il pourra être fait appel au réseau des associations du secteur socio-judiciaire habilité et à celui des associations conventionnées soit par la PJJ, soit par les cours d’appel pour les actions relatives à l’aide aux victimes. »
La circulaire indique qu’un projet partenarial associant l’ensemble des acteurs concernés (autorité judiciaire, barreau, SPIP, PJJ, secteur local associatif socio-judiciaire, secteur associatif localement dédié à l’aide aux victimes) doit être élaboré en amont de la mise en œuvre d’une mesure de justice restaurative. Ce projet doit être formalisé par une convention définissant la méthodologie employée, les étapes du projet, son financement, le fonctionnement du dispositif et le rôle de chacun des acteurs. Un exemple de convention est présenté en annexe de la circulaire.
La mesure de justice restaurative est proposée aux parties par les autorités judiciaires, le SPIP, la PJJ, les associations d’aide aux victimes ou toute association socio-judiciaire habilitée par la cour d’appel. Les victimes et auteurs peuvent également en faire eux-mêmes la demande auprès de ces mêmes acteurs. S’ils sont mineurs, cette demande doit être formulée avec leurs parents ou représentants légaux. Et si la mesure est sollicitée par l’auteur des faits, la victime est contactée par l’intermédiaire de l’association d’aide aux victimes. Vient ensuite un temps de préparation des participants. Des échanges sont organisés en amont de la mise en œuvre de la mesure et ont pour objectif de sécuriser ceux à venir.
Au-delà, toute une partie de la circulaire est consacrée au contrôle effectué par l’autorité judiciaire sur la mesure de justice restaurative, suivant le moment où elle intervient.
Quel que soit le déroulement de la mesure, son échec ou son succès reste sans incidence sur la réponse pénale. En pratique, la mesure de justice restaurative peut indirectement faciliter l’exécution de la réparation ou influer positivement sur l’exécution de la peine mais, quelle que soit l’issue du processus :
→ la mesure n’a pas d’incidence sur la décision d’engager des poursuites ou de classer, ni sur la détermination de la culpabilité, ni sur le choix de la peine ou de ses modalités d’exécution (dispense ou réduction de peine, par exemple) ;
→ si l’auteur de l’infraction décide de quitter le dispositif, cette décision ne peut lui être préjudiciable et est dénuée de toute répercussion sur sa situation pénale ;
→ la mesure n’a pas d’effet sur l’octroi d’éventuels dommages-intérêts dus à la partie civile, y compris sous forme transactionnelle, ni sur l’indemnisation de la victime dans le cadre d’une alternative aux poursuites.
Cette autonomie de la mesure de justice restaurative « implique une imperméabilité », résume le ministre. Cette imperméabilité est notamment garantie par la confidentialité des échanges, imposée par la loi. « Si l’autorité judiciaire est informée de la mise en place d’un dispositif de justice restaurative et peut avoir connaissance des personnes qui y participent, aucun écrit sur la teneur des échanges ne peut lui être transmis, sauf accord des deux parties ou si un intérêt supérieur le justifie », indique à cet égard la circulaire. Les propos tenus par les parties ne peuvent être utilisés comme aveu judiciaire ou extrajudiciaire. Et les pièces échangées lors de la mesure ne peuvent être versées dans une autre procédure pénale, civile, familiale, prud’homale ou commerciale.
(1) Loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales – Voir ASH n° 2881 du 31-10-14, p. 39.
(2) Comme les « rencontres condamnés-victimes », espace de parole entre personnes qui ne se connaissent pas mais qui, concernées par un même type d’infraction, échangent sur les répercussions de l’acte commis.