Permettre aux personnes fragilisées par le vieillissement de « sortir du choix binaire » auquel elles sont aujourd’hui confrontées – rester au domicile ou entrer en établissement –, c’est l’objectif des porteurs de projets d’habitat alternatif à destination des personnes âgées. Alors que la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) vient de rendre publics les résultats d’une « enquête nationale relative à l’habitat alternatif/inclusif pour personnes handicapées, personnes âgées, personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative ou leurs aidants » (voir ce numéro, page 12), le collectif Habiter autrement(1) dévoile les conclusions d’une étude qualitative réalisée entre juillet et décembre 2016 sur dix projets menés dans le champ de l’« habitat alternatif, citoyen, solidaire et accompagné, prenant en compte le vieillissement ». Par cette appellation, les auteurs décrivent des habitats « se situant hors loi 2002-2 et accessibles financièrement », portés en partenariat par des acteurs divers (collectivités, associations, particuliers), qui associent des logements adaptés réservés aux personnes âgées, un espace collectif partagé et l’intervention de salariés et de bénévoles pour l’accompagnement de proximité des habitants.
Des initiatives de trois types ont été identifiées, à commencer par celles qui s’inscrivent dans un « ancrage local, portées en partenariat par des élus locaux, des bailleurs sociaux et des acteurs de la gérontologie pour proposer aux habitants vieillissants, plutôt autonomes à l’entrée, un habitat adapté avec un accompagnement préventif de la perte d’autonomie ». On relève ensuite « des initiatives impulsées par des citoyens pour proposer une alternative à l’EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] à des personnes très fragilisées par des pathologies liées au vieillissement » et, enfin, celles portées par des associations qui « souhaitent accompagner le vieillissement de personnes fragilisées par une précarité sociale ou économique ». Suivant les spécificités des projets, l’accompagnement combine différents types d’interventions. Ils sont de quatre natures : la veille ou l’« attention bienveillante des intervenants et des habitants entre eux pour détecter les difficultés ou les situations de crise », à l’origine de tous les dispositifs, le soutien à la convivialité – « un élément essentiel pour ces habitats » –, l’aide à la personne et aux actes de la vie quotidienne, qui n’est intégrée que dans une minorité des réalisations, et l’aide à l’inclusion sociale, « attendue et appréciée des habitants de la plupart des dispositifs étudiés ». Les projets d’habitat alternatif qui s’adressent à des personnes plutôt autonomes à l’entrée n’intègrent pas l’intervention de salariés pour de l’aide à la personne, ou alors de façon très ponctuelle. Certaines des réalisations étudiées interrogent cependant le moyen d’accompagner plus longtemps les personnes quand le besoin d’aide s’accroît, en travaillant sur la complémentarité entre le soutien apporté dans le cadre du dispositif et celui procuré par l’aide individuelle hors de ce cadre.
Le choix du profil des intervenants professionnels « semble directement lié à la mission » : auxiliaires de vie dans le cas de l’aide à la personne, travailleurs sociaux (éducateurs, assistants de service social) dans le cas du soutien à l’inclusion sociale des personnes en situation de précarité. En ce qui concerne le soutien à la convivialité, le choix « semble être davantage lié au secteur d’origine du porteur [de projet] principal » : par exemple, les acteurs du médico-social ont choisi des auxiliaires de vie, des aides-soignants ou des animateurs, tandis que les bailleurs se sont tournés vers leurs agents de proximité. Si la préparation des salariés avant leur prise de fonction est très diverse, un seul des habitats étudiés a donné lieu à une session de formation spécifique.
Ces habitats font également « une large place tant aux habitants qu’aux bénévoles et aux familles ou proches aidants ». Ces derniers sont plus ou moins présents, suivant les configurations familiales et le besoin d’aide des personnes. « Les familles apprécient la sécurité apportée par le dispositif et sont rassurées par la présence régulière des intervenants », relèvent les auteurs. Les proches des personnes les plus fragilisées « apprécient d’être déchargés du soin et des tâches matérielles et de retrouver un positionnement plus naturel auprès de leur parent ». Quant aux bénévoles, ils interviennent essentiellement dans le soutien à la convivialité et surtout dans les dispositifs qui s’appuient en premier lieu sur l’aide à la personne ou l’aide à l’inclusion. Leur présence « apporte une dynamique », mais elle « est conditionnée par l’existence d’un partenaire capable de les mobiliser de façon importante et régulière afin d’assurer une continuité de l’accompagnement ». Les auteurs notent cependant que « la répartition des rôles entre les bénévoles et les salariés n’est pas toujours bien vécue, en particulier dans les habitats où les [seconds] assurent de l’aide à la personne dans un temps contraint alors que les [premiers] ont une mission plus valorisante, car porteuse de lien ».
Ces habitats affichent également l’ambition d’être accessibles à des personnes aux revenus modestes. L’étude montre que « c’est la synergie entre les différents partenaires qui permet de faire face à ce défi, car aucune des réalisations étudiées ne s’appuie sur une refacturation aux locataires de l’ensemble des coûts ». Ainsi, les coûts indirects (ingénierie sociale liée à la conception du dispositif, gestion du personnel et de la coordination des différents acteurs, vacance locative) sont rarement assumés par les locataires. « La viabilité de ces dispositifs repose donc sur l’engagement des porteurs de projets qui supportent une partie des coûts directs et indirects et de facto des partenaires qui les subventionnent. »
Cependant, « la cible reste étroite ». Pour les habitats réalisés dans le logement social, les revenus des locataires doivent être inférieurs à un plafond correspondant au type de financement du logement : 1 000 € pour un logement en PLAI (prêt locatif aidé d’intégration) et 1 500 € pour un logement en PLUS (prêt locatif à usage social). « Des personnes peuvent être exclues de ce type d’habitat alors que leurs ressources ne dépassent les plafonds que de très peu. D’autres, dont les revenus correspondent aux plafonds, ne peuvent intégrer certains dispositifs si elles ne disposent pas d’un patrimoine complémentaire à mobiliser pour payer le service. »
Enfin, « les projets d’habitats étudiés se situent hors loi 2002-2, car celle-ci laisse actuellement peu de place à l’initiative citoyenne et peu de possibilités de création de nouvelles structures. En contrepartie de la souplesse apportée par ce choix, ces projets s’exposent à différentes difficultés liées, en particulier, au risque de requalification en ESSMS [établissements et services sociaux ou médico-sociaux] et aux spécificités de la gestion locative dans le logement ordinaire et dans le parc social ».
L’habitat alternatif, citoyen, solidaire et accompagné « est complémentaire de l’offre en établissement et correspond à une évolution des attentes citoyennes : désinstitutionnalisation, désir d’être acteur de son propre vieillissement, de décider soi-même où mettre le curseur entre sécurité et autonomie, individuel et collectif, concluent les auteurs. Il a un rôle de prévention de la perte d’autonomie conciliant autonomie, sécurisation et lien social et peut éviter l’entrée en institution de personnes peu dépendantes ne disposant pas des ressources pour organiser seules les aides leur permettant de rester vivre dans leur domicile. »
Reste un défi de taille : celui du financement de ces structures. C’est l’un des objets des propositions du collectif Habiter autrement afin de « promouvoir et développer des formes alternatives d’habitat pour le public vieillissant » qu’il a soumises aux candidats à l’élection présidentielle. Il appelle d’abord ces derniers à reconnaître le rôle essentiel de ces habitats dans la prévention de la perte d’autonomie et le fait « que l’âge peut être un critère prioritaire dans les attributions des logements du parc social, comme pour le handicap ».
Le collectif demande ensuite que soit donnée, au niveau national, la possibilité de mettre en commun les moyens ouverts par les aides de type APA (allocation personnalisée d’autonomie) et PCH (prestation de compensation du handicap) « pour financer, entre habitants, un service partagé leur redonnant ainsi un droit à la solidarité ». Il propose par ailleurs de mettre en place un dispositif permettant « la prise en compte de la coordination et de l’animation de ces lieux comme de l’aide à la personne », en leur associant des avantages fiscaux et en reconnaissant qu’ils contribuent au maintien de l’autonomie et peuvent donc être intégrés aux plans d’aide définis par les départements dans le cadre de l’APA. Sur le plan du financement, Habiter autrement recommande de mobiliser les budgets du logement social, ce pour financer ces nouveaux habitats en intégralité (logement et parties communes). Enfin, le collectif appelle à solliciter les acteurs institutionnels (CNSA, CNAV, MSA…) « pour un soutien et une promotion concertés aux nouveaux types d’habitats alternatifs ». Il en appelle aussi aux conférences départementales des financeurs « afin qu’elles prennent en compte ces initiatives d’habitat alternatif dans leur programme ».
(1) Ce collectif, créé en 2012 à l’initiative des Petits Frères des pauvres, regroupe des acteurs interassociatifs promoteurs de l’habitat alternatif.