Dans certaines organisations, il est signé par les directeurs. Dans d’autres, il prend la poussière sur l’étagère. Parfois présenté sous forme de tableau, souvent rédigé sur une dizaine de pages, le document unique de délégation (DUD) constitue un document de référence dans les ESSMS. Encastré dans les contrats de travail des différents niveaux hiérarchiques, les fiches de poste ou encore les délégations de pouvoir – avec lesquelles il ne se confond pas –, « le DUD doit donner aux autorités de contrôle et de tarification une vision synthétique de la gouvernance et du fonctionnement de l’association », rappelle Véronique Dorval, directrice adjointe de l’Uriopss (Union régionale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux) Bretagne. Depuis un décret de février 2007 (voir encadré), il est obligatoire. Mais, faute de précisions sur sa forme, chaque organisation l’aborde à sa façon.
Au sein de l’ADSEA 63 (Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Puy-de-Dôme), la première version du DUD remonte à 2011 et revêtait « une dimension assez politique », rapporte Didier Comte, directeur général (DG) : « Il y était beaucoup question des relations avec l’extérieur. » A son arrivée dans l’association, en 2012, il constate que le document est « affiché partout et connu de tous les salariés », mais le juge toutefois insuffisant : « Il était indispensable de le compléter par des fiches de poste et de décliner des délégations de pouvoirs car des éléments très pratiques manquaient. » Retouché à la marge depuis, le DUD demeure « un outil de référence » dans cette association « engagée et mouvante » à la culture « collaborative » : face à l’implication ou à la véhémence de certains salariés ou représentants du personnel, « le DUD permet de clore une discussion et de rappeler qui prend les décisions », résume Didier Comte.
Pour Sylvie Bonniot, formatrice et coach de dirigeants, le document unique de délégation « reflète nécessairement le style de management de la structure », lui-même influencé par le type de public accompagné – plus ou moins institutionnalisé –, l’environnement ou encore la composition du conseil d’administration (parents, société civile, magistrats…). Des éléments dont la connaissance revêt une importance particulière à l’occasion des rapprochements associatifs : « Parce qu’il met en relief les niveaux d’autonomie et de compétence, le DUD permet d’appréhender la culture de l’organisation », souligne la consultante. D’ailleurs, les autorités de contrôle et de tarification lui accordent une attention croissante, constate Véronique Dorval. « La gouvernance est observée assez finement, avec une vigilance particulière sur le respect de la place de chacun, et parfois des injonctions à clarifier les choses, par exemple pour prévenir le risque qu’un administrateur bénévole devienne dirigeant de fait. »
Ainsi, le DUD accompagne et suit la vie des organisations. « Cela doit être un outil évolutif », affirme François Siebert, directeur général des PEP 57 (Pupilles de l’enseignement public de Moselle). Sur le point de réécrire son projet pour la période 2018-2022, l’association « mettra sans doute à jour son DUD dans la foulée ». Le premier, rédigé en 2010, actait la création de la fonction de directeur général ainsi que la volonté associative de « s’approprier davantage les activités », dans le cadre du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) fraîchement signé. « Il a fallu plusieurs réunions de discussions et d’arbitrage, se souvient le DG. Les directeurs perdaient des prérogatives, c’était assez sensible. » La deuxième version s’est imposée quatre ans plus tard, à la faveur d’une réorganisation en pôles. « Comme nous avons pu nous appuyer sur les carences du précédent, l’exercice a été beaucoup plus facile. » La principale vertu du DUD, selon François Siebert ? « Il permet de bien séparer le politique du technique. Par exemple, nous avons décidé qu’à part le DG, les dirigeants ne seraient plus invités dans les conseils d’administration. Cette décision a eu une vraie incidence sur la capacité des élus à s’approprier les enjeux, et évite que les instances soient parasitées par des questions pratiques qui peuvent être réglées dans les services. »
Document opérationnel par excellence, le DUD doit avant tout répondre à des préoccupations pragmatiques, insiste Didier Comte : « Il doit permettre au système de fonctionner de façon fluide », sans bloquer toute possibilité d’initiative. Qu’il s’agisse de décisions en matière d’achats, de ressources humaines ou de développement des activités, la vie des organisations se nourrit de réactivité au quotidien, observe-t-il. Concluant : « Finalement, il y a le DUD et il y a la marge de manœuvre que peuvent s’autoriser les directeurs. Ce n’est pas un code de procédure. Même quand il est bien fait, il faut savoir s’en extraire un peu. »
Le DUD a été institué par le décret du 19 février 2007 sur la qualification des directeurs, qui a créé l’article D. 312-176-5 du CASF (code de l’action sociale et des familles). Ce document doit permettre au gestionnaire d’ESSMS de lister par écrit « les compétences et missions confiées par délégation » aux directeurs. Le DUD doit être communiqué à l’autorité ayant délivré l’autorisation, ainsi qu’au CVS (conseil de la vie sociale). Il précise « la nature et l’étendue de la délégation », notamment dans les quatre grands domaines essentiels de la fonction de direction : « conduite de la définition et de la mise en œuvre du projet d’établissement ou de service, gestion et animation des ressources humaines, gestion budgétaire, financière et comptable, coordination avec les institutions et intervenants extérieurs ».
« L’Adapei-Aria de Vendée est issue de la fusion entre les deux associations au 1er juillet 2014. Chaque organisation disposait, bien sûr, de son propre DUD. La fusion nous a conduits à le réécrire entièrement, d’autant plus que nous avions revu notre organigramme, avec une organisation en quatre pôles d’activités, chapeautant nos 90 implantations dans le département. Nous avons construit le DUD sous la forme d’un tableau. Organisé par paramètres de responsabilité (administration générale, ressources humaines, patrimoine, sécurité, gestion des risques), il recense les actions et la répartition des niveaux d’intervention et de responsabilité entre les administrateurs, les cadres dirigeants du siège et ceux opérationnels. Le principe retenu étant celui de circuits courts, autorisant des prises de décision de proximité. Le directeur général tient ses pouvoirs du conseil d’administration et délègue une partie de ceux-ci auprès des cadres dirigeants du siège ainsi qu’aux directeurs de pôles. Ces derniers distribuent des subdélégations aux directeurs d’établissements et de services. Seule une direction opérationnelle (celle du service d’aide aux majeurs protégés) reste rattachée directement à la direction générale, afin de garantir une défense optimale des droits et intérêts de la personne. Au total, le DUD décline environ 200 actions réparties selon huit périmètres de délégation. Au chapitre des sanctions disciplinaires, par exemple, quatre situations sont établies et, pour chacune, il est précisé ce qui relève du directeur, du directeur de pôle, du DRH et du DG, tant en matière de conduite et de validation du processus que de décision. Sur cette base, les délégations de pouvoirs précisent les termes de la délégation et de la codélégation, qui permettent d’envisager tous les cas de figure. Le DUD s’inscrit dans un corpus global, baptisé « référentiel managérial », qui vise à instaurer de la cohérence entre l’ensemble des outils supports de l’action managériale (statuts, délégations de pouvoir, fiches de poste, délégations de signature…). Chaque cadre possède une copie de ce référentiel, et peut situer son action. Pour moi, cette transparence est indispensable, car je suis convaincu qu’on ne peut accepter de délégation que si l’on est intimement convaincu que la chaîne du pouvoir est correctement établie. »