En Belgique, des travailleurs pairs au sein des services publics

« Le financement de notre expérience est remis en cause chaque année, mais finalement, nous sommes là depuis dix ans et nous avons fait nos preuves ! », se félicite Frédéric Lemaire, coordinateur du projet « Experts du vécu en pauvreté et exclusion sociale », rattaché au service public fédéral de programmation (SPP) « Intégration sociale »(1). « L’aventure a commencé en 1994, au lendemain d’élections régionales qui avaient vu la montée d’un discours antipauvres », se souvient-il. En réaction, le ministère de l’Intégration sociale commande un « rapport général sur la pauvreté », publié en 1995. « Cette enquête a eu l’effet d’un électrochoc, nous faisant comprendre que nous savions bien peu de choses sur les pauvres et mettant en lumière la nécessité d’une politique orientée vers une plus grande inclusion de ces personnes dans les décisions les concernant ».

En 2004, des « experts du vécu » sont intégrés, avec un cofinancement du Fonds social européen (FSE), dans les principaux services publics fédéraux accueillant du public, comme le secteur hospitalier et la sécurité sociale. L’expérience a un double objectif : faire entendre le point de vue des personnes qui vivent dans la pauvreté et améliorer l’accessibilité des services publics pour tous les citoyens, en particulier les plus précaires.

Actuellement, 34 experts du vécu sont engagés en CDI(2). « Il s’agit principalement de personnes qui ont passé le cap de l’isolement lié à la précarité, souvent déjà engagées dans des associations ou faisant du militantisme », précise leur coordinateur. En relation directe avec les usagers, ils ont pour mission d’améliorer l’accueil, de les soutenir dans leurs procédures administratives et aussi de formuler des propositions d’amélioration, de simplification des procédures et de signaler des besoins encore non perçus par les services publics.

« Bien entendu, tout n’a pas été simple !, confie Frédéric Lemaire. Si l’encadrement était plutôt partant, les pionniers ont dû faire face à des préjugés de la part des agents des services – les pauvres ne savent pas se présenter, vont faire peur… – mais aujourd’hui, on a la méthode pour assurer leur intégration. » La réussite de la greffe « tient à la capacité de l’équipe en place à examiner son fonctionnement et ses pratiques », ajoute-t-il.

Chaque expert du vécu est soutenu par un « mentor » dans son service de détachement et par l’équipe de coordination du SPP « Intégration sociale ». Concernant leur formation, « on est davantage dans la coconstruction d’un savoir entre l’expert du vécu et son mentor, avec, en plus, des formations en bureautique ou en seconde langue (bilinguisme) », précise Frédéric Lemaire. Il estime qu’une formation en travail social « n’est pas indiquée », car « les experts ont leurs compétences ».

Après dix ans, l’existence des experts du vécu surprend encore. « Quand nous présentons l’expérience, par exemple dans des écoles d’assistantes sociales, nous faisons toujours face à la même réflexion : “Vous confiez une mission à des personnes sans diplôme !” », Le SPP « Intégration sociale » met en avant un bilan « très positif » selon Frédéric Lemaire(3), « avec de vrais déblocages » dans les parcours des personnes accompagnées.