C’est un « événement unique », a insisté Dominique Watrin en ouverture de la rencontre nationale des acteurs de l’aide à domicile organisée le 9 mars au Palais du Luxembourg, à Paris. Le sénateur du Pas-de-Calais, membre du groupe communiste, républicain et citoyen (CRC), coauteur, en juin 2014, d’un rapport sur les difficultés financières des services d’aide et d’accompagnement à domicile(1), a réuni autour de la même table les représentants des organisations syndicales de salariés, des fédérations employeurs, et des associations et syndicats de retraités. Les parties prenantes ont, à travers cette rencontre, affiché un « objectif commun », selon le sénateur : « l’urgence d’un juste prix de rémunération des services pour la dignité des personnes âgées en perte d’autonomie et des salariés de l’aide à domicile ». Les questions financières ont en effet été au cœur des débats, qu’elles concernent les niveaux de rémunération des salariés, les restes à charge des usagers ou la pérennité financière des structures.
Déjà, en 2014, le rapport sénatorial pointait « la nécessité de renforcer durablement la participation de l’Etat dans le financement de l’APA [allocation personnalisée d’autonomie] et de la PCH [prestation de compensation du handicap], afin d’assurer la solvabilisation et la qualité des interventions des structures d’aide à domicile ». Au lieu de cela, « la participation de l’Etat est passée de 42 % du montant des plans d’aide en 1997 à 31 % en 2016 : un vrai désengagement national ! », a déploré Dominique Watrin. Les acteurs de l’aide à domicile plaident donc pour la définition, sur la base de l’étude nationale des coûts réalisée sur les prestations d’aide et d’accompagnement à domicile, dont les résultats ont été rendus publics en août 2016, d’un tarif national de référence de l’APA, modulable suivant les caractéristiques des départements.
Or la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) a, dans sa version définitive, « totalement tourné le dos à cet objectif », s’est emporté Dominique Watrin, en expliquant qu’un amendement adopté en commission mixte paritaire (CMP) a substitué « au concept de tarif national de référence (au singulier), des tarifs nationaux de références non opposables, ce qui revient de fait à laisser faire chaque département et à renoncer à un tarif socle ». Le groupe CRC militait pour sa part pour l’instauration d’un tarif national de référence opposable et correspondant aux résultats de l’étude de coûts, selon laquelle le coût horaire global moyen pour les services s’élevait à 24,24 € en 2013. « Nous proposions que cette augmentation du tarif, eu égard aux difficultés financières des départements, soit intégralement prise en charge par l’Etat, pour la partie comprise entre le tarif moyen pratiqué par les départements et le tarif cible de 25 € », a poursuivi le sénateur, qui constate « l’inquiétude grandissante des structures associatives confrontées pour la plupart à une rémunération des services inférieure au coût de revient ». Et d’égrener les chiffres symptomatiques de la crise profonde que traverse le secteur : 107 associations d’aide à domicile auraient mis la clé sous la porte ces deux dernières années, 10 000 emplois auraient été supprimés entre 2009 et 2012, sans oublier la sous-rémunération de « personnels précarisés, réduits à vivre avec 832 € de salaire moyen par mois ». Le secteur est par ailleurs marqué par un taux de sinistralité (accidents du travail, maladies professionnelles) quatre fois plus élevé que la moyenne. Dominique Watrin n’a pas oublié les usagers soumis à « des doubles restes à charge » quand le département ne rémunère les services qu’à 17,50 € ou 18,50 € de l’heure, les amenant à acquitter à la fois le ticket modérateur sur le plan d’aide APA fixé par un barème national si leurs revenus sont supérieurs à 800 € par mois et le paiement du différentiel entre le financement départemental et le tarif réel facturé par l’association, parfois de trois ou quatre euros de l’heure en plus.
Un tableau sombre que n’ont guère éclairci les différents intervenants. Sylviane Spique, s’exprimant au nom des neuf syndicats et associations de retraités, elle-même représentant la CGT (Confédération générale du travail), a notamment pointé que le prélèvement de 0,3 % sur les pensions de retraite visant à financer la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA), instituée par la loi de financement de la sécurité sociale en 2013, revenait à faire financer la perte d’autonomie par les retraités. « Cela casse la solidarité intergénérationnelle ».Il faut, a-t-elle lancé, « repenser l’aide à domicile autrement », défendant l’idée que, quels que soient l’âge et la situation de la personne (handicap, dépendance), celle-ci « bénéficierait d’un droit identique à compensation ». Elle a ainsi plaidé pour la « création d’un grand service public de l’autonomie permettant la coordination des acteurs du social et du médico-social et relevant de la sécurité sociale, car l’autonomie est un droit au même titre que la santé ».
Nathalie Delzongle, de la CGT Organismes sociaux, parlant au nom des organisations syndicales de la branche (outre la CGT, la CFDT Santé action sociale, FO Action sociale, la CFTC Santé-sociaux), a pour sa part insisté sur les difficultés des quelque 226 000 salariés de l’aide à domicile en ce qui concerne la rémunération (salaire brut de 972 € après 15 ans d’ancienneté pour les non-diplômés), la pénibilité (taux de 16 % d’inaptitudes), la perte de pouvoir d’achat… « Le secteur produit des travailleurs pauvres et en grande précarité », a-t-elle résumé, dénonçant également le manque de reconnaissance de ces « socles de la cohésion sociale ».
Relayant, quant à lui, la parole des quatre fédérations employeurs (à savoir Adessadomicile, UNA, ADMR et Fnaafp/CSF), Julien Mayet, président d’USB-Domicile, a rappelé que depuis 2002, année de la mise en œuvre de l’APA, de la loi rénovant l’action sociale et médico-sociale et de l’accord de branche sur l’emploi et les rémunérations, aucune avancée n’a été enregistrée pour le secteur de l’aide à domicile. « Toutes les capacités d’investissement et d’innovation sont mises à mal ». Revenant sur le non-respect de la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) par un certain nombre de départements, Julien Mayet a déclaré qu’il ne fallait pas pour autant « exonérer l’Etat de ses responsabilités », signalant que la baisse des dotations aux collectivités était répercutée sur les associations en bout de chaîne.
Plusieurs sujets sont revenus avec récurrence, en particulier l’affirmation selon laquelle le secteur de l’aide à domicile n’est « pas une charge pour la société, mais une richesse ». C’est même « une économie », selon Josette Ragot, auxiliaire de vie à l’aide à domicile en milieu rural (ADMR) dans le Morvan et représentante FO, qui a insisté sur le « rôle énorme de prévention » joué par les aides à domicile, en première ligne pour constater la dégradation de l’état de santé de la personne, pour éviter les hospitalisations d’urgence…
En écho, Guillaume Quercy, président depuis le 21 septembre 2016 de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), a déclaré que ces professionnels étaient « les premiers acteurs de santé de France », la santé étant prise ici au sens de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avec une dimension de prévention et de bien-être. Au centre des discussions également, on trouve la revalorisation professionnelle et salariale, la formation professionnelle, le soutien des aidants, ainsi que la valorisation des métiers… Et, parmi les suggestions, la prise en charge par l’Etat de la formation continue des aides à domicile, ou encore l’instauration d’un pôle public national dans l’objectif de coordonner les politiques publiques de l’autonomie.
Quelles suites donner à cette rencontre nationale du 9 mars ? L’ambition première, selon le sénateur Dominique Watrin, était de « porter plus haut et plus fort les constats partagés de ce secteur auprès des pouvoirs publics » et d’« exiger ensemble, avec la force et la conviction nécessaires, le respect de l’étude nationale d’évaluation des coûts ». Les acteurs présents à l’événement du Palais du Luxembourg se sont accordés pour demander une rémunération des services à domicile à hauteur de 25 € de l’heure. Une revendication qu’ils envisagent de porter auprès des pouvoirs publics, à commencer par les candidats à l’élection présidentielle.
Deux des principales fédérations d’aide à domicile, Adessadomicile et l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles), ont réalisé une étude sur les difficultés financières des associations de service à domicile. Menée entre 2013 et 2015 auprès de 400 structures adhérentes, elle montre par exemple que sur un échantillon de 416 structures intervenant auprès des personnes âgées, on constate une perte moyenne de 37 centimes par heure d’intervention réalisée, ce qui représente un déficit cumulé de 14,2 millions d’euros, soit une perte moyenne de 34 191 € par structure et par an. Sur les trois années observées, le coût de revient moyen a augmenté de 3,75 %, passant de 23,19 € en 2013 à 23,54 € en 2014, pour atteindre 24,06 € en 2015, « confirmant la tendance observée par les services, à savoir une augmentation récurrente de leurs coûts ces dernières années ». Autre information : sur l’exercice 2015, l’écart entre le tarif minimal et le tarif maximal pratiqués par les conseils départementaux pour une heure d’intervention financée dans le cadre du plan d’aide APA (allocation personnalisée d’autonomie) est de 9,07 € de l’heure, avec une moyenne de 21,13 € et un tarif médian de 21,05 €. Des résultats qui confortent la revendication portée par les acteurs de l’aide à domicile lors de leur rencontre nationale de fixer un tarif unique horaire à 25 €. Adessadomicile et l’UNA ont par ailleurs adressé aux candidats à l’élection présidentielle, le 14 mars, un document recensant « 15 mesures pour permettre aux Français de vivre à domicile ». Elles réclament d’abord de « reconnaître le droit fondamental pour tous de pouvoir vivre à domicile » et appellent de nouveau à la création d’un cinquième risque, soutenu par la solidarité nationale, englobant les financements nécessaires aux besoins des personnes aidées et soignées à domicile et « garantissant une équité d’accès aux services à domicile [à tout le monde], quel que soit son lieu d’habitation ». Les deux fédérations demandent par ailleurs le respect du code de l’action sociale et des familles par les départements et son application de « manière uniforme sur l’ensemble du territoire ». Elles proposent également de refondre la prestation de compensation du handicap (PCH) en revalorisant son montant et en réformant ses modalités d’accès. Autres préconisations : le développement d’une « politique de prévention et de santé de proximité accessible à tous », la valorisation des métiers de l’aide, de l’accompagnement et des soins à domicile et l’amélioration des conditions de travail des salariés. L’UNA et Adessadomicile plaident enfin pour que l’on reconnaisse « que les entreprises associatives ont un rôle d’innovation sociale et réalisent des missions d’intérêt général ». Cette plateforme de propositions est également l’occasion pour les deux organisations de souligner que, au niveau national, « le financement n’est pas au rendez-vous » puisqu’il manque entre 1 et 1,5 milliard d’euros pour la prise en charge des personnes âgées et/ou handicapées à domicile.