Le Parlement a définitivement adopté, le 14 février dernier, la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Un texte, publié au Journal officiel du 1er mars, qui vise à mettre en place de nouveaux dispositifs pour réduire les écarts de développement entre les populations d’outre-mer et de métropole.
Aujourd’hui, « l’égalité avec l’Hexagone demeure, pour nombre des 2,75 millions de Français vivant outre-mer, une réalité parfois encore bien trop lointaine », expliquait l’exposé des motifs du projet de loi. « En effet, en dépit des politiques publiques volontaristes menées par l’Etat et les collectivités territoriales des outre-mer, les écarts de niveaux de vie constatés entre les outre-mer et la France hexagonale restent considérables et affectent l’égalité des droits économiques et sociaux et des opportunités économiques que la République, par la solidarité nationale, doit garantir à tous les citoyens français. »
Face à cette situation, le texte affirme dès son article premier que l’objectif de parvenir, pour les populations des outre-mer, à une égalité réelle au sein du peuple français constitue une « priorité de la Nation ». Dans cette optique, il définit les principes, la méthodologie et les instruments des politiques publiques en faveur de l’égalité réelle qui devront permettre une convergence des niveaux de vie à un horizon de long terme.
Parmi les innovations proposées, un nouvel instrument de planification, élaboré à l’échelle de chaque collectivité de manière partenariale, définira les voies pour atteindre l’objectif d’égalité réelle à l’horizon de 10 à 20 ans. Signé entre l’Etat et la collectivité, ce « plan de convergence » comprendra notamment un « diagnostic économique, social, financier et environnemental du territoire » ainsi qu’un « diagnostic portant sur les inégalités de revenu et de patrimoine, les discriminations et les inégalités entre les femmes et les hommes », indique la loi. Il prévoira également une « stratégie de convergence de long terme », qui déterminera le niveau de réduction des écarts de développement à atteindre à son terme, fixera les orientations fondamentales pour y parvenir et comprendre des actions en matière, entre autres, de développement social, de santé et d’accès aux soins, d’éducation, de lutte contre l’illettrisme, de formation professionnelle, d’emploi, de logement ou bien encore d’accès à la justice ou aux services publics.
La loi introduit par ailleurs plusieurs dispositions de nature économique et sociale en faveur des territoires ultramarins. Une attention particulière est apportée au département de Mayotte, qui présente les écarts de développement les plus importants par rapport à l’Hexagone et où seules quelques prestations familiales étaient jusqu’à présent servies (allocations familiales, allocation de rentrée scolaire, allocation de logement familial et allocation d’éducation de l’enfant handicapé [AEEH]).
Concrètement, la loi accélère le rythme de revalorisation des allocations familiales pour se rapprocher, dès 2021 (au lieu de 2026), des montants en vigueur au niveau national. E lle prévoit par ailleurs l’extension à Mayotte du complément familial (CF) et du montant majoré du complément familial à partir du 1er janvier 2018. Pour mémoire, le CF est versé en métropole, sous condition de ressources, aux familles ayant à charge au moins trois enfants de plus de 3 ans. Dans les collectivités d’outre-mer de droit social commun, le CF est versé, également sous condition de ressources, aux familles ayant au moins un enfant âgé de 3 à 5 ans et aucun enfant âgé de 0 à 3 ans. La loi « égalité réelle outre-mer » rend applicable à Mayotte le complément familial dans les conditions prévues pour les autres collectivités d’outre-mer de droit social commun, avec toutefois quelques différences. Les limites d’âge seront ainsi définies par renvoi à des décrets. De plus, alors que le niveau du plafond de ressources évolue, dans les autres collectivités d’outre-mer, en lien avec l’évolution des prix hors tabac, le législateur l’indexe, à Mayotte, sur le montant du salaire horaire minimum applicable sur l’île.
Toujours à partir du 1er janvier 2018, une majoration spécifique pourra être versée à Mayotte au parent isolé bénéficiaire de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et d’un complément d’AEEH ou bien de l’AEEH et de la prestation de compensation du handicap lorsque l’état de l’enfant nécessite le recours à une tierce personne.
Autre nouveauté : à compter du 1er janvier 2019, la pension de vieillesse ne pourra être inférieure sur l’île à un montant minimal pour les assurés réunissant les conditions du taux plein (âge ou durée d’assurance). Ce minimum sera fixé en pourcentage du salaire horaire minimal applicable à Mayotte et majoré lorsque la durée d’assurance correspondant aux périodes cotisées sera au moins égale à la durée minimale requise pour obtenir le taux plein.
La loi « égalité réelle outre-mer » prévoit encore l’affiliation au régime d’assurance maladie de Mayotte des mineurs pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. « Cette précision vise à combler l’incertitude juridique qui entoure le cas des mineurs non rattachés à un ayant droit majeur, et particulièrement celui des mineurs étrangers isolés, qui sont particulièrement nombreux à Mayotte », a expliqué la rapporteure (LR) de la loi au Sénat, Chantal Deseyne(1).
Enfin, le gouvernement est désormais autorisé à prendre par ordonnances les mesures visant à étendre et adapter à Mayotte les deux compléments de l’allocation aux adultes handicapés destinés aux personnes dont le handicap les empêche d’exercer une activité professionnelle : le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome.
La loi a élargi le champ des personnes pouvant prétendre, dans les départements d’outre-mer (DOM) – hors Mayotte –, à l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). Pour mémoire, cette dernière permet aux personnes interrompant ou réduisant leur activité professionnelle pour s’occuper d’un enfant ou d’un proche handicapé ou dépendant de bénéficier de la prise en charge des cotisations de retraite par la branche famille. L’article L. 381-1 du code de la sécurité sociale prévoit ainsi que les bénéficiaires de certaines prestations familiales sont affiliés obligatoirement à l’assurance vieillesse du régime général, sous condition de ressources et sous réserve qu’ils n’exercent pas d’activité professionnelle. Les prestations citées sont notamment le complément familial, l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) et la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PréParE) ainsi que l’allocation journalière de présence parentale (AJPP). L’AVPF est applicable en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin en vertu de l’article L. 753-6 du code de la sécurité sociale. Jusqu’à présent, toutefois, cet article ne mentionnait que les personnes qui ont la charge d’un enfant ou d’un adulte handicapé ou d’une personne âgée dépendante, en renvoyant aux alinéas 4 à 8 de l’article L. 381-1 du même code, c’est-à-dire en excluant les bénéficiaires du complément familial, de l’allocation de base de la PAJE, de la PréParE et de l’AJPP. La loi a modifié l’article L. 753-6 afin qu’il vise également les bénéficiaires de la PréParE et de l’AJPP. Ces dispositions sont plus précisément entrées en vigueur le 1er janvier 2017 pour les bénéficiaires de l’AJPP et seront applicables le 1er janvier 2018 pour les bénéficiaires de la PréParE.
Autre nouveauté dans les DOM (hors Mayotte) : le plafond de ressources pour prétendre au complément familial (CF) est modifié. Comme en métropole, il existera, à partir du 1er avril 2017, un plafond « couple » et un plafond « personne seule ». Un complément différentiel pourra être versé lorsque les plafonds de ressources seront légèrement dépassés. A partir du 1er avril 2018, les taux respectifs du complément familial et du montant majoré du complément familial augmenteront chaque 1er avril pour atteindre, au plus tard le 1er avril 2020, les taux applicables en métropole.
C’est une mesure qui a été pensée pour les Ultramarins mais qui ne concerne pas spécifiquement l’outre-mer : la loi ajoute la domiciliation bancaire aux motifs de discrimination prohibés, énoncés dans l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses mesures d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et dans l’article L. 1132-1 du code du travail. « Les Ultramarins qui résident en métropole durant une période significative, par exemple lors de périodes de stage, ne disposent bien souvent que d’une domiciliation bancaire située outre-mer », a expliqué la ministre des Outre-Mer, Ericka Bareigts, au cours des débats. Beaucoup d’entre eux conservent également une domiciliation outre-mer quand ils entament des études dans l’Hexagone. Or, « bien souvent », ils « voient leur demande de crédit ou de souscription à un service refusée en raison de leur domiciliation bancaire hors de l’Hexagone », notamment en matière d’accès au logement où, lorsqu’ils transmettent leur relevé d’identité bancaire aux propriétaires bailleurs, ils se voient opposer un refus.
Le législateur permet au gouvernement de prévoir, par décret, une adaptation du montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) et de ses modalités d’attribution, de calcul et de versement pour tenir compte de la situation particulière des départements et collectivités d’outre-mer. Les modalités d’application de l’ADA « doivent pouvoir être adaptées aux spécificités locales et permettre notamment de moduler sa composition et son barème lorsqu’il apparaît que cette allocation est susceptible de présenter un caractère attractif, compte tenu du montant des salaires et allocations auxquels les ressortissants étrangers peuvent avoir accès dans les pays alentours, et concourir ainsi à une pression migratoire » sans rapport avec un quelconque besoin de protection, ont expliqué les sénateurs à l’origine de la mesure au cours des débats. Selon eux, « dans l’immédiat, compte tenu de la pression migratoire particulière qui s’y exerce actuellement, il pourrait être envisagé d’y recourir pour le département de la Guyane ».
(1) Avis Sén. n° 280, Deseyne, janvier 2017, page 21.