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Stratégies de contournement

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Même s’il n’existe pas en France de doctorat en travail social stricto sensu, deux chemins, et bientôt trois, permettent aux apprentis chercheurs de conjuguer leur désir de produire des connaissances dans ce secteur et d’accéder au sommet de la hiérarchie académique.

A la fin des années 1990, la mobilisation du milieu professionnel, appuyée par des universitaires et par la direction de l’action sociale, a abouti à la création de la première – et toujours unique en son genre – chaire de travail social au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Entre autres particularités, ce grand établissement public de formation professionnelle supérieure a la capacité juridique de créer ses propres diplômes. C’est ainsi que toute une filière dédiée au travail social et à l’intervention sociale a pu être développée depuis 2001 : d’abord un diplôme d’études approfondies (DEA), devenu master de recherche, puis un master professionnel et une licence professionnelle. En septembre 2013, la chaire du CNAM a pu ajouter à cette liste le prestigieux titre de docteur. Pas docteur en travail social, puisque ce champ n’est pas reconnu comme une discipline académique par le Conseil national des universités, mais docteur en sociologie ou en sciences de l’éducation, avec mention de la spécialité « travail social ».

Éviter un sous-doctorat

La question du doctorat avait resurgi inopinément trois ans plus tôt. « J’étais tombé quasiment par hasard sur le rapport de l’AERES [Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur] évoquant l’intérêt de développer des doctorats professionnels », explique Marcel Jaeger, titulaire de la chaire du CNAM(1). Plusieurs domaines d’application possibles de cette innovation étaient avancés par l’AERES, tels que l’urbanisme et les politiques de la ville, ou le design et la création industrielle. Rien, en revanche, sur le travail social. Cependant, la liste d’exemples se terminait par « etc. ». « Nous nous sommes engouffrés dans cet “etc.” ! », se souvient Marcel Jaeger avec jubilation. Deux options ont alors été envisagées : soit un doctorat « professionnel » distinct du doctorat académique, comme il en existe dans les pays anglo-saxons, ou comme le modèle français du doctorat de médecine ; soit un doctorat « professionnalisant », qui consisterait en une spécialité « travail social » d’un doctorat généraliste et viserait, comme ce dernier, la production de connaissances, mais dans un périmètre orienté vers les pratiques professionnelles. C’est cette seconde formule qui a été choisie. L’idée était d’éviter de créer une sorte de sous-doctorat, « fermant (à ses titulaires) les portes de la reconnaissance académique en raison de la valeur moindre attribuée à un doctorat produit plus par une logique de professionnalisation que par une démarche scientifique », explique Marcel Jaeger(2).

Des coproductions internationales

Une autre voie a été ouverte par l’institut régional du travail social (IRTS) Paris Ile-de-France pour permettre à des apprentis chercheurs français de faire un doctorat en travail social à part entière : la codirection de thèse avec un pays où cette discipline est reconnue, en l’occurrence le Portugal. « Il s’agit vraiment là d’un doctorat disciplinaire, dont l’objet est le travail social et la finalité, la production de savoirs au service du travail social en tant que profession », souligne Stéphane Rullac, directeur de la recherche et directeur scientifique de l’IRTS. L’expérience des Portugais est d’autant plus intéressante qu’ils ont eux-mêmes dû commencer, dans les années 1980, par diriger leurs premières thèses en travail social avec le Brésil afin de convaincre, en interne, de l’intérêt de la discipline. Pour promouvoir en France la légitimité du doctorat, Stéphane Rullac a adopté la même stratégie : prouver le mouvement en marchant. L’IRTS francilien a donc signé en 2015 un protocole de coopération avec l’Institut supérieur des sciences du travail et de l’entreprise de l’université de Lisbonne (ISCTE-IUL) – auquel, désormais, l’IRTS Languedoc-Roussillon est également associé. En vertu de cette convention, des doctorants inscrits dans l’un des deux IRTS et à l’ISCTE-IUL – ce qui est actuellement le cas de six étudiants – sont à la fois suivis par un enseignant français habilité à diriger des recherches et par un enseignant portugais de la filière doctorale en travail social. Au terme de leur cursus, couronné par une thèse et une soutenance en français, les intéressés décrochent un doctorat en travail social portugais. C’est un grade reconnu en France, comme dans l’ensemble des pays participant au processus de Bologne. Mais, du fait de l’inexistence académique du « travail social » ici, il ne permet pas à son détenteur de devenir enseignant-chercheur, sauf à demander la qualification de son diplôme portugais dans une autre discipline.

Une seule thèse et une seule soutenance (en français) mais deux doctorats, l’un en sciences de l’éducation délivré par l’université de Rouen-Normandie, l’autre en travail social par l’Institut supérieur de service social de l’université Lusíada de Lisbonne (ISSSL) : en utilisant le cadre de la cotutelle internationale de thèse, forme spécifique de codirection définie légalement, cette troisième voie – non encore opérationnelle – a été élaborée par le groupement d’intérêt scientifique (GIS) Hybrida-IS, qui rassemble des chercheurs français et étrangers d’universités et de centres de formation(3). L’objectif, là aussi, est de « sortir de la congélation actuelle du système », selon la formule de Patrick Lechaux, chef de projet du GIS. « Si demain, nous avons en France 10, 15, 20 docteurs en travail social, ça va changer le contexte ! », pronostique Michel Binet, enseignant-chercheur en poste à l’ISSSL de l’université Lusíada.

Notes

(1) Lors du 4e Forum international du travail social organisé à Paris du 1er au 3 février dernier par l’IRTS Paris Ile-de-France.

(2) Voir Revue française de service social n° 252 de janvier 2014.

(3) Voir ASH n° 2990 du 30-12-16, p. 26.

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