Voilà un livre qui nécessite d’être tourné et retourné dans tous les sens – au propre comme au figuré. Au propre, d’abord : « La mise en page de ce livre peut agacer », préviennent l’écrivain Samuel Lequette et la chargée de développement de la maison de l’environnement de Dunkerque (Nord), Delphine Le Vergos, dans un tout petit avertissement en exergue de Décamper, l’ouvrage qu’ils ont codirigé. Textes, photos, notes, dessins, incises, les éléments sont agencés harmonieusement, mais dans un sens ne facilitant pas toujours la lecture, obligeant à se tordre le cou pour lire. « Perdre son pays, c’est aussi quitter les signes qui font le quotidien : lire, payer ou conduire. Pensée vers ceux pour qui la moindre lettre est désormais un obstacle », annonce le binôme. Le ton est donné : à la fois manifeste, album de famille, construction artistique, précis de droit des étrangers ou essai d’analyse sémiologique, Décamper, avec ses 318 pages denses et documentées, constitue sans doute à ce jour l’ouvrage le plus riche et le plus passionnant sur la question des réfugiés. En écho au foisonnement de phénomènes ayant émergé de la boue du « camp-bidonville-jungle de Calais » – aménagement de l’espace, socialisation, échanges avec les habitants, politisation des occupants… –, le livre rassemble des contributions de réfugiés, bénévoles, chercheurs, journalistes, artistes, qui tous appréhendent et explorent à leur façon l’expérience de la migration. Assorti d’un disque de musiques du monde, Décamper est « un livre de lutte », affirment Samuel Lequette et Delphine Le Vergos. Lesquels espèrent que leur somme pourra être envisagée « comme un support de réflexion et d’action, un point de départ pour des initiatives nouvelles, vers une prise de responsabilité partagée ». Le contrat est rempli. Reste aux lecteurs à s’en emparer.
Décamper
Sous la direction de Samuel Lequette et Delphine Le Vergos – Ed. La Découverte – 24 €