Dans un avis intitulé « Usages de drogues et droits de l’Homme » publié au Journal officiel du 5 mars, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) ouvre « des perspectives d’amélioration voire de réforme des dispositifs existants » en la matière, avec pour ambition de placer « le respect et l’effectivité des droits fondamentaux [des usagers] au cœur du débat ». Cet avis avait été adopté en novembre dernier (par 22 voix pour, 5 contre et 11 abstentions), peu de temps après l’ouverture, à Paris, de la première salle française de consommation de drogues à moindre risque(1), « qui a suscité des débats d’une intensité rare, témoignant de l’extrême sensibilité de la question des drogues et de leurs usages en France », rappelle la CNCDH, pour qui ce type de structures répond pourtant « à un enjeu d’éthique sociale ». La commission plaide d’ailleurs pour élargir le dispositif, « notamment en ouvrant des espaces de consommation à moindre risque au sein des lieux existants (CAARUD et CSAPA), afin de favoriser l’orientation vers l’accompagnement et les soins ».
Après un rappel historique sur les racines de la politique de lutte contre la drogue et la toxicomanie, l’avis dresse un état des lieux très documenté de sa mise en œuvre et des résultats obtenus, qualifiés de « peu probants ». Plus spécifiquement, il examine les atteintes portées aux droits de l’Homme par le dispositif légal, atteintes dont un grand nombre, souligne l’instance, « reposent sur un certain nombre de préjugés à l’encontre des usagers de drogues, qui font le lit des discriminations », et qui persistent malgré les évolutions sociétales. L’ensemble du cadre légal est ainsi passé au crible, depuis le choix français « de faire de l’usage de drogues une infraction pénale et de considérer parallèlement le consommateur, quel qu’il soit, à la fois comme un délinquant et un toxicomane, c’est-à-dire un malade », jusqu’aux difficultés de la prise en charge sanitaire et sociale. Une prise en charge jugée « encore trop lacunaire » par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme qui pointe, notamment, « l’insuffisante structuration du réseau de soins en addictologie ». La politique de réduction des risques « a prouvé son efficacité mais se heurte encore aux logiques prohibitionnistes ». Il convient donc, selon l’instance, « de sortir des logiques binaires […]. La réponse ne doit pas viser à décriminaliser ou pénaliser l’usage de certaines drogues, mais surtout à repenser l’ensemble du dispositif en raison de la complexité des dynamiques sociales, médicales, économiques à l’œuvre ».
La CNCDH formule donc plusieurs recommandations qui visent, notamment, à mettre l’accent sur la lutte contre les addictions et à améliorer les dispositifs de prévention, de prise en charge sanitaire et de réduction des risques et des dommages, dans le cadre d’un dispositif légal « respectueux des libertés individuelles et soucieux de la santé publique ». L’instance préconise, entre autres, d’intégrer le concept d’« addiction » dans le code de la santé publique et, a contrario, de « sortir » de ce code les dispositions d’ordre pénal.
Elle suggère aussi de faire de la commission interministérielle de prévention des conduites addictives « une véritable structure de recensement et d’évaluation des actions », ou encore de mettre les appels à projets des agences régionales de santé en adéquation avec la politique de prévention définie au niveau national par la Mildeca (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives). La CNCDH prône aussi le développement de « réseaux addictions » dotés d’une triple mission : « coordonner les parcours de soins entre tous les acteurs médico-psycho-sociaux d’un territoire donné autour de la situation du patient », renforcer la formation des professionnels et enfin, ponctuellement, accompagner la mise en œuvre de nouvelles pratiques professionnelles, « telles que la primo-prescription de méthadone en médecine de ville ».
Souhaitant, enfin, « faire évoluer la législation pénale sur les stupéfiants », la Commission nationale consultative des droits de l’Homme présente trois alternatives possibles à la répression. Un premier scénario « retient la seule dépénalisation et contraventionnalisation de l’usage des drogues », tandis que le deuxième – qui a sa faveur – « opère une distinction entre le cannabis et les autres produits stupéfiants, l’usage du premier étant décriminalisé, l’usage des autres produits étant dépénalisé et contraventionnalisé ». Le dernier scénario, enfin, « repose sur la décriminalisation de l’usage de drogues (quelles qu’elles soient) et la régulation par l’Etat de l’offre de produits stupéfiants ».
Mais aucune de ces alternatives ne constitue « une réponse unique ou une solution miracle à la problématique des addictions », prend soin de préciser la CNCDH. Chacune d’elles « doit nécessairement s’accompagner d’une politique volontariste forte en matière d’information sur les produits stupéfiants, de prévention des conduites addictives et de prise en charge médico-sociale de la dépendance aux substances psychoactives ». En conclusion, elle invite à organiser « une vaste conférence de consensus » autour de cette « modification législative importante ».