Le 30 juin 2017, le centre d’hébergement d’urgence (CHU) L’Ephémère(1) fermera définitivement ses portes. A cette date, seront lancés les travaux de démolition de cet immeuble situé à proximité de la gare d’Austerlitz, sur un terrain géré par ICF Habitat, la filiale logement de la SNCF. Le temps d’un hiver et d’un printemps, ce bâtiment où habitent encore 11 familles de salariés de la SNCF en attente de relogement est transformé en CHU à destination de familles sans domicile. Une opération positive, tant pour ses occupants temporaires que pour le bailleur social : les familles bénéficient d’un appartement, tandis que le bâtiment, occupé, ne risque pas d’être squatté.
Pour le Groupe SOS, en charge du projet, la réalisation d’un CHU temporaire est une première. A cet effet, d’importants moyens humains ont été dégagés. Aux côtés de la directrice et du chef de service travaillent une secrétaire, trois CESF (conseillères en économie sociale et familiale), une éducatrice spécialisée, trois TISF (techniciennes de l’intervention sociale et familiale), un coordinateur logistique et un veilleur de nuit. « Entre décembre et février, l’entretien a été assuré par un salarié d’une société d’insertion. Depuis le 1er février, un agent technique est employé à plein temps pour assurer le nettoyage et les réparations », explique Carole Le Gal, directrice de la structure.
Intégralement financé par l’Etat par l’intermédiaire de la DRIHL (direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement), le CHU propose 160 places pour un prix de journée de 22 € par personne – un tarif modique du fait que le bâtiment est mis à disposition gratuitement. Pour faire fonctionner L’Ephémère, le Groupe SOS a notamment recruté en interne. Carole Le Gal y travaille depuis quatre ans, dirigeant déjà un CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale) pour couple et le CHU Villa Fromentin. Un établissement dont est issue également Lise Bahin, éducatrice spécialisée. Les profils de l’équipe sont très variés en termes d’âge et d’expériences, mais pas question sur un projet de ce type de n’employer que des juniors. « Le coordinateur logistique, récemment diplômé, a travaillé dans l’humanitaire à l’étranger, le chef de service exerçait auparavant au Canada… », détaille la directrice. Pour la douzaine de salariés qui œuvrent au quotidien au sein de cet établissement provisoire, c’est une véritable aventure. « Non seulement je n’ai jamais travaillé dans un CHU hivernal, mais j’ai été séduite par l’idée d’être présente de l’ouverture jusqu’à la fermeture, raconte Lise Bahin. Dans cette temporalité très claire, nous devons trouver une solution pérenne. Cela donne envie de s’investir ! » Le défi est de taille : faire en sorte que les familles hébergées sortent du circuit de l’urgence. « Six mois pour obtenir une orientation qui prenne en compte les différents critères, c’est très court », concède Carole Le Gal.
Le 12 décembre dernier, l’équipe a pris possession des locaux. Une dizaine de jours plus tard, les premières familles ont intégré leur logement temporaire. Entretemps, il a fallu relancer le chauffage dans des logements inhabités pour certains depuis longtemps, meubler les appartements (le mobilier a été loué à une société spécialisée), récupérer de la vaisselle dans d’autres structures du groupe. Les 35 familles orientées par le 115 présentent des profils variés. « Ainsi, deux familles n’ont pas réussi à retrouver un logement après que leur propriétaire a mis en vente celui qu’elles louaient, détaille Lise Bahin. D’autres ont dormi dans des squares. Certaines ont déposé durant des années des demandes de logement ou sont passées à travers les mailles administratives et n’ont été prises en charge que quinze jours par le 115. » Si la majorité des appartements sont occupés par une seule famille, quelques-uns sont partagés. Afin de favoriser la prise en charge par l’équipe, les arrivées ont été échelonnées – jusqu’à trois par jour au maximum. Car L’Ephémère a pour but non seulement de mettre les familles à l’abri pendant les grands froids, mais aussi de leur trouver un hébergement pérenne, voire un logement, avant la fermeture du CHU. « Pour cette raison, nous avons obtenu qu’il n’y ait plus d’entrée à partir de février », explique Carole Le Gal.
Les TISF ont joué un rôle crucial pour accompagner l’entrée dans ce CHU atypique. « Nous avons beaucoup travaillé avec l’équipe technique et avec le prestataire loueur de meubles. Il a fallu, par exemple, réaliser des doubles des clés », se souvient Maelle Couffon. Courant janvier, une laverie a été installée. Ce sont les TISF qui gèrent le planning sur lequel les familles s’inscrivent. Elles les accompagnent pour mettre leur linge à laver, à sécher, puis le récupérer. Au-delà de ces tâches d’intendance, elles sont aussi chargées de créer des moments collectifs. Bien que leur action ne s’inscrive que dans un court laps de temps, elles ont ainsi réussi à obtenir une inscription de l’établissement à la ludothèque du quartier. Elles organisent également des sorties pour les familles, entre autres à la ménagerie du jardin des Plantes, située juste à côté. Des temps précieux pour ces familles dont tous les enfants ne sont pas scolarisés. En effet, les changements incessants d’hébergement conduisent parfois à une déscolarisation des enfants. En outre, le CHU ne réalisant pas de domiciliation des familles, les enfants ne vont pas – sauf exception – dans les écoles du quartier.
Sur le papier, l’idée de faire profiter des familles sans toit d’un logement dans un bâtiment en attente de démolition est séduisante. Dans la réalité, le projet a nécessité tout un processus d’accompagnement. Difficile, en effet, pour les 11 dernières familles habitant les bâtiments – et pour certaines, depuis longtemps – de voir arriver ces nouveaux venus. « Nous avons organisé, un mois en amont, une rencontre avec la SNCF, ICF, la DRIHL et les locataires réunis en association. Ceux-ci ont exprimé de vives craintes, notamment en termes de tranquillité », raconte la responsable. Des appréhensions prises très au sérieux par l’équipe. Pendant le premier mois, les portes du CHU ont été grandes ouvertes afin d’écouter les doléances des locataires. « Nous jouons un rôle de médiation avec eux. Au début, parfois, les portes d’entrée des immeubles restaient ouvertes et les habitants craignaient que des SDF ne viennent squatter. Nous avons aussi parfois dû intervenir pour des problèmes de bruit », relate Clémentine Ruello, CESF. « Chaque fois que les poubelles débordent ou que des mégots traînent, c’est forcément le CHU », s’amuse-t-elle. Passé le premier mois de cohabitation, le protocole de prise des doléances s’est formalisé. « En cas de problème, nous demandons de remplir une fiche. Cela évite que les mécontents, toujours les mêmes, ne viennent s’épancher pendant une demi-heure. » Elle n’entend cependant pas caricaturer ces anciens locataires, dont les réactions ont été très diverses : « Certains ont spontanément proposé des vêtements et des affaires pour les familles. Ils ont aussi été ravis de participer à la galette organisée par le CHU. Et quand ils expriment de l’inquiétude à propos des enfants, c’est avec beaucoup de bienveillance », ajoute la travailleuse sociale. Cette cohabitation qui avait suscité certaines inquiétudes se passe jusqu’à présent sans heurts.
Pour les familles hébergées au CHU, quitter l’univers des hôtels qui n’ont souvent de sociaux que le nom est un véritable soulagement. Haby N.(2) a dû quitter le Sénégal pour fuir des violences consécutives à un mariage forcé. Si elle a obtenu le statut de réfugiée, son nouveau mari, père de ses trois enfants, est quant à lui encore en attente d’une régularisation. Avec sa famille, elle a été hébergée dans des hôtels. « Dans la plupart d’entre eux, il n’était pas possible de cuisiner, il n’y avait même pas de micro-ondes, la seule solution était d’acheter de la nourriture dans des fast-foods, mais ça coûte cher, dénonce-t-elle. On nous a également envoyés dans un établissement où il y avait des punaises, les enfants étaient pleins de boutons. Nous avons protesté et décidé de partir. » Du côté du 115, aucune solution alternative n’a été proposée et la famille a été contrainte de passer une semaine dehors.
Comme beaucoup d’autres familles, celle de Haby N. a subi d’incessants changements d’hôtels. « Nous étions hébergés depuis trois semaines dans un hôtel à Meaux, en Seine-et-Marne. Le dernier jour de la prise en charge, nous n’avions aucune nouvelle. Nous avons ramassé toutes nos affaires et sommes partis les amener chez des amis à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. A 22 heures, nous avons appris que nous avions une chambre… à Meaux, dans l’hôtel en face du précédent ! » Avec obligation de s’y rendre le soir même, au risque de voir cesser la prise en charge… Pour permettre le maintien de la scolarisation de leur petite fille de 5 ans, ces parents ont donc dû se résoudre à la confier à leurs amis dionysiens pendant la semaine. Ces multiples déménagements n’ont pas seulement mis en danger la cohésion de leur famille, mais aussi la santé de la jeune femme. Atteinte d’une grave maladie, elle ne parvient pas à se soigner correctement. « J’ai fait des examens à Trappes, mais je n’ai pas pu les récupérer, il m’a fallu en refaire de nouveaux à Saint-Denis », regrette-t-elle. On comprend que, pour cette famille, un appartement au sein du CHU offre un véritable répit. « Je peux cuisiner tranquillement le tieb » (plat sénégalais à base de riz), se félicite la jeune mère. « Quand Haby est fatiguée, elle peut aller se reposer dans une autre pièce pendant que je m’occupe des enfants, et surtout nous sommes tous ensemble ! », ajoute son mari.
Même sentiment de revivre pour Samia G. Atteint d’une maladie génétique rare, son fils Medhi est lourdement handicapé. En Algérie, où vit la famille, il n’existe aucun traitement. Samia Ghatem est donc venue en France dans l’espoir de le faire soigner. Après avoir épuisé ses économies en louant une chambre à des « marchands de sommeil », elle a dormi dehors avec ses deux enfants de 7 et 5 ans. « Medhi a convulsé dans la rue et a été conduit à l’hôpital Robert-Debré », se souvient-elle. Prise en charge par le SAMU social, la famille a d’abord été hébergée dans un hôtel à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). « Pendant le mois que nous sommes restés à l’hôtel, je n’ai pas pu le laver. Il n’y avait qu’une petite douche. » L’appartement de L’Ephémère, en revanche, compte une baignoire et Samia Ghatem peut enfin donner le bain à son fils. « Mes enfants ont changé. Medhi a pris du poids, Mariam peut courir partout. Et moi aussi je revis, je n’ai plus de vertiges », se réjouit cette mère qui a réussi à faire scolariser sa fille dans l’école du quartier.
Pour ces deux familles comme pour la trentaine d’autres, l’entrée au CHU est bien plus qu’une simple mise à l’abri. C’est la possibilité d’une reprise en main de leur vie, l’occasion de sortir de la gestion de l’urgence. « Savoir où on va dormir dans les prochains mois permet de respirer », insiste Lise Bahin, éducatrice spécialisée. Il ne faut cependant pas perdre de temps. Aussi le travail d’orientation est-il lancé très vite par les travailleurs sociaux, qui réalisent un diagnostic dans les trois semaines – au plus – suivant l’arrivée de chaque famille. Les trois TISF jouent à cet égard un rôle important. Dans les moments conviviaux comme dans le quotidien, elles nouent avec les familles hébergées une relation qui aide à mieux cerner leurs besoins. « Certaines mères sont démunies dans le domaine du soin aux enfants, d’autres familles peuvent éprouver des difficultés dans la gestion du budget », explique Betty Bonheur, l’une des TISF. Un apport précieux dans les évaluations conduites par leurs collègues travailleurs sociaux. « Nous avons créé un système de coréférence, avec une éducatrice ou une CESF et une TISF, mais nous avons aussi beaucoup d’échanges informels », précise Maelle Couffon, sa collègue.
Lors de cette phase de diagnostic, la réalisation d’une fiche SIAO (service intégré d’accueil et d’orientation) au moyen du logiciel adéquat est cruciale. Celle-ci reprend l’identité des membres de la famille, et récapitule aussi de nombreuses informations (situation administrative, emplois…). « Nous nous sommes aperçus que de nombreuses familles avaient déjà une fiche SIAO mais ne le savaient pas, personne n’ayant pris le temps de leur expliquer, déplore Clémentine Ruello. Elles changent souvent de lieux et voient donc rarement les mêmes assistants de service social. En outre, ceux-ci suivent énormément de dossiers et ne disposent que de très peu de temps pour donner les explications nécessaires. Alors que nous, nous n’avons qu’une dizaine de suivis, ce qui nous permet de prendre le temps », apprécie-t-elle.
Associer au maximum les familles à ces démarches est une priorité pour l’équipe. Ainsi, dès le début de l’évaluation, le travailleur social montre à la famille le fonctionnement du logiciel et lui explique son utilité. Ensemble, ils remplissent la fiche SIAO. Puis, dans un second temps, une réunion est organisée avec le chef de service, le travailleur social concerné et la famille. La fiche est alors lue à haute voix, discutée et éventuellement amendée ou complétée. « Il existe souvent un décalage entre les désirs de la famille et la réalité de la situation du logement en Ile-de-France. Entre ce qu’elle veut – légitimement, d’ailleurs – et ce qu’elle peut », explique Lucas Aubert, le chef de service. Un décalage d’autant plus difficile à vivre que ces familles attendent un logement depuis longtemps. « Le logement proposé ne sera pas celui qui a été rêvé, confirme Lise Bahin, et il ne sera peut-être pas aussi satisfaisant que celui qu’ils occupent actuellement. »
Si, au départ, obtenir un appartement dans le parc social est le souhait de la quasi-totalité des familles, dans les faits, une orientation en CHRS peut parfois s’imposer. « Quand la situation administrative est compliquée, que la famille n’a pas de revenus, que des dettes ont été contractées pendant la période d’errance ou que le renouvellement de la demande de logement social n’a pas été effectué, un logement n’est pas accessible », reconnaît Lucas Aubert. « Mais pour qu’une famille puisse réaliser un choix éclairé, il faut qu’elle ait tous les éléments », ajoute Lise Bahin. C’est la famille, en effet, qui possède le dernier mot : elle peut maintenir sa préconisation, le CHU ajoutant la sienne à côté. « Nous n’avons pas eu cette situation, les familles comprennent ce que nous proposons », tempère Lucas Aubert. Les échanges entre celles-ci et les professionnels favorisent l’émergence de solutions. A l’image du CHRS diffus, qui permet de maintenir un accompagnement social en offrant une solution à ceux qui ne souhaitent pas partager les sanitaires et la cuisine.
La fiche et ses préconisations, complétées par un rapport social, sont transmises au SIAO, qui formule ensuite des propositions. D’ici la fin juin, toutes les familles devraient se voir proposer une sortie de l’urgence. Une tâche difficile, en raison de la durée de vie très courte du CHU et du « marché » très contraint du parc social en Ile-de-France. Des situations ont néanmoins déjà été débloquées. A la mi-février, sur les 35 familles, deux ont quitté le CHU, l’une pour un logement social, l’autre vers un CHRS diffus. Sept sont en cours de réorientation : une dans un logement social, une deuxième dans une résidence sociale, cinq autres en CHRS. Pour sa part, Haby N. a été orientée vers un appartement dans le Val-de-Marne via Solibail(3). Si elle ne va pas s’installer à proximité de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, cette nouvelle stabilité devrait lui permettre de pouvoir se soigner correctement et de pouvoir enfin, avec toute sa famille, prendre un nouveau départ. « Quand j’étais à l’hôtel, j’avais parfois pu trouver du travail, mais je ne pouvais pas le garder. Je vais pouvoir travailler ! », se félicite-t-elle.
(1) CHU L’Ephémère : 21-27, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris.
(2) Les noms des familles ont été anonymisés.
(3) Dispositif d’intermédiation locative qui aide des familles en difficulté à accéder au logement grâce à un système de sous-location.