La catégorie « jeunes en errance » est apparue dans les années 1990. Des jeunes d’autant plus dérangeants qu’ils semblaient « particulièrement rétifs à une approche par le travail social traditionnel », soulignait en 1995 un rapport ministériel sur l’errance et l’urgence sociale(1). C’est précisément cette inadaptation entre l’offre sociale habituellement destinée à la jeunesse – qui est orientée vers l’insertion sociale et professionnelle – et le comportement des jeunes zonards revendiquant leur marginalité qu’analyse avec finesse Céline Rothé, chercheuse en sciences politiques. A partir d’une enquête auprès de 22 errants de 18 à 32 ans et d’une soixantaine de professionnels intervenant dans des dispositifs sociaux ou médicaux « à bas seuil d’exigence », elle montre comment se nouent les fils d’une aide acceptable et acceptée. Du côté des professionnels, il s’agit avant tout d’établir et de faire perdurer un lien de confiance avec les jeunes désaffiliés, « comme un outil leur permettant d’aller au-delà de la simple demande matérielle immédiate ». Du côté des jeunes, l’aide qu’ils trouvent dans les dispositifs de l’urgence sociale leur convient, « car elle ne remet pas en cause leur capacité (ou incapacité) à s’insérer » et qu’elle leur est prodiguée avec beaucoup de sollicitude. Mais, précisément, la réussite même de cette modalité de prise en charge signe l’échec de l’objectif émancipatoire du travail social, estime l’auteure : en donnant aux jeunes la possibilité d’asseoir leur mode de vie alternatif, ce système permet à certains d’entre eux de s’inscrire « dans une carrière de “jeunes en errance” ».
Jeunes en errance. Relation d’aide et carrières de marginalité
Céline Rothé – Ed. Presses universitaires de Rennes – 22 €