Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), n’a pas masqué sa déception en ouvrant le colloque, organisé le 28 février, au cours duquel l’organisation présentait son « projet de société », un document préparé en vue des élections présidentielle et législatives de 2017 et dont l’élaboration a été au cœur de son 32e congrès organisé il y a un an, à Montpellier(1). Conviés à s’exprimer sur ce texte et à présenter leurs propositions dans le domaine de la solidarité, François Fillon (LR), Emmanuel Macron (En marche !), Benoît Hamon (PS) et Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), ont tous envoyé l’un de leurs représentants, tandis que la candidate du Front national, Marine Le Pen, n’a pas été invitée. « Lorsqu’elle propose de refuser la scolarisation des enfants dont les parents seraient en situation irrégulière, c’est inentendable pour nous », a justifié Patrick Doutreligne, sans cacher cependant que cette décision avait suscité des débats, et même des désaccords, au sein de l’Uniopss.
« Au lieu d’une plateforme, nous avons souhaité proposer ce projet de société, un terme qui peut paraître ambitieux car on ne voit qu’à travers notre lunette, mais avec l’idée néanmoins de prendre de la hauteur. Nous avons voulu définir les valeurs que, quels que soient le président et le parti majoritaire en mai prochain, nous ne voulons pas voir remises en cause », a détaillé le président de l’Uniopss. « La solidarité en actes doit être érigée comme principe fondamental de nos systèmes de protection sociale », appelle d’abord l’organisation interfédérale dans ce projet, faisant référence aux discours incantatoires des politiques souvent non suivis d’effets. « Chaque ménage doit aussi pouvoir accéder à un logement digne, compatible avec ses ressources, à la culture, aux loisirs et à la citoyenneté, en dépit de sa situation. Cet impératif global d’accès aux droits et aux ressources permettra, s’il est respecté, d’éteindre les discours intolérables de confusion délibérée entre assistance et assistanat. »
Deuxième axe : « Favoriser la participation de tous à un projet commun », une participation qui doit s’imposer à « chaque corps de notre société », à commencer par les associations. Autres objectifs : la lutte contre la précarité, le refus des inégalités et l’affirmation de la prévention comme un « nécessaire pivot des politiques publiques ». En outre, contrairement aux discours ambiants, la solidarité ne doit pas être considérée comme une charge, mais comme un investissement.
A chaque représentant des candidats invités à s’exprimer sur ce projet de société, Patrick Doutreligne a demandé de se prononcer sur deux engagements chers à l’Uniopss : la mise en œuvre d’une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre la pauvreté et l’exclusion et l’instauration d’un volet « prévention » dans tous les projets de loi. C’est d’abord Isabelle Le Callennec, députée LR d’Ille-et-Vilaine, qui a relayé les propositions de François Fillon en matière de solidarité, comme elle l’avait déjà fait lors de la présentation du rapport annuel sur le mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre(2). Après avoir souligné que le candidat LR « ne va pas promettre ce qui n’est pas tenable », Isabelle Le Callennec a rappelé son intention de lancer une loi de programmation de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, un sujet « fondamental pour lui ». Il ne s’agit d’ailleurs pas, sur ce plan, de faire du passé table rase : « Il se trouve qu’il y a le plan pluriannuel de 2012-2017, qui a fait l’objet d’une évaluation tous les ans par le CNLE [Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale]. Tout ce qui va dans le bon sens, il n’y a aucune raison de le remettre en cause et nous nous appuierons sur les synthèses du CNLE pour aller plus loin », a détaillé la députée. Elle a aussi rappelé que François Fillon porte une proposition de fusion d’allocations de solidarité englobant le RSA (revenu de solidarité active), l’ASS (allocation de solidarité spécifique), la prime d’activité et les allocations logement, et dont la gestion serait confiée aux caisses d’allocations familiales. Tout en pointant que les allocataires ont des droits mais aussi des devoirs. Elle a aussi précisé que les contrats aidés seraient maintenus, comme la garantie « jeunes », et a plaidé pour une simplification de l’accès aux droits. En matière d’accès aux soins, « il n’est pas question de revenir sur la CMU-C [couverture maladie universelle complémentaire] et la PUMA [protection universelle maladie, qui a remplacé la CMU au 1er janvier 2016] », a insisté Isabelle Le Callennec, en se gardant bien d’évoquer l’AME (aide médicale de l’Etat) que François Fillon veut supprimer. Enfin, concernant l’introduction d’un volet « prévention » dans tous les projets de loi, elle a fait savoir que l’équipe de François Fillon, s’il est élu, pourrait « veiller à cela ».
C’était ensuite au tour de Christophe Itier de s’exprimer au nom d’Emmanuel Macron, avec sa double casquette de porte-parole et de directeur général de La Sauvegarde du Nord(3). Après avoir rappelé que la présentation du programme « tant attendu » de son candidat était prévue pour le 2 mars (deux jours plus tard), il a décliné un discours très orienté sur les difficultés et les questionnements des associations, insistant sur la nécessité de modifier le cadre réglementaire qui « insécurise » le secteur sur le plan économique et financier. Il appelle notamment à « refonder les relations entre les associations et les financeurs » et à « recréer de l’autonomie pour les associations, qui ne sont pas un service public ni une régie de service public ». Il souhaite également, au nom de son candidat, donner de vraies marges de manœuvre aux associations en matière d’innovation (« le système écrase l’innovation », a-t-il lancé) et d’expérimentation. Christophe Itier a annoncé à ce propos qu’Emmanuel Macron prévoyait de mettre en place un « accélérateur d’innovation sociale au niveau national », qui va « permettre de mettre le paquet en matière de financement, de l’incubation jusqu’au changement d’échelle ».
Il faut aussi, selon lui, « lever les zones grises » sur le mécénat et le risque fiscal qui pèse sur la philanthropie. Il a enfin insisté sur « l’enjeu majeur » que constitue la mesure d’impact social, notamment pour justifier les financements et comme argument politique pour démonter les discours sur l’assistanat. « Nous proposerons dès les premiers mois un débat pour repenser l’écosystème des acteurs de l’ESS [économie sociale et solidaire] et de la solidarité. » Aux deux questions, posées à chaque candidat par l’Uniopss, Christophe Itier a répondu que la loi de programmation « sera la règle » : « Nous travaillons sur une projection à cinq ans sur l’ensemble des champs d’intervention de l’Etat. Nous voulons avoir une feuille de route sur la santé, la lutte contre l’exclusion, l’éducation, avec des engagements fermes sur deux ans. » Et s’agissant du volet « prévention », « c’est une nécessité, notamment dans les champs sanitaires et sociaux », a indiqué le directeur associatif.
Conseiller départemental de l’Essonne et porte-parole de Benoît Hamon, Jérôme Guedj, affirmant se trouver « en résonance » avec les valeurs exprimées dans le projet de l’Uniopss, a donné une tonalité plus militante à son discours. « La cinquième puissance économique mondiale ne peut s’accommoder de la croissance des inégalités, a-t-il déclaré d’emblée. Cela passe par un nouveau paradigme du partage des richesses qui est au cœur du projet de Benoît Hamon. » Et de rappeler les propositions de son candidat : revenu universel comme « outil de réorganisation du partage de la richesse », extension du périmètre de la sécurité sociale, accès aux droits comme garantie du mécanisme de protection sociale, participation des acteurs… « Il n’est par ailleurs pas possible de renforcer la solidarité en réduisant la dépense publique », a-t-il glissé, dans une allusion non dissimulée au programme de François Fillon. Il a également devancé une annonce que Benoît Hamon devait faire le lendemain dans le cadre d’un déplacement à Brest : l’instauration d’un « bouclier de service public » afin que tout citoyen ne soit pas à plus de 30 minutes d’un service public. Jérôme Guedj a enfin répondu positivement aux deux demandes de l’Uniopss : « Nous devons faire une loi d’organisation et de programmation de la solidarité. »
Alexis Corbière, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, a été le dernier à se soumettre au grand oral de l’Uniopss. « Il faut commencer par une bataille culturelle : priorité aux pauvres ! », a-t-il déclamé, reprenant les accents de tribun du candidat de La France insoumise. « La pauvreté est la conséquence de l’organisation économique. Nous allons relancer la machine. Pour cela nous allons emprunter 100 milliards d’euros – soit l’équivalent de la réduction des investissements publics depuis 2012 – et les injecter dans l’économie. » Sur ces 100 milliards, 33 doivent être engagés dans la lutte contre la pauvreté. Alexis Corbière a par ailleurs souligné que Jean-Luc Mélenchon voulait mettre en œuvre une « garantie dignité » qui complète les aides sociales afin qu’aucune personne ne soit en dessous du seuil de pauvreté, et une allocation autonomie pour les jeunes de 16 à 25 ans. Les associations qui subissent la baisse des dotations seront, elles, les « premières bénéficiaires de l’aide publique ». Il s’est aussi déclaré favorable aux deux engagements de l’Uniopss, plaidant également pour le fait de gouverner par « indicateurs humains et par objectifs ».
Patrick Doutreligne a conclu que le projet de l’Uniopss constituait la voie vers un changement de société « dont la première étape est la présidentielle ». Ce sera « l’occasion de faire un choix de valeurs, d’orientations pour les cinq ans à venir ».
(3) Voir son portrait dans les ASH n° 2975 du 16-09-16, p. 39.