Un abaissement des plafonds de ressources, des baux à durée limitée… C’est peu de dire que certaines des solutions proposées par la Cour des comptes devant le « défi » représenté par l’accès des publics modestes et défavorisés au parc HLM bousculent le modèle français du logement social. Elle les a présentées dans un rapport rendu public le 22 février à l’issue d’une évaluation menée avec l’appui de plusieurs chambres régionales des comptes(1).
Pour les Hauts Magistrats financiers, « l’objectif premier » de la politique publique de logement social, qui est de fournir un toit aux ménages modestes ou défavorisés, n’est pas pleinement rempli. Certes, notent-ils, malgré le fait que les deux tiers de la population y soient éligibles compte tenu des plafonds de ressources fixés, le logement social « s’ouvre de plus en plus » aux ménages pauvres sous l’effet de la pression de la demande et des règles de priorité. Il n’en demeure pas moins que le parc social, qui excède pourtant d’un million de logements l’effectif total des ménages situés sous le seuil de pauvreté, ne bénéficie qu’à la moitié d’entre eux, note le rapport, « mobilisant pour eux à peine 40 % de sa capacité ». L’autre moitié, logée dans le parc locatif privé, paie des loyers de 40 à 50 % plus élevés que dans le parc social, sans avoir des aides au logement plus importantes.
La Cour des comptes relève encore que les publics les plus précaires rencontrent plus de difficultés d’accès au parc HLM que les ménages aux ressources modestes. Le logement social se trouve même impuissant face aux plus pauvres. En effet, même en mobilisant les logements les moins chers et en tenant compte des aides personnelles au logement,il n’est pas possible de loger les ménages dont les ressources sont inférieures à 30 % du revenu médian national, explique-t-elle. In fine, pour ces ménages – qui représentent un demandeur de logement social sur six –, « un recours aux dispositifs de logement d’insertion est nécessaire ».
Autre constat : la rotation du parc HLM diminue « de façon préoccupante » sur les 15 dernières années. Peu d’instruments de politique publique visent à augmenter la mobilité des locataires et il n’existe aucune incitation pour les bailleurs sociaux à l’améliorer. Les dispositifs qui devraient inciter les locataires dépassant les plafonds de ressources à quitter le parc social (supplément de loyer de solidarité, perte du droit au maintien dans les lieux) apparaissent « peu appliqués », et leur impact sur la mobilité « très limité ». Par ailleurs, les attributions de logements se réduisent malgré l’augmentation du parc. « Entre 2002 et 2013, 11 années d’effort de construction ont augmenté le parc social de plus de 600 000 logements, et pourtant le nombre d’attributions annuelles a diminué de 70 000 », soulignent les sages de la rue Cambon. Tout cela alors que « le logement social n’a pas vocation à garantir un logement à vie » pour ceux dont la situation s’est améliorée au point qu’ils ne relèvent plus de l’objectif de loger les publics modestes et défavorisés.
Face à cette situation, la Cour des comptes préconise de mieux cibler les publics modestes et défavorisés et propose notamment, dans cette optique, d’abaisser les plafonds de ressources en zone tendue – c’est-à-dire là où la demande est très supérieure à l’offre locative – et de façon différenciée selon les territoires. Une recommandation que la ministre du Logement et de l’Habitat durable ne partage pas, ce qu’elle a tenu à faire savoir le jour même dans un communiqué. Emmanuelle Cosse juge en effet qu’elle serait de nature à détourner le dispositif de sa « vocation généraliste ». Rappelant son attachement au modèle français du logement social, elle estime que le parc HLM, tout indispensable qu’il soit pour accueillir les plus fragiles, « doit aussi servir à l’objectif de mixité sociale nécessaire à la cohésion du pays ». Et la ministre d’insister : « le logement social doit cibler toutes les catégories de ménages modestes et de classes moyennes ». Même son de cloche du côté du Premier ministre qui, explique-t-il dans sa réponse à la Haute Juridiction financière annexée au rapport, ne souhaite pas modifier les plafonds de ressources car « ils sont d’ores et déjà équilibrés et différenciés en fonction des contextes locaux ».
Au-delà, la Cour des comptes plaide également pour que soit augmentée la part des publics les plus modestes dans les logements sociaux situés en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Sur ce point, elle est en phase avec le gouvernement puisque la loi du 21 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a fixé un objectif d’attribution de 25 % de logements sociaux aux ménages les plus modestes en dehors des QPV.
Les sages de la rue Cambon estiment encore nécessaire de proposer plus de logements à la location. Pour ce faire, ils recommandent d’inciter les bailleurs à améliorer la rotation de leur parc, en y consacrant une part de la mutualisation des ressources entre organismes HLM. Bernard Cazeneuve a indiqué partager l’objectif affiché. Néanmoins, à ses yeux, « le renforcement des capacités de mutation au sein du parc et de rotation ne saurait se substituer intégralement à une offre nouvelle, sauf à considérer que le parc privé est susceptible d’offrir suffisamment de logements abordables, y compris en zones tendues ». Et concernant plus précisément l’allocation d’une part de la mutualisation entre organismes à l’amélioration de la rotation, le Premier ministre se dit « réservé » car « cette mutualisation doit principalement permettre d’accompagner l’effort d’investissement des organismes HLM tant en matière de construction neuve que de réhabilitation ».
La Cour des comptes préconise par ailleurs de faire du supplément de loyer de solidarité (SLS) – majoration de la quittance appliquée aux locataires très au-dessus des plafonds de ressources – un instrument de mobilité, en abaissant son seuil de déclenchement, en limitant les exemptions et en affichant clairement le niveau de ressources pour lequel le coût global du logement social atteint le niveau du marché. Là encore, les Hauts Magistrats financiers sont plutôt en phase avec le gouvernement. La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté a en effet limité les possibilités de dérogations aux règles du SLS et modifié son plafonnement.
Enfin, le rapport recommande d’introduire dans les zones tendues des baux à durée limitée et de subordonner leur renouvellement à un réexamen de la situation des ménages, basé sur les ressources des locataires. Pour Bernard Cazeneuve, « si cette recommandation vise à déclencher la perte du droit au maintien dans les lieux dès le dépassement du plafond de ressources atteint, sa mise en œuvre s’avérerait délicate et introduirait de grandes difficultés pour les ménages concernés car les ressources des locataires ne sont pas nécessairement linéaires ».
(1) Rapport disponible sur