« Répondre aux besoins d’une politique pérenne de lutte contre les violences faites aux enfants où chacun à son niveau se mobilise. » C’est l’objectif du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, dévoilé le 1er mars par Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Elaboré en sus de la feuille de route pour la protection de l’enfance 2015-2017(1) et en réponse à la recommandation du Comité des droits de l’enfant de l’ONU formulée en février 2016(2), ce plan triennal 2017-2019 est le premier à esquisser un état des lieux en la matière. Selon la ministre, il n’a pas vocation à être exhaustif : il se concentre sur les violences intrafamiliales. La famille est en effet le « premier lieu de socialisation et de protection des enfants », mais aussi le « premier lieu dans lequel s’exercent les violences ». Absence de données statistiques, invisibilité des violences, carence institutionnelle, sociétale ou familiale…, c’est à ces manques et dysfonctionnements que le plan s’attaque avec 21 mesures destinées, selon Laurence Rossignol, à « susciter une prise de conscience et diffuser des solutions pour faire reculer toutes les formes de violences au sein de la famille (physiques, psychologiques, sexuelles et négligences) ». Mesures qui concernent à la fois le développement des connaissances sur les violences, l’amélioration de l’information des familles et de la formation des professionnels, ainsi que l’adaptation de la prise en charge des victimes.
Le premier objectif du plan est de développer le recueil des données statistiques et la recherche. Constatant qu’il n’existe pas, aujourd’hui, de recensement précis sur le nombre d’homicides d’enfants liés à des violences intrafamiliales, le ministère estime que, « pour lutter efficacement contre les violences faites aux enfants et mobiliser l’ensemble de la société, il faut, au préalable, les rendre visibles ». Il propose ainsi d’établir un recensement statistique et une publication annuels du nombre d’enfants morts à la suite de violences intrafamiliales. Nombre qu’il juge, par ailleurs, sous-estimé.
Le plan prévoit que chaque mort d’enfant du fait de violences intrafamiliales devra être analysée par un groupe de travail spécifique mis en place au sein des observatoires départementaux de la protection de l’enfance. Objectifs : identifier les éventuels dysfonctionnements du système de protection de l’enfance et y remédier, le cas échéant. Le groupe de travail s’appuiera sur une méthode d’analyse élaborée par l’Observatoire national de la protection de l’enfance.
Le plan envisage, par ailleurs, la saisine conjointe de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale de la justice et de l’inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la recherche afin qu’elles élaborent ensemble un rapport sur les mécanismes institutionnels qui n’ont pas permis d’assurer la protection de l’enfant. Le but étant de mieux connaître les insuffisances du dispositif de protection de l’enfance et de l’améliorer par le biais de recommandations.
Autre ambition du plan : renforcer la politique globale d’accompagnement à la parentalité. Le ministère considère en effet qu’« une politique de prévention universelle et de soutien à la parentalité est une première étape pour prévenir les situations de violences ». A ce titre, il propose d’améliorer les outils de soutien à la parentalité, parmi lesquels le livret « première naissance » et le carnet de santé. Ces deux documents doivent être actualisés afin d’intégrer, notamment, la prévention du syndrome du bébé secoué et les conséquences sur les enfants des violences familiales et dans le couple. Autre évolution : la diffusion aux parents d’adolescents d’un livret qui les « aidera à traverser cette période et à identifier les personnes et lieux auxquels ils peuvent s’adresser ».
Afin de « donner à chacun les moyens d’agir », le plan prévoit, en outre, le lancement d’une campagne d’information en ligne destinée à sensibiliser l’opinion publique sur le numéro vert « 119 – Allô Enfance en Danger ». Slogan affiché : « Enfants en danger : dans le doute, agissez ! » Le ministère entend aussi soutenir les campagnes d’information et de sensibilisation menées par des associations sur ce thème.
« Former pour mieux repérer. » C’est le troisième axe du plan, qui estime que le repérage des violences par les professionnels en contact avec des enfants (médecins, professionnels hospitaliers non médicaux, professionnels de la petite enfance et de l’animation…) est « le préalable à toute protection ». Or « certains [d’entre eux] ne sont pas, ou trop peu, formés à leur détection ». Ils peuvent, par ailleurs, se sentir démunis face aux démarches à suivre pour transmettre une information préoccupante à la cellule de recueil dédiée ou un signalement au parquet. Une des mesures du plan consiste donc à diffuser une « culture de la protection de l’enfant » en mettant en place :
→ un médecin référent sur les violences faites aux enfants dans chaque hôpital avant le 31 décembre 2017. Il sera chargé, entre autres, d’organiser des temps de sensibilisation au sein de l’établissement de santé relatifs à la prévention, au repérage ou encore à la prise en charge des violences, et de mettre à la disposition des autres professionnels de la structure des supports d’information sur cette problématique (affiches, dépliants, contacts utiles) ;
→ une formation initiale et continue spécifique à la détection et aux conduites à tenir face aux violences pour tous les professionnels en contact avec des enfants.
Le plan prévoit, par ailleurs de renforcer les liens entre les numéros verts à la disposition des enfants et des femmes victimes de violences, respectivement le « 119 » et le « 3919 ». Les deux plateformes téléphoniques ont ainsi signé, le 1er mars, une convention-cadre qui doit permettre, notamment, de développer des formations croisées entre écoutants et de mettre en place un système de bascule des appels, jugé par Laurence Rossignol comme « très important pour avoir un traitement global des violences intrafamiliales ».
Parce que « témoigner des violences subies est nécessaire à la prise en compte de ces violences mais [que] cette étape peut aussi constituer un traumatisme », le plan préconise de développer des formations au recueil de la parole dans les structures qui auditionnent les enfants. Constatant que 11 % des appels reçus par le « 119 » proviennent d’enfants qui témoignent pour eux-mêmes ou des proches, il propose l’élaboration, d’ici le second semestre 2018, d’un outil de recueil de la parole de l’enfant, diffusé auprès des acteurs institutionnels et associatifs concernés. Cet outil a pour but de « recueillir la parole de l’enfant de manière adaptée et respectueuse des traumatismes subis ».
Autre mesure prévue par le plan : améliorer la prise en charge médicale des enfants victimes de violences en les informant de leurs droits et en envisageant l’extension de la prise en charge à 100 % des frais médicaux dont bénéficient les victimes de violences sexuelles aux victimes de toutes les formes de violences subies durant leur enfance.
Enfin, le ministère estime qu’il est « indispensable que les enfants victimes bénéficient le plus tôt possible d’une prise en charge adaptée », particulièrement ceux ayant assisté à des meurtres intrafamiliaux au domicile familial. Le plan propose donc qu’ils soient immédiatement pris en charge à l’hôpital avant un éventuel placement à l’aide sociale à l’enfance ou chez un proche, afin d’établir un bilan somatique et psychologique. L’objectif de cette mesure étant de prévenir les difficultés que ces enfants témoins d’un meurtre intrafamilial pourraient rencontrer par la suite. Un protocole type interministériel devrait être élaboré et mis à la disposition des départements au second semestre 2017.
La direction générale de la cohésion sociale est chargée de veiller à la mise en place des 21 mesures du plan. Elle devra transmettre, chaque année, un bilan de son état d’avancement au Conseil national de la protection de l’enfance, lequel sera chargé de formuler des recommandations. Recommandations qui seront transmises au gouvernement en septembre 2019, en vue de l’élaboration d’un deuxième plan. La politique de lutte contre les violences faites aux enfants doit en effet « s’inscrire dans la durée et être élargie » au fur et à mesure, explique Laurence Rossignol.
L’inspection générale des affaires sociales aura pour mission, quant à elle, d’évaluer le plan. Dans ce cadre, elle sera chargée, entre autres :
→ d’identifier les évolutions dans la production des données statistiques et dans l’offre de formation des professionnels en contact avec des enfants ;
→ d’apprécier l’impact des moyens mis en œuvre en matière de prévention et de prise en charge des enfants victimes de violences.