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La politique de « déradicalisation » vivement critiquée dans un bilan d’étape parlementaire

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Dans le bilan d’étape(1), présenté le 22 février, de la mission d’information « Désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en France et en Europe » lancée en mars 2016 par la commission des lois du Sénat, les rapporteures Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendlé (LR) se montrent très critiques sur le bien-fondé et les conditions de la prise en charge de la déradicalisation en France et visent en particulier le centre de « déradicalisation » de Pontourny (Indre-et-Loire) ouvert en septembre dernier à titre expérimental.

Le Sénat avait déjà livré, en avril 2015, un rapport réclamant d’intervenir le plus en amont possible dans la lutte « anti-djihad »(2). A ce stade de leurs travaux, au cours desquels elles ont notamment procédé à l’audition de 27 personnes et effectué cinq déplacements sur le terrain, les deux élues constatent, près de deux ans plus tard, que la pertinence même du concept de « déradicalisation » est largement contestée, ce que l’une des personnes entendues a traduit par une formule sans concession : « La déradicalisation : seuls ceux qui en vivent y croient. » D’après Esther Benbassa et Catherine Troendlé, les acteurs institutionnels eux-mêmes « n’ont d’ailleurs pas nié qu’aucune solution “clé en main” n’existait et que l’apprentissage s’effectuait “en marchant” ».

Un « business de la déradicalisation »

Plus gênant : en engageant, en 2014, « les premières actions en faveur de la lutte contre la radicalisation djihadiste », les pouvoirs publics se sont « reposés sur des acteurs associatifs dont l’expérience en matière de prévention et de traitement de la radicalisation n’est pas toujours ou encore avérée ». Pire encore, « la priorité politique qu’a constituée légitimement la “déradicalisation” sous la pression des événements a pu conduire à des effets d’aubaine financière », n’hésitent pas à écrire les deux parlementaires. Et d’ajouter qu’ont « pu être évoqués successivement lors des auditions un “gouffre à subventions” ou un “business de la déradicalisation” ayant attiré des associations venues du secteur social en perte de ressources financières du fait de la réduction des subventions publiques ».

Cependant, les programmes initiés par les différents ministères concernés « doivent être distingués selon qu’ils s’adressent à des personnes placées sous main de justice [ou à] celles qui ne sont pas judiciarisées », soulignent Esther Benbassa et Catherine Troendlé. Elles se sont donc penchées sur le fonctionnement du centre de « déradicalisation » de Pontourny, d’une part, et sur la prise en charge des personnes placées sous main de justice, d’autre part, en examinant la gestion de la radicalisation au sein des établissements pénitentiaires ainsi qu’un programme mis en œuvre dans la circonscription judiciaire de Mulhouse (Haut-Rhin).

Le centre de Pontourny sous le feu des critiques

« Présenté comme une expérimentation » et initialement envisagé comme un « centre de réinsertion et de citoyenneté », avec une équipe pluridisciplinaire comprenant notamment « neuf éducateurs spécialisés (+ cinq de nuit) », le centre de Pontourny « devait préfigurer l’ouverture de 13 centres similaires, un dans chaque nouvelle région métropolitaine ». Au final, six mois après son ouverture officielle, il n’a pas « engrangé de résultats concluants », notent les deux élues. « D’une capacité maximale de 25 places, il n’a accueilli simultanément, à sa plus forte affluence, que neuf personnes », indique leur bilan et, « à la date du 3 février 2017, lors de la visite du centre par les rapporteurs, une seule personne était sur place ». Enfin, « après la condamnation [de l’un de ses pensionnaires] à quatre mois de prison avec sursis pour violences et apologie du terrorisme le 9 février 2017, le centre n’accueille désormais aucune personne »(3).

Détaillant le processus de sélection des personnes, qui a donné lieu à « de fortes disparités entre départements », la mission parlementaire vante à l’inverse les qualités de « la démarche volontariste du bourgmestre de Vilvorde » (Belgique), qui « a créé une politique locale spécifique de prévention de la radicalisation à côté du service de prévention de la délinquance, avec un service dédié chargé […] de suivre les programmes personnalisés en fonction des parcours des personnes suivies (visites à domicile, rencontre avec des assistants sociaux, accompagnement administratif, présence de référents pour l’emploi gérant directement les dossiers des personnes “radicalisées”, accompagnement avec un duo imam-professionnel, rencontre avec des psychologues…) ».

Au final, le centre de Pontourny a été soumis à « un feu de critiques », résument Esther Benbassa et Catherine Troendlé, en soulignant que, « au-delà des erreurs ayant émaillé la mise en place du dispositif expérimental, la question de l’efficacité du modèle d’un “centre de déradicalisation” est clairement posée. Plusieurs élus locaux ont d’ailleurs appelé à sa fermeture, estimant que l’expérimentation, qui avait eu le mérite d’être tentée, avait désormais montré son manque d’utilité. » S’y ajoutent deux interrogations sur « le volontariat sur lequel repose le programme, [qui] crée sa fragilité intrinsèque », et sur « les effets sur la lutte contre le phénomène d’emprise sur des personnes en voie de radicalisation [qui] sont loin d’être avérés ».

Volte-face du gouvernement sur les quartiers dédiés au sein des prisons

Pour ce qui est de la prise en charge des personnes placées sous main de justice, et considérant que « la prison constitue l’un des vecteurs de radicalisation sous l’effet de l’incarcération d’individus condamnés pour des infractions terroristes », le gouvernement a tout d’abord décidé de créer cinq quartiers dédiés à la prise en charge des détenus radicalisés dans les établissements pénitentiaires : deux unités dédiées à l’évaluation, au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) et à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), et trois autres dédiées à la prise en charge, au sein de la maison d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise), de Fleury-Mérogis et, pour les personnes les plus radicalisées, au centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin (Nord). Puis, rappelle la mission, il a changé de cap l’automne dernier, pour « répondre à l’accroissement du nombre de personnes détenues terroristes et radicalisées et assurer la sécurité des personnels », avec un nouveau « plan pour la sécurité pénitentiaire et l’action contre la radicalisation violente », qui remet en cause « la pratique du regroupement »(4).

Une expérience positive à Mulhouse

Enfin, Esther Benbassa et Catherine Troendlé saluent le bilan « particulièrement positif » de l’expérimentation menée à Mulhouse pour la prise en charge de la radicalisation violente, avec un partenariat entre la cour d’appel de Colmar en liaison avec le tribunal de grande instance de Mulhouse, les autres services du ministère de la justice (administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse), la ville de Mulhouse et le groupe hospitalier de la région Mulhouse et Sud-Alsace, dont le pilotage a été confié à l’association d’aide aux victimes Accord 68.

Notes

(1) Rapport disponible sur www.senat.fr.

(2) Voir ASH n° 2906 du 17-04-15, p. 12.

(3) Ce centre devrait toutefois accueillir une seconde « cohorte » à partir de la mi-mars – Voir ASH n° 2999 du 24-02-17, p. 14.

(4) Voir ASH n° 2981 du 28-10-16, p. 13.

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