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« Les jeunes d’origine populaire ont plus de risques de mettre un terme à leurs études prématurément »

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De nombreuses études se sont intéressées aux conditions de vie des étudiants, montrant qu’avec la massification de l’enseignement supérieur, le nombre des étudiants en « galère » a notablement augmenté. Mais quel est l’impact de cette situation sur la réussite universitaire ? La docteure en sciences de l’éducation Séverine Landrier a copiloté une étude sur ce sujet pour le Céreq.
Quels sont les déterminants des conditions de vie des étudiants ?

Si l’on parle des conditions matérielles de vie des étudiants, le principal est évidemment l’origine sociale. Les ressources dont ils disposent dépendent en grande majorité des liens qu’ils peuvent avoir avec leurs parents et de la capacité financière de ces derniers à les aider. De l’existence ou non de cette aide va découler toute la suite : le logement, le recours au travail salarié, l’accès aux soins, la durée des études… Le lieu d’études a, en revanche, assez peu d’incidences sur leur réussite universitaire. Il existe des différences de réussite entre universités, mais on les explique plutôt par la capacité des enseignants et des équipes pédagogiques à se mobiliser.

Dans quel cadre a été conçu cet ouvrage ?

Je travaille depuis longtemps sur l’impact des variables de contexte sur les parcours de formation dans le secondaire et le supérieur. En 2004, j’ai intégré le GTES [Groupe de travail enseignement supérieur] porté par le Céreq [Centre d’études et de recherches sur les qualifications]. Ce groupe compte une quarantaine de membres, avec des chercheurs spécialistes de l’enseignement supérieur ainsi que des représentants des différents observatoires de la vie étudiante créés dans les universités. Le but de ce groupe est d’encourager des collaborations entre ces personnes d’horizons divers et d’articuler des travaux nationaux avec des productions locales ou régionales. Depuis 2012, je coanime le GTES avec un représentant du Céreq et un représentant d’observatoire universitaire. Nous avons chacun en charge la coordination d’un sous-groupe thématique. C’est dans ce cadre que j’ai coordonné les travaux du sous-groupe « conditions de vie matérielles et d’études et parcours universitaire » avec Philippe Cordazzo, de l’université de Strasbourg.

Quel était votre objectif ?

Le choix du thème – l’impact des conditions de vie des étudiants sur leur parcours à l’université – a été assez unanime au sein du GTES. Au niveau national, l’OVE [Observatoire de la vie étudiante] recueille des données sur l’ensemble des étudiants de l’enseignement supérieur en France. Ses travaux ont permis d’améliorer nos connaissances sur ce public extrêmement hétérogène et sur ses conditions de vie. De leur côté, les universités ont développé des enquêtes afin de mieux connaître leurs publics, car en fonction des filières qu’elles proposent, les profils d’étudiants ne sont pas les mêmes, leurs conditions de vie non plus. Nous avons maintenant une bonne connaissance de ces dernières, mais on ne va pas plus loin. Notre intérêt était de montrer en quoi ces conditions de vie influent sur l’ensemble du parcours des étudiants. Il s’agit d’une approche encore assez peu répandue.

Combien d’étudiants ne vivent pas avec leur famille, et pour quelles raisons ?

Selon les données de l’OVE, près de 70 % des étudiants n’habitent plus chez leurs parents, quel que soit leur âge. Seuls un tiers vivent donc encore au sein de la famille. Pour la grande majorité, ces jeunes décohabitent pour se rapprocher de leur lieu d’études. Quand on habite en milieu rural et que l’on souhaite faire des études supérieures, il faut quitter le cocon familial et disposer de son propre logement à proximité du lieu de ses études. Un certain nombre de jeunes décohabitent aussi pour devenir autonomes. Il semblerait que le logement en résidence étudiante ou en internat soit associé à des modes de vie considérés comme studieux. Mais, finalement, la décohabitation serait plutôt une conséquence de la réussite qu’un déterminant de celle-ci.

Quelle est la part des étudiants exerçant une activité salariée ?

C’est le cas de 45 % des étudiants en France. Parmi eux, la moitié considèrent que c’est indispensable pour vivre. Les autres ont recours à une activité salariée pour contribuer au financement de leurs études et payer leurs loisirs, leurs sorties – finalement, pour grandir. Mais ces deux catégories recouvrent une très grande diversité de situations. Par ailleurs, parmi les étudiants les plus précaires, certains refusent de recourir au travail salarié pour se consacrer entièrement à leurs études et mettre ainsi toutes les chances de leur côté, quitte à supporter un niveau de vie très modeste. Quant aux étudiants boursiers, ils exercent rarement une activité salariée, parce qu’ils ne peuvent dépasser un certain montant de salaire et parce qu’ils ont l’obligation de présence à certains cours. L’importance du travail salarié chez les étudiants évolue également en fonction de l’âge : plus ils vieillissent et moins leurs parents les aident financièrement. Certains vont donc avoir recours au travail salarié pour compenser et maintenir leur niveau de vie, tandis que d’autres vont renoncer progressivement à la poursuite de leurs études.

A partir de quel moment l’exercice d’une activité salariée influe-t-elle négativement sur les études ?

Les nombreux travaux sur ce sujet s’accordent sur l’existence d’un seuil critique correspondant à une activité salariée supérieure à un emploi à mi-temps au moins six mois par an. Le dépassement de ce seuil, associé à l’exercice d’un travail peu qualifié et sans lien avec la formation suivie, a toutes les chances de perturber le bon déroulement des études. Mais ce qui compte aussi, c’est l’adéquation temporelle de ces emplois avec l’emploi du temps de l’étudiant à l’université.

Selon quels critères un étudiant est-il considéré en situation de précarité socio-économique ?

On pourrait considérer que le niveau de leurs ressources financières suffit pour répondre à cette question. Mais il est difficile de faire la part des choses entre leurs ressources propres et les dépenses que font leurs parents pour eux. Du coup, pour mieux appréhender cette situation, on a besoin de savoir s’ils ont renoncé à des soins, s’ils ont recours à des aides exceptionnelles, à une activité salariée contrainte et quel est leur ressenti de leur propre situation économique. Par exemple, on sait à partir de l’enquête de l’OVE qu’un tiers des étudiants rencontrent des difficultés financières importantes, que 6 % d’entre eux ont eu recours à des aides sociales exceptionnelles et que 13 % ont renoncé à des soins pour des raisons financières. Ces facteurs réunis mettent les étudiants dans une situation de vulnérabilité qui les expose à des problèmes de santé et, finalement, à l’échec.

Quel est le principal facteur de réussite universitaire ?

Il y a deux facteurs déterminants, à savoir l’origine sociale et le parcours scolaire antérieur. Selon le type de bac, l’âge auquel il a été obtenu et la catégorie sociale des parents, les étudiants n’ont pas les mêmes chances de réussir. Que cela s’explique par un capital culturel, par des stratégies d’accès à certaines filières, par de l’autosélection ou par les difficultés de la vie étudiante, au final, les jeunes d’origine populaire ont plus de risques que ceux de milieux plus aisés de faire leurs études dans des filières moins prestigieuses et d’y mettre un terme prématurément.

Les dispositifs que les universités mettent en œuvre pour aider les étudiants en difficulté sont-ils efficaces ?

L’objectif poursuivi depuis les années 1990 est bien d’endiguer l’échec important à l’issue de la première année, notamment pour les bacheliers technologiques et professionnels. Par exemple, près de 15 % des bacheliers professionnels passent en seconde année de licence, contre 60 % des bacheliers généraux, et un quart d’entre eux arrêtent leurs études à l’issue de la première année, contre 6 % pour les bacheliers généraux. Les universités ont donc mis en place toute une série de dispositifs afin de faciliter l’intégration de ces publics et d’accroître leurs chances de réussite. Cela va du tutorat aux ateliers pour apprendre la méthodologie de travail… Le problème est que ces dispositifs sont souvent fondés sur le volontariat et qu’ils ne bénéficient pas toujours à ceux pour lesquels ils ont été conçus au départ. Le public ciblé ne saisit pas, ou peu, ces aides qui lui sont proposées et l’Université semble assez désemparée face à cette situation.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Docteure en sciences de l’éducation, Séverine Landrier est responsable de l’animation scientifique de l’observatoire régional des métiers, à Marseille. Avec Philippe Cordazzo et Christine Guégnard, elle a codirigé Etudes, galères et réussites. Conditions de vie et parcours à l’université (éd. La Documentation française, 2016).

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