La lecture hebdomadaire de revues juridiques spécialisées, qui constitue une quasi-obligation professionnelle, apporte toujours son lot d’informations inédites et souvent de beaux sujets de réflexion. C’est le cas avec la livraison de l’AJDA (Actualité juridique droit administratif) du 6 février dernier. Un jugement du tribunal administratif de Strasbourg(1) qui a attiré l’attention d’un collègue professeur de droit, Hervé Rihal, y est reproduit et surtout commenté par ce dernier, chose assez rare pour une décision émanant d’une juridiction de première instance.
Parmi les divers points de droit soulevés par cette affaire, un seul présente un intérêt direct pour les acteurs de l’action sociale, puisqu’il concerne le volet « insertion » du revenu de solidarité active (RSA). Les faits sont simples : le conseil départemental du Haut-Rhin avait décidé, par une de ses délibérations, d’imposer aux bénéficiaires du RSA l’exercice d’une activité « bénévole » en contrepartie de la perception de l’allocation.
Ce cas d’espèce reposait, bien sûr, l’inévitable question inscrite dans la structure même du RSA et, avant lui, du revenu minimum d’insertion : celle de l’équilibre à trouver entre, d’un côté, le droit à l’allocation, traduction d’un droit fondamental à disposer de moyens d’existence, et, de l’autre, l’objectif d’insertion sociale et professionnelle qui mêle des obligations pesant sur le bénéficiaire et tout autant, en principe, sur la puissance publique. On en connaît la conséquence sur la scène des débats collectifs, où s’établit depuis presque trente ans un chœur bien réglé opposant les protecteurs du droit aux ressources et les contempteurs du laxisme en matière d’insertion(2).
Le juge, comme il est logique, ne s’est pas aventuré sur ce terrain, mais il a cherché la solution dans les textes et il les examine avec soin. Il constate que la loi organise bien des « droits et devoirs » pour les bénéficiaires du RSA (CASF, art. L. 262-27 et s.) ; tant pour ceux d’entre eux qui sont orientés vers des organismes participant au service public de l’emploi que pour ceux qui, éloignés de l’emploi, sont pris en charge par le département (CASF, art. L. 262-35 et L. 262-36), les devoirs s’inscrivent dans un contrat « librement débattu » conclu dans le cadre de l’accompagnement auquel ces derniers ont droit. S’il y a donc bien une réciprocité entre le droit à l’allocation et des obligations qui peuvent être imposées à l’allocataire pour favoriser son insertion sociale et professionnelle, ces contraintes, qui peuvent parfaitement inclure des activités bénévoles, doivent être acceptées par le bénéficiaire et s’inscrire dans une cohérence spécifique à chaque cas, ce que justement entend garantir la forme contractuelle. La délibération du conseil départemental du Haut-Rhin est donc annulée : imposant en dehors du contrat et de façon générale une activité qui devient ainsi, paradoxalement, un « bénévolat forcé », elle a purement et simplement violé la loi.
Cette première dimension du jugement, la seule qui importe sur le plan juridique, a le mérite de rétablir les choses de façon claire : s’il y a bien une contrepartie à l’allocation du RSA, elle doit être ordonnée à l’objectif d’insertion du bénéficiaire et ne peut en aucun cas revêtir un caractère punitif ou de « less eligibility », d’où le « contrat librement débattu ».
Mais il y avait en arrière-fond un autre aspect qui ne manque pas d’intérêt. Il semble que le département du Haut-Rhin, par cette délibération, entendait attirer l’attention sur la situation préoccupante de ses finances, grevées notamment par une croissance vertigineuse des dépenses liées au RSA. Il entendait aussi faire de ce « bénévolat forcé » un instrument de la chasse aux abus d’allocataires dont on sait qu’une partie notable (environ 30 %) n’a pas établi de contrat. Outre que l’instrument laisse dubitatif quant à sa mise en œuvre (comment fournir ces activités bénévoles, les organiser et les contrôler…), qu’il repose sur une forme de suspicion générale à l’égard des allocataires sans contrat, alors que la responsabilité des services est tout autant engagée, et qu’il pouvait comporter nombre d’effets pervers, le juge administratif envoie donc un message aux départements : pour redresser leurs finances, il faudra trouver autre chose qu’un renforcement général des contraintes pouvant être opposées aux allocataires du RSA.
(1) Tribunal administratif de Strasbourg, 5 octobre 2016, préfet du Haut-Rhin, n° 1601891 ; AJDA 2017 n° 4, p. 226, note H. Rihal.
(2) C’est d’ailleurs ce qu’on a pu constater à propos de ce jugement, invité dans le débat des primaires de la droite lorsqu’il a été évoqué par M. Sarkozy, qui s’est dit scandalisé par cette décision.