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« Reconnaître l’importance des figures d’attachement autour de l’enfant »

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Quelque 70 000 enfants ou adolescents vivent en famille d’accueil. Evoluant au sein de configurations familiales composites, les intéressés sont amenés à développer des relations affectives multiples et diversifiées. Mais qu’est-ce qui fait vraiment « famille » pour eux ? Nathalie Chapon leur a posé la question.
Vous étudiez depuis longtemps les processus de parentalité en famille d’accueil. Vous êtes passée, aujourd’hui, de la parole des assistantes familiales à celle des enfants accueillis. Quel était l’objectif de cette recherche ?

Nous avons souhaité rendre compte de la variété des situations que vivent les enfants et adolescents confiés. Comprendre ce que la notion de « famille » représente pour eux est indispensable pour envisager les modalités de prise en charge les mieux adaptées à leurs besoins.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons rencontré, dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, un panel diversifié de 25 enfants, adolescents ou jeunes adultes de 5 à 25 ans. Certains d’entre eux étaient – ou avaient été – accueillis depuis de longues années, d’autres de façon récente. Nous avons également eu des entretiens approfondis avec leur(s) parent(s), leurs frères et sœurs – placés ou pas avec eux –, leurs assistantes familiales, les autres enfants confiés à la même famille d’accueil et les enfants de cette dernière présents au domicile. Pour une même situation, il y a eu au minimum quatre entretiens et jusqu’à plus de dix. La lecture des dossiers a aussi été une étape très importante de la recherche. Elle nous a permis de faire une analyse fine de chaque situation, d’avoir des repères historiques et objectivables sur le déroulement du placement et du parcours de l’enfant, ainsi que sur les choix de vie professionnels, affectifs et familiaux des parents.

Peu d’études sociologiques explorent le point de vue des enfants. Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Les entretiens avec les adolescents et jeunes adultes se sont déroulés de façon classique, mais l’accès aux plus petits a effectivement demandé un moment d’adaptation et la mise en place d’une relation de confiance. Afin d’entrer en contact plus facilement avec les enfants de 5 à 10 ans, les plus nombreux dans notre recherche, nous nous sommes fait accompagner par une fillette de 9 ans, initiée à la thématique de notre travail sur les relations affectives en accueil familial. Cette chercheuse en herbe avait un rôle de facilitatrice de la parole de l’enfant interviewé, en jouant avec lui avant l’entretien et en répondant à ses questions sur la façon dont il allait se dérouler, son objectif, son intérêt. La présence d’un pair du même âge a permis d’instaurer un sentiment de proximité et de sécurité favorable à la liberté d’expression. Les enfants ont vite saisi l’importance de la rencontre et ont essayé d’être les plus vrais et sincères possibles. Ils ont répondu avec beaucoup de spontanéité, en essayant de trouver les mots justes pour décrire ce qu’ils vivaient et ce qu’ils espéraient. Quel que soit l’âge des enfants, on a constaté leur souhait d’expliquer ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux. Les discours les plus intéressants sont peut-être ceux des enfants de 7, 8 ou 9 ans. Ils font part d’interrogations sur les mesures prises, d’espoir dans le service chargé de leur situation et portent un regard très acéré sur leur parcours, qui est déjà, pour certains, ponctué d’épreuves. Les mots des enfants sont saisissants, tant ils sont précis, empreints d’une grande maturité pour des êtres si jeunes, notamment quand ils relatent des décisions prises par l’institution, qui orientent parfois définitivement le sens de leur vie.

Qu’est-ce qu’une famille pour les enfants accueillis ?

Une famille, c’est d’abord vivre ensemble et, au-delà, c’est aussi s’aimer. La quasi-totalité des enfants expriment des sentiments forts à l’égard de la famille d’accueil, bien plus investie que la famille d’origine. Seulement six enfants déclarent avoir beaucoup d’affection pour leur(s) parent(s), ce qui reflète la complexité des situations familiales d’origine. Le sentiment qui unit, le temps passé ensemble et la sécurité donnée par la capacité à prendre soin, sont les éléments constitutifs de la famille pour les enfants confiés. Ils évoquent aussi l’aide en cas de coup dur et attribuent quasiment tous cette fonction de soutien à l’assistante familiale et à sa famille, aussi bien pendant l’enfance qu’à l’entrée dans l’âge adulte. La déperdition des relations avec l’un des parents, ou les deux, conduit lentement la plupart des enfants à considérer que leur famille d’accueil est leur seule structure familiale de référence. Un certain nombre d’enfants confiés ne connaissent pas vraiment leurs parents, ou l’un d’entre eux. Ils estiment qu’on ne peut pas désigner une personne que l’on ne voit pas ou qu’on ne connaît pas comme faisant partie de sa famille. Dans l’ensemble des situations rencontrées, la relation à la mère est plus problématique que la relation au père. Certains jeunes ont un discours très revendicatif à l’égard de leur mère, alors même que les mères sont plus présentes que les pères. C’est bien le ressenti d’un manque maternel qui s’exprime ici et entraîne la création d’un autre lien, soit avec l’assistante familiale et sa famille, soit avec une autre figure familiale.

Quels sont les mots employés pour dire ce lien ?

L’importance de l’amour familial vécu au quotidien et l’immersion dans une relation affective d’accueil parfois très forte expliquent la façon dont les enfants nomment les acteurs parentaux. Par exemple, pour Lila, 8 ans, sa mère est « celle qui [l’]a mise au monde, [sa] maman, c’est Sylvie », son assistante familiale. Plus âgé, Chris, 16 ans, procède par analogie : « Nathalia, c’est comme une mère, je suis arrivé j’avais 14 mois, elle m’a tout appris […], elle a fait le travail qu’une mère fait, c’est comme si c’était ma mère. » Ces façons de s’exprimer témoignent de la distinction faite par les enfants entre les rôles et les statuts. Il n’y a ni confusion ni usurpation. Les enfants ont une claire conscience de qui est biologiquement et juridiquement la mère et de qui est « comme si », la maman d’accueil. C’est pourquoi on peut s’étonner de la focalisation des travailleurs sociaux sur la proscription d’une nomination du couple d’accueil par l’enfant en termes parentaux (maman, papa).

Qu’en est-il des relations de fratrie ?

Il s’agissait, en l’occurrence, de demi-fratries du point de vue biologique dans trois quarts des situations analysées. Il y a de multiples cas de figure : des placements communs de frères et sœurs, des placements différenciés ou l’accueil d’une partie de la fratrie par la même famille, cependant que certains enfants restent au domicile parental. En cas de placements communs – souvent par binômes constitués en fonction de l’âge –, il y a un maintien des liens entre frères et sœurs et une préférence toujours marquée pour le membre de la fratrie avec qui l’on vit. Mais, pour appréhender les expériences d’ordre fraternel que vivent les enfants confiés, il est plus judicieux de considérer l’ensemble du groupe d’enfants qui réside sous le même toit – éventuels membres de la fratrie d’origine, autres enfants confiés, enfants de la famille d’accueil : on constate que ce qui fait la relation affective entre enfants, ce n’est pas une filiation commune, c’est la vie quotidienne, le temps et les jeux partagés.

Si les enfants rencontrés pouvaient changer quelque chose dans leur vie, qu’est-ce que ce serait ?

Nous nous attendions à ce qu’ils déclarent qu’ils auraient préféré ne jamais connaître l’accueil familial, avoir d’autres parents, une vie différente… Aucune de ces réponses n’est apparue. La condition qui est la leur, avec des parents qu’ils rencontrent de temps en temps ou qu’ils ne voient pas, et avec leur famille d’accueil chez laquelle ils vivent parfois depuis longtemps, leur convient le plus souvent. Ils se sont adaptés à la situation d’accueil et ont trouvé un équilibre auquel ils sont attachés. « Je suis bien ici, moi, je ne veux rien changer », explique Nina, 10 ans, résumant le sentiment général.

Quel enseignement principal dégagez-vous de cette recherche ?

Les enfants ont fait part de sentiments secrets à l’égard de la famille d’accueil, mais aussi de leurs parents et de leurs frères et sœurs, des sentiments le plus souvent niés par les institutions visiblement guidées par une idéologie parentaliste qui fait primer le lien d’origine. Dans la plupart des cas, les jeunes expriment l’incompréhension du service et surtout de leur référent face à ce qu’ils vivent. Ils pensent que ce dernier ne sait pas bien faire la différence entre les liens et ne veut pas entendre ce qu’ils ont à dire sur leur relation affective avec leur famille d’accueil. Il est essentiel de reconnaître l’importance des différentes figures d’attachement autour de l’enfant. Le droit est directement interpellé à cet égard pour sécuriser les parcours des jeunes et répondre au plus juste à la réalité des situations de pluriparentalité.

Points de repères

→ Fruit d’un appel d’offres de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), cette recherche sur la question des liens en accueil familial a été réalisée entre 2014 et 2016 dans le cadre d’un partenariat entre l’ONPE et le Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et de recherches en sciences sociales.

→ Elle est composée de trois parties : la première – évoquée ici – porte sur ce qui fait « famille » pour les enfants confiés ; la deuxième, sur les différents modes de suppléance familiale observés ; la troisième, sur les évolutions juridiques envisageables pour mieux ajuster les prises en charge aux besoins et à l’intérêt des enfants.

→ Nathalie Chapon, enseignante-chercheure en sciences de l’éducation à l’université d’Aix-Marseille, en a assuré la responsabilité scientifique, Caroline Siffrein-Blanc, spécialiste de droit privé, est l’auteure de la partie juridique.

→ Ce travail est consultable sur le site de l’ONPE. Il donnera lieu à un ouvrage courant 2017.

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