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Des professionnels ambivalents

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La réorganisation du travail social dans les caisses d’assurance maladie, qui s’appuie sur un pilotage de l’activité par l’atteinte de résultats chiffrés, a conduit une professionnelle à interroger la non-prise en compte de l’implication des travailleurs sociaux dans l’accompagnement des publics.

Au vu des bouleversements introduits dans le service social des caisses d’assurance maladie par la mise en œuvre d’une démarche de certification, Marie Mormesse, formatrice à l’ETSUP (et ancienne professionnelle de ce service), a réalisé en 2011 une étude auprès des collègues et de la hiérarchie de son ancien employeur. Objectifs chiffrés dont les résultats sont présentés sous forme de « scores », travailleurs sociaux qui se voient attribuer des « portefeuilles de clients », « logigrammes » déclinant les étapes clés de la prise en charge d’une personne en difficulté, du premier contact – « la sollicitation client » – à la fin de l’accompagnement social ou « sortie de production »… « Face à la rhétorique managériale développée, il nous semblait à nous, assistantes sociales, que la forme prévalait sur le fond – et que nous ne parlions plus le même langage que nos cadres », explique Marie Mormesse(1). La recherche de performance se traduisait aussi par la baisse des effectifs et la « rationalisation » de l’accueil du public avec, notamment, des rendez-vous limités à une demi-heure pour les primo-demandeurs. Or « le premier entretien avec un usager, qui plus est malade ou accidenté, en souffrance, avec des difficultés administratives et/ou financières multiples, peut nécessiter un temps de réception plus long », commente la formatrice.

L’enquête met en évidence des professionnels très désemparés dans ce nouvel environnement de travail, qui leur fait perdre le sens même de ce dernier au point que certains d’entre eux en tombent malades. Les travailleurs sociaux se révèlent ambivalents vis-à-vis de l’évaluation. Ils accusent l’évaluation quantitative de n’être que du contrôle et de la normalisation des pratiques, qui nourrit une tentation de tricher pour atteindre les objectifs « cibles » et recevoir ainsi des points de compétence et une prime annuelle d’intéressement. Ils ne nient pas pour autant l’intérêt d’évaluer la qualité de leur intervention – mais de leur intervention réelle. « Il ressort des entretiens que nous avons réalisés que les professionnels opposent à l’évaluation chiffrée de leur activité une part qu’ils considèrent essentielle de leur travail : l’aspect humain », c’est-à-dire la « subjectivité à l’œuvre dans la rencontre de deux individus », développe Marie Mormesse.

Quid de la part subjective ?

Le travail relationnel n’est pas un travail objectif, c’est un jeu émotionnel intense qui permet d’établir la relation. « Ce travail émotionnel ne va pas de soi. Difficilement observable ou interprétable par un tiers, il nécessite des compétences particulières, souvent reléguées du côté de qualités qui seraient naturelles » – ce qui permet d’autant mieux de les disqualifier. Une évaluation purement objective serait donc incomplète, car aveugle à la part subjective du travail, qui conditionne pourtant la qualité réelle du service rendu, estime la formatrice. En instaurant un pilotage de l’activité de son service social par l’atteinte de résultats chiffrés, plus faciles à évaluer, l’assurance maladie « demande implicitement à ses professionnels d’évacuer de leurs tâches quotidiennes ce qui ne se mesure ni ne s’objective, c’est-à-dire le lien tissé entre deux individus » permettant d’accompagner l’usager dans une dynamique de résolution de ses problèmes.

Notes

(1) Lors de la journée d’étude de l’ETSUP organisée à Paris le 23 novembre dernier. Marie Mormesse rend compte de ce travail dans L’évaluation du travail social : une nécessité impossible ? – Ed. L’Harmattan, 2014 – Voir ASH n° 2929 du 16-10-15, p. 33.

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