Résorber « structurellement » la précarité énergétique. C’est l’objectif d’une initiative collective baptisée « Rénovons », portée par plusieurs organisations, dont la Fondation Abbé-Pierre, le Secours catholique-Caritas France, ou encore Soliha-solidaires pour l’habitat(1), auxquelles se sont associés plusieurs autres partenaires, visant à adopter un « plan national ambitieux de rénovation des passoires énergétiques ».
Les organisations rappellent qu’il existe 7,4 millions de résidences principales du parc privé particulièrement énergivores – ayant une « étiquette énergie F ou G »(2) –, caractéristique qui a des effets sur la situation sociale et financière de leurs occupants. Parmi ces derniers, 2,6 millions de ménages modestes (ayant un revenu annuel par unité de consommation inférieur à 14 610 €, selon les données 2012 de l’INSEE) représentent près de la moitié des ménages en situation de précarité énergétique identifiés selon les indicateurs de l’Observatoire national de la précarité énergétique.
Alors que la loi « transition énergétique pour la croissance verte » (LTECV) prévoit l’élimination des passoires énergétiques d’ici à 2025, ses objectifs seront très loin d’être atteints « si la rénovation énergétique se maintient à son rythme actuel », arguent les organisations. Selon elles, seules à peine 500 000 de ces habitations énergivores auront été rénovées dans le parc des résidences principales privées à cette échéance, « et il en restera encore plus de 6,6 millions en ayant déduit les démolitions ». De plus, la précarité énergétique « selon la définition retenue dans cette étude – ménage des trois premiers déciles de revenus vivant dans une passoire énergétique – n’aura baissé au mieux que de 5 % en 2020, mais elle pourrait même s’accentuer en cas d’augmentation du coût de l’énergie et de diminution des revenus des ménages concernés ».
Les partenaires de l’initiative présentent les contours d’un plan qui permettrait de rénover toutes les passoires énergétiques du parc privé à l’horizon 2025. A l’appui de leur démonstration : une étude réalisée par le cabinet Sia Partners, avec la contribution de plusieurs acteurs du champ économique, social et environnemental, qui en chiffre les enjeux en matière de coûts et de bénéfices pour la société. Le plan issu de cette analyse démarrerait en 2017 avec 500 000 rénovations (le volume annuel prévu par la LTECV), objectif porté à 980 000 rénovations en 2021, et impliquerait un investissement de 80 milliards d’euros, dont plus de la moitié issue du secteur privé (propriétaires bailleurs ou occupants). Il reposerait sur la rationalisation et le renforcement des dispositifs de soutien public à la rénovation, pour ne privilégier que les plus efficaces et les plus lisibles. Par exemple, les montants des subventions « Habiter mieux » seraient augmentés. Avec le financement proposé, le reste à charge serait accessible y compris aux ménages modestes et « compensé par l’économie sur les factures d’énergies au bout de six ans ». L’investissement public – de 36 milliards d’euros – serait intégralement récupéré dès 2043 « grâce aux recettes fiscales et économies nettes générées par l’activité et l’amélioration du niveau de vie des ménages, soit un temps de retour sur investissement de 26 ans pour l’Etat ». Ainsi, le plan de rénovation préconisé assurerait « 1,06 € de bénéfice net pour chaque euro investi, grâce aux recettes fiscales générées par les emplois nets créés ainsi que les économies sur la santé ».
Parmi les bénéfices attendus : la création de 126 000 emplois équivalents temps plein nets sur la période et de 18 000 autres sur le long terme (grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages). L’étude évalue à 3,5 milliards d’euros les économies annuelles sur la facture énergétique des ménages, soit 512 € en moyenne par ménage et par an. A cela s’ajoutent 758 millions d’euros d’économies annuelles « pour le système de soins, dont 666 millions d’euros pour la sécurité sociale, grâce à l’amélioration de l’état de santé des ménages précaires vivant dans des passoires énergétiques ».
Par ailleurs, soulignent les organisations, le plan générerait des bénéfices sociaux non quantifiés. « Une étude d’Eurofound a par exemple chiffré les coûts de santé directs et indirects attribuables à six caractéristiques de mal-logement en France : les coûts médicaux directs y sont évalués à 930 millions d’euros par an, et les coûts indirects pour la société à près de 20 milliards d’euros, soit vingt fois plus que les coûts directs », comprenant par exemple l’absentéisme au travail et à l’école, la perte de productivité, le retard et le décrochage scolaire. Au total, le plan permettrait 1,03 milliard d’euros d’économies annuelles sur la facture énergétique de la France à partir de 2026 et une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 6,13 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an à partir de la même année, ce qui correspond à 12,5 % des émissions actuelles du secteur résidentiel.
(1) A l’origine du projet : la Fondation Abbé-Pierre, le Secours catholique-Caritas France, CLER-Réseau pour la transition énergétique, le Réseau action climat, Soliha-solidaires pour l’habitat et le groupe Effy.
(2) Logements dont la consommation d’énergie primaire est supérieure au seuil de 330 kwh/m2/an.