Après seulement un mois de travail, la mission d’évaluation de l’Assemblée nationale chargée de dresser un bilan de la loi du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, a rendu son rapport le 17 février(1). Les rapporteurs Denis Jacquart (LR) et Denys Robilliard (PS) ont voulu évaluer l’apport de la loi du 27 septembre 2013 sur l’amélioration des droits du patient, mais aussi les mesures issues de la loi du 5 juillet 2011 ainsi que les ajustements opérés par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé en la matière(2). S’inspirant des récents travaux de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (voir encadré ci-dessous), les députés dressent un état des lieux des « tendances significatives » des soins sans consentement et des dispositifs mis en place. Etat des lieux qui interroge, notamment, l’accès aux droits des patients et l’effectivité de leur exercice, « encore perfectible », l’implication des acteurs de la prise en charge psychiatrique, « variant de façon considérable d’un territoire à l’autre », et la pertinence des mécanismes mis en œuvre (efficacité des programmes de soins, recours à la procédure d’urgence, admission en soins pour péril imminent, intervention du juge des libertés et de la détention…). Focus sur quelques-unes des principales recommandations formulées par les députés.
Constatant une mise en œuvre hétérogène des droits des patients, telles que le droit à l’information, et un « important hiatus entre les progrès opérés par la loi de 2013 en matière de garanties des libertés individuelles et leur traduction concrète dans le quotidien des usagers », Denis Jacquart et Denys Robilliard proposent la généralisation, au niveau national, de points d’accès au droit dans l’ensemble des établissements autorisés en psychiatrie chargés d’assurer les soins sans consentement. Il s’agit, selon eux, de « remédier au déficit d’information des justiciables sur leurs droits et [de] contrer les logiques de renonciation ». Ils préconisent aussi l’octroi de l’aide juridictionnelle de plein droit à l’ensemble des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement.
Face à l’augmentation de la durée du programme de soins, les deux parlementaires proposent l’élaboration, par la Haute Autorité de santé (HAS), de recommandations relatives aux conditions de mise en place, de modification et de levée des programmes de soins. Ils encouragent, par ailleurs, l’évaluation de l’efficacité des programmes de soins via une enquête exhaustive et par une évolution des systèmes d’information hospitaliers.
Les députés proposent aussi la publication de recommandations de bonnes pratiques en matière de recours à la contention et à l’isolement, les auditions menées par la mission ayant démontré que les patients contestaient plus les conditions d’hospitalisation – « qui peuvent prendre des formes très préoccupantes dans certains établissements » (mesures d’isolement et de contention, notamment) – que l’hospitalisation elle-même.
Denis Jacquart et Denys Robilliard recommandent enfin de supprimerla circulaire et le décret exigeant que le greffedemande systématiquementcopie du bulletin n° 1 du casier judiciaire des patients ayant des antécédents judiciaires(3), dans le cadre du contrôle renforcé qu’opère le juge des libertés et de la détention sur les demandes de mainlevée, afin de vérifier s’ils ont fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité suivie d’une mesure d’hospitalisation d’office. Si la loi du 27 septembre 2013 a supprimé l’obligation de recherche de ces antécédents pour ces patients, les parlementaires constatent que cette pratique demeure chez certains greffes, qui continuent de s’appuyer sur ces deux textes réglementaires.
Les députés estiment, par ailleurs, que le contrôle juridictionnel des admissions en soins psychiatriques sans consentement exercé par les juges des libertés et des détentions « peut encore s’améliorer ». En ligne de mire : l’investissement des magistrats dans ce contentieux et les conditions de déroulement de la procédure. Ils constatent, notamment, une diversité des pratiques « d’une juridiction à l’autre », certains juges des libertés et de la détention intervenant dans la définition du contenu des programmes de soins alors que ces derniers relèvent de la compétence des médecins. Les parlementaires proposent donc l’élaboration, par la HAS, de recommandations clarifiant le dispositif des programmes de soins et harmonisant les pratiques en la matière sur l’ensemble du territoire.
Les parlementaires préconisent aussi de développer davantage les formations communes aux avocats, aux magistrats et aux soignants sur le contentieux des mesures de soins, qu’ils estiment « très spécifique et très technique ». Objectif : « faciliter et favoriser l’efficacité des avocats dans la procédure de contrôle judiciaire des mesures de soins ». Ils encouragent aussi les établissements d’accueil des patients et les juridictions à adopter des bonnes pratiques pour que les délais de communication des dossiers aux avocats avant l’audience soient « moins courts qu’ils ne le sont aujourd’hui ». Le rapport indique en effet que les avocats, s’ils ne sont pas choisis par les patients, n’ont pas le temps nécessaire pour entrer en contact avec leur client, préparer sa défense dans un délai raisonnable et communiquer au juge leurs conclusions avant l’audience.
Dénonçant une « banalisation du recours aux procédures d’urgence », Denys Robilliard estime que celui-ci « doit être combattu car c’est une facilité à terme coûteuse pour le patient et l’hôpital ». Les deux rapporteurs proposent donc d’encourager les dispositifs alternatifs de prise en charge des patients, en amont et en aval des services d’urgence dans les territoires caractérisés par un fort taux de recours aux procédures d’urgence, en s’appuyant sur :
→ les commissions départementales des soins psychiatriques, dont le rôle serait redéfini en articulation avec celui des juges des libertés et de la détention, par l’exploitation et la diffusion de leurs comptes rendus et rapports d’activité par une structure nationale identifiée ;
→ les personnels médicaux, lesquels seraient sensibilisés à une amélioration de leur pratique médicale à travers des recommandations émises par la Haute Autorité de santé.
La mission propose aussi d’enquêter sur les conditions du recours à la procédure d’urgence afin de « prendre à bras-le-corps cette dérive ». La HAS aurait ici aussi un rôle à jouer dans l’édiction de recommandations de bonnes pratiques relatives aux admissions en soins psychiatriques par des procédures d’urgence. Recommandations dont le respect serait assuré par un indicateur d’évaluation dans le cadre de la certification des établissements de santé.
Dans une récente étude(1), l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) analyse l’évolution du recours aux soins sans consentement en psychiatrie, quatre ans après la mise en place de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. L’IRDES indique que, si le profil type des patients pris en charge sans leur consentement n’a pas été modifié (surreprésentation des hommes, âgés en moyenne de 43 ans et ayant reçu, pour plus de la moitié, un diagnostic de troubles schizophréniques ou psychotiques), leur nombre a en revanche augmenté. En 2015, 92 000 personnes ont été prises en charge sans leur consentement, soit 12 000 de plus qu’en 2012. Cette hausse sensible du recours aux soins psychiatriques sans consentement s’explique, d’une part, par l’extension des soins en dehors de l’hôpital dans le cadre des programmes de soins (soins ambulatoires et à temps partiel) et, d’autre part, par la montée en charge des soins pour péril imminent, qui représentent désormais 21 % des soins sans consentement. L’IRDES constate que cette mesure, initialement destinée aux personnes désocialisées ou isolées, connaît « une montée en charge qui dépasse la procédure d’exception » et est mise en œuvre de manière hétérogène sur le territoire. Enfin, l’institut explique que, conformément à la hausse du nombre de personnes suivies sans leur consentement, le nombre total de saisines du juge des libertés et de la détention (JLD), garant du respect des droits des personnes admises en soins sans consentement, est en hausse. Hausse qui provient des saisines obligatoires, lesquelles représentent 96,8 % de l’ensemble des saisines en 2015 (94,4 % en 2013), contre seulement 3,1 % de saisines facultatives. Au vu de ces pourcentages, l’IRDES estime que, si le JLD constitue une « avancée majeure » de la loi du 5 juillet 2011 dans le respect des droits des patients, la « faible part de saisines facultatives peut […] questionner l’effectivité de l’accès au droit et aux voies de recours ».
(1) Rapport bientôt disponible sur
(3) Dispositions contenues dans la circulaire du 21 juillet 2011, NOR : JUSC1120428C, B.O.M.J.L. n° 2011-07 du 29-07-11 et dans le décret n° 2011-846 du 18 juillet 2011, J.O. du 19-07-11.
(1) Disponible sur