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Le RAJ pour s’en sortir

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Depuis vingt-deux ans, le Relais accompagnement jeunes reçoit des 18-25 ans sans résidence stable au sein de la mission locale de Toulouse. Ses trois travailleurs sociaux leur proposent un accompagnement pour un accès aux droits communs et une insertion sociale et professionnelle.

A 20 ans, Lola Gomez vit depuis un mois dans un squat de Toulouse sans chauffage ni eau courante. Sans contact avec ses parents depuis son placement en foyer à 16 ans, elle s’est retrouvée à 19 ans à la rue et sans ressources. Elle fait parfois la manche avec son chien. L’air fatigué, elle masque sa lassitude derrière un léger sourire. Mais quand on l’interroge sur le Relais accompagnement jeunes (RAJ) installé à la mission locale de Toulouse, près de la gare, son visage s’éclaire. « Philippe est super cool ! s’exclame-t-elle, il est compréhensif et me donne de bons conseils. Avec lui, c’est direct et rapide, pas administratif. On discute de mon problème. Il voit s’il peut m’aider à trouver une solution. » Lola Gomez a ainsi pu recevoir une aide financière de même qu’un soutien pour ses démarches de demande de CMU. Grâce au conseiller en insertion socioprofessionnelle, elle vient aussi de démarrer un accompagnement « garantie jeunes » à la mission locale. « Philippe n’est pas comme un travailleur social habituel, ajoute-t-elle. Avec lui, on peut parler de tout… »

Philippe Guérin est l’un des trois piliers du RAJ(1), avec Stéphanie Bovo et Mathias Kerviel. Le trio collabore depuis plus de sept ans, ce qui représente un repère stable pour les jeunes et fait bénéficier l’équipe d’une connaissance exceptionnelle des réseaux – formels et informels – du social toulousain. « Tous les trois, on se complète bien : le bon, la brute et le truand ! », plaisante Philippe Guérin, le plus ancien, arrivé à la mission locale quatre ans après l’ouverture du service en 1994. Assistant de service social de formation, il est conseiller en insertion socioprofessionnelle, salarié par la mission locale. Mathias Kerviel, éducateur spécialisé, et Stéphanie Bovo, assistante de service social, employés par le centre communal d’action sociale de Toulouse (voir encadré page 20), ont rejoint Philippe Guérin à la fin des années 2000.

Des prescripteurs multiples

Occupant trois bureaux de l’antenne du centre-ville de la mission locale et se calant, avec une certaine souplesse, sur ses horaires d’ouverture (9 h-12 h 30, 13 h 30-17 h), le RAJ accueille un public un peu différent de celui habituel des missions locales : âgés de 18 à 25 ans, ses usagers n’ont pas de résidence stable. Ils vivent dans la rue, en squat, en camion, sous tente ou sont hébergés par des tiers. Beaucoup sont consommateurs de produits stupéfiants. Ils arrivent ici parce qu’ils sont sans abri, sans ressources, ont faim, ont perdu leurs papiers d’identité, ne peuvent pas se faire soigner ou ont besoin de faire vacciner leur chien… « Ces trois-là s’articulent avec la mission locale, ont l’accès direct à ses dispositifs. En revanche, leur public est très peu “mission-localable” et alimente mal les quota de la garantie jeunes[2] et du service civique », explique François Chobeaux, l’animateur du réseau professionnel national Jeunes en errance. « La mission locale a des objectifs d’emploi et de formation pour les financeurs. Mais nous n’avons aucun objectif par rapport à cela, hormis d’accompagner 150 personnes à l’année », confirme Stéphanie Bovo.

La cohabitation entre ces différents publics n’est pas toujours évidente. « Cela a longtemps été difficile de faire accepter qu’il y ait des chiens dans la salle d’attente, des gens qui parlent fort, que ça pue, reconnaît Mathias Kerviel. En centre-ville, les conseillers de la mission locale s’attendaient à un public plus privilégié et ont été surpris de l’état des jeunes. » La moitié des nouveaux venus est envoyée par le PAIO (pôle d’accueil, d’information et d’orientation). Beaucoup arrivent aussi par le bouche à oreille, qu’ils soient originaires de la région (moins de 20 %), d’autres régions ou d’autres pays. « Nos prescripteurs peuvent être les jeunes entre eux, un conseiller de la mission locale, un éducateur d’une structure d’hébergement d’urgence ou un citoyen, car nous figurons depuis 2013 dans le guide de l’urgence sociale à Toulouse, publié par la mairie et le centre communal d’action sociale », détaille Philippe Guérin. La Boutique Solidarité, un accueil de jour pour majeurs en situation de précarité, oriente systématiquement les moins de 25 ans vers le RAJ. « C’est un public particulier, avec qui la relation n’est pas toujours simple, remarque Nicolas Faure, éducateur spécialisé à la Boutique Solidarité. C’est pourquoi nous avons le réflexe d’orienter vers le RAJ, qui a le savoir-faire et le réseau de partenaires. »

Chaque année, le nombre de jeunes suivis augmente, atteignant les 274 l’an dernier – sachant qu’un jeune peut venir tous les trois mois comme tous les jours. Il y a huit ans, chaque professionnel avait 20 à 25 jeunes en file active, ce chiffre est monté à 50 aujourd’hui. Ce public rajeunit d’année en année (un tiers a 18-20 ans) et se féminise (47 % de femmes en 2016, contre 31 % dix ans plus tôt). « Notre difficulté est d’éviter d’être submergés pour garder une qualité d’accueil, pouvoir rester disponibles et à l’écoute, insiste Philippe Guérin. C’est ce qui manque dans beaucoup de structures : le temps de discuter, de boire un café et de s’intéresser vraiment à la personne. »

Un lien difficile à créer

Comme Lola, beaucoup de ces jeunes sortent de l’aide sociale à l’enfance et se retrouvent brutalement sans ressources et sans hébergement. « Souvent, ils n’ont pas de vrai projet professionnel ou d’études qui leur auraient permis d’entrer dans les critères des contrats “jeunes majeurs”, prévus pour éviter une rupture brutale à 18 ans, regrette Stéphanie Bovo. Parfois aussi, ce sont eux qui décident de partir. Ils sont en foyer ou en famille d’accueil depuis très longtemps. Ils en ont ras le bol des éducateurs, des psychologues, des assistantes sociales et veulent tenter autre chose… » D’où la difficulté de créer un lien avec eux quand on est soi-même travailleur social…

D’autres jeunes viennent de familles trop pauvres pour les aider après leur majorité. Ainsi, Laura Besson, 22 ans, en visite au RAJ cet après-midi-là avec son chien, a dû quitter le domicile familial car son père ne pouvait plus subvenir à ses besoins. Elle vit dans un camion en banlieue toulousaine, en attendant de démarrer une formation de technicienne du spectacle à Montpellier. Mathias Kerviel la suit depuis quelques mois et lui a trouvé un stage en radio lors du festival de l’école de cirque du Lido. Aujourd’hui, ils remplissent une demande d’aide pour l’achat de matériel lié à son insertion professionnelle via le fonds d’aide aux jeunes (FAJ), un service du conseil départemental. « Ce sont les jeunes eux-mêmes qui indiquent leurs priorités et nous nous efforçons de répondre à leurs demandes », indique l’éducteur.

Même si le critère d’accès au RAJ est l’absence de logement, les demandes peuvent être très variées. « Nous leur disons que nous sommes là pour les écouter, pas pour les mettre dans des dispositifs, témoigne Philippe Guérin. “Tu as mal aux dents ? On va voir comment les faire soigner le plus vite possible parce que ça peut déboucher sur une septicémie. C’est tes chaussures qu’il faut changer ? C’est ton chien qu’il faut faire vacciner ? Tu as froid ? Tu as faim ? Tu ne te sens pas en sécurité dans le squat dans lequel tu vis” On essaie de dérouler ce fil et de voir ce qu’on peut faire avec notre réseau toulousain. » Ce réseau de partenaires construit avec le temps est solide et diversifié pour répondre aux différents besoins : la permanence d’accès aux soins de santé, la sécurité sociale, qui tient des permanences à la mission locale, Médecins du monde, l’équipe mobile sociale et de santé, la Case de santé, le 115, la Veille sociale, la Boutique Solidarité, la Cimade, Amnesty International, l’association Grisélidis(3), le conseil départemental pour le FAJ et le conseil régional pour les formations, des collectifs de squatters…

Le principe de la libre adhésion

A 14 h 45, Philippe Guérin reçoit Clément, 23 ans, qui a besoin d’un extrait de naissance afin de pouvoir refaire sa carte d’identité et rétablir ses droits à la sécurité sociale et à la CMU-C. En attendant, il se rend à la Case de santé pour se faire soigner. Le jeune homme, passé par l’aide sociale à l’enfance, a quitté l’école en quatrième et n’a aucune ressource. Il ne sait pas qu’il a droit à la gratuité des transports. Le conseiller lui rédige un bon pour aller récupérer un colis de nourriture auprès de madame Vegas, une assistante sociale de 73 ans, membre d’un réseau de parrains et marraines bénévoles qui préparent des colis alimentaires pour les jeunes de la mission locale. « Avec elle, on essaie de créer un réseau de solidarités pour les jeunes, raconte Philippe Guérin. C’est une ancienne assistante sociale toulousaine qui connaît beaucoup de monde, et les jeunes se confient volontiers avec elle. »

Le principe de fonctionnement du RAJ est celui de la libre adhésion. Après un premier accueil réalisé par deux des trois membres de l’équipe, la personne est libre de revenir ou pas. « Si la personne ne vient pas à un rendez-vous, ce n’est pas grave, indique Mathias Kerviel. Elle peut revenir plus tard et on l’accueillera de nouveau, même si c’est dans trois mois. L’essentiel de notre boulot, c’est de créer un lien, que la personne repère le service et revienne. » Cet après-midi-là, un garçon de 21 ans est passé à l’impromptu, tandis que deux autres ne se sont pas présentés aux rendez-vous qu’ils avaient avec Stéphanie Bovo, à 15 heures et à 16 heures. Cela a permis à l’assistante sociale de consacrer deux heures à une femme de 22 ans originaire de Mongolie, victime de trafic d’être humain. Suivie pendant un an par le RAJ, elle vient de signer un contrat d’apprentissage.

Quel que soit le besoin exprimé par les jeunes, l’équipe met un point d’honneur à ne pas faire à leur place. « Notre état d’esprit est de restituer aux personnes leur capacité de choix, d’être sur des logiques d’indépendance et d’autonomie », martèle Philippe Guérin. En revanche, ils mettent à leur service leur connaissance de l’administration et des interlocuteurs toulousains. « On essaie de monter des partenariats pour leur éviter d’aller se perdre dans les administrations, de leur faire prendre des raccourcis pour éviter qu’ils attendent trop, en aient ras le bol et ne fassent finalement pas les démarches », ajoute Mathias Kerviel. Cela demande un maillage fin avec les différents partenaires, mais aussi une veille réglementaire régulière.

« Le challenge, pour nous, c’est de donner la bonne information, souligne Philippe Guérin, qui peste quand des dossiers sont recalés pour une petite pièce manquante ou une version de formulaire pas à jour. Il faut éviter de les renvoyer quelque part et qu’ils trouvent porte close. Ils se sont tellement fait balader ! C’est pour cela qu’on travaille avec eux en temps réel. » A 15 h 30, Philippe Guérin annonce à Joël Faudemer, 24 ans, que son dossier de fonds d’aide aux jeunes « subsistance » a été accepté et appelle devant lui pour savoir quand la somme pourra être versée. Le jeune homme est aussi venu refaire son CV pour trouver un parrainage auprès de la mission locale. « Joël a fait douze mois de “garantie jeunes”, un contrat professionnel de peinture sur pylônes et deux mois de bénévolat à Médecins du monde, raconte le conseiller. Il revient me voir quand il n’en peut plus. C’est aussi un spécialiste des squats toulousains, qui nous a dépannés pour héberger des jeunes du RAJ. »

Le point noir du logement

Les squats sont un moyen qui permet de mettre des jeunes à l’abri. C’est là que vivent 10 % des usagers du RAJ, dont Lola, Joël ou la jeune Mongole reçue par Stéphanie Bovo. Car si l’absence de logement est le point d’entrée, l’équipe n’a pas forcément de solution à apporter. « C’est de plus en plus dur, souffle Mathias Kerviel. Il y a cinq ou six ans, on trouvait systématiquement une place en hébergement d’urgence en quinze jours. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le 115 n’a pratiquement pas de places. Cela peut prendre des mois pour en trouver une. On a des jeunes sous “garantie jeunes” ou en contrat d’apprentissage qui sont à la rue et pour lesquels on n’a pas d’offres de logement. »

Sur plus de 5 800 mesures d’accompagnement réalisées en 2016 (environ une vingtaine par jeune), 70 % concernent l’accompagnement social ou médico-social et 30 % l’emploi et la formation. Environ un jeune sur dix entre en « garantie jeunes », ce qui lui assure un revenu de 470 € par mois. « Les exigences administratives sont très importantes, explique Stéphanie Bovo. Il faut une pièce d’identité, un relevé d’identité bancaire, une inscription à Pôle emploi, une domiciliation, une déclaration d’impôts… » Ensuite, il faut s’accrocher, et ce n’est pas toujours facile – comme en témoigne Lola Gomez, qui a la désagréable impression de « retomber à l’école », avec des obligations quotidiennes de 9 h à 16 h 30, alors qu’elle a passé un an à voyager entre la France, l’Espagne et le Portugal en dormant sous la tente. La proximité physique entre la mission locale et le RAJ facilite un soutien rapproché. « La garantie jeunes est une marche beaucoup trop haute pour les jeunes en grande difficulté, car trop exigeante et normée, juge pour sa part François Chobeaux. Or le RAJ réussit à faire un travail éducatif permanent avec des jeunes qui, sans accompagnement, lâcheraient au bout de quinze jours. » Selon ce spécialiste qui réunit chaque année les professionnels des jeunes en errance, le RAJ est en France le seul service de ce type accolé à une mission locale. « Il y a plein d’accueils de jour pour jeunes en dérive, explique-t-il, mais c’est le seul qui soit accroché à une mission locale et tente de s’articuler avec. C’est le maillon manquant dans beaucoup de villes. »

Point d’ancrage et de repère pour ces jeunes qui en manquent cruellement, le RAJ s’efforce d’offrir une passerelle entre leur mode de vie et les conditions nécessaires à une insertion socioprofessionnelle. Une démarche qui demanderait un soutien plus clair des pouvoirs publics, notamment de l’Etat, dans un contexte de paupérisation croissante d’une certaine jeunesse.

RAJ
Une longue histoire…

« Historiquement, le Relais accompagnement jeunes est une émanation du PAIO », raconte Sandrine Saro, assistante sociale du pôle d’accueil, d’information et d’orientation de Toulouse, une structure intégrée à la Veille sociale, avec l’équipe mobile sociale et de santé et le 115. « Au milieu des années 1990, le PAIO a interpellé la mission locale pour sa connaissance des problématiques jeunes et la Croix-Rouge pour son approche des notions de “pauvreté” et de “précarité”. » En 2007, la Croix-Rouge s’est retirée en raison de problèmes internes et de la fin des financements ASI (appui social individualisé) octroyés par la DDASS. C’est le CCAS (centre communal d’action sociale) de Toulouse, déjà présent aux comités de pilotage, qui a pris la suite, la mission locale ne souhaitant pas rester seule à assumer le service. Le RAJ a un salarié rémunéré par la mission locale et les deux autres par le CCAS, avec trois statuts différents. Ces trois électrons libres n’ont pas vraiment de chef à qui référer de leur action au quotidien, ni de réunions d’équipe. Pas non plus de supervision, ni d’analyse de pratiques. D’ailleurs, aucune convention n’a été signée entre les financeurs, malgré leurs demandes répétées.

Quelques projets collectifs

Même si l’essentiel du travail du RAJ porte sur du suivi individuel, cela ne l’empêche pas de lancer des projets plus collectifs. En 2014 et 2015, son équipe a organisé un échange entre Toulouse et Berlin. Sept jeunes ont fait le voyage pour la capitale allemande, avec le soutien de l’Office franco-allemand pour la jeunesse et d’une association de traducteurs, avant de recevoir ensuite leurs homologues d’outre-Rhin. Depuis mai 2016, un projet a démarré avec un photographe professionnel. Chaque portrait sera accompagné de textes sur le parcours d’une quinzaine de jeunes suivis par le RAJ.

Notes

(1) Relais accompagnement jeunes : 54 bis, rue Bayard – 31000 Toulouse – Tél. 05 62 73 38 73.

(2) Voir ASH n° 2987 du 9-12-16, p. 8.

(3) Voir ASH n° 2982 du 4-11-16, p. 16.

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