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Le placement extérieur, essentiel… mais marginal

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Malgré son intérêt, le placement extérieur, qui permet d’offrir un accompagnement global et personnalisé et de favoriser la réinsertion notamment des détenus les plus fragilisés, reste peu développé. Frilosité des magistrats, manque de financements, méconnaissance de la mesure freinent son essor pendant que les associations se retrouvent en proie à d’importantes difficultés financières.

« Lors d’une commission territoriale d’admission en CHRS [centre d’hébergement et de réinsertion sociale], on nous a présenté la situation d’un mineur incarcéré à 14 ans, pour des faits très graves, qu’on libère à 26 ans en sortie sèche. Quel CHRS est équipé pour accueillir un tel jeune, qui a passé près de la moitié de sa vie en prison ? Comment peut-on le laisser sortir sans aucun étayage ? », s’indigne Isabelle Lacape, directrice de l’association Emergence-s à Rouen. Lors de la journée nationale de la fédération Citoyens et justice(1), la vice-présidente de sa commission nationale post-sententielle déplorait ainsi l’insuffisant recours aux aménagements de peine et, en particulier, au placement extérieur.

Entre le dedans et le dehors – hors prison mais dans un cadre strict –, cette mesure peut pourtant offrir un sas utile avant un retour à la vie libre en favorisant un travail sur l’autonomie. Les détenus, pour beaucoup sans famille, notamment après de longues années d’incarcération, « ont besoin de structures de transition pour réexpérimenter la vie, se confronter au réel, à des risques concrets », souligne Cécile Dangles, présidente de l’Association nationale des juges d’application des peines (ANJAP).

Faciliter la réinsertion sociale des justiciables et éviter la récidive en les aidant, à travers un accompagnement individualisé, à respecter des obligations et les règles de la vie en société et en les autorisant à se projeter, tels sont les enjeux du placement extérieur. « Il s’agit de permettre à une personne de se reconstruire dans un environnement porteur, soutenant et sécurisant », résume Isabelle Lacape. A cette fin, les associations proposent d’abord un toit. Une large palette de formules existe, allant de places dans des structures d’hébergement à des appartements collectifs ou des studios. Dans ce cadre, le logement « prend une valeur particulière », précise Reynald Brizais, maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Nantes, car il est « directement associé à la notion de “peine” qui court pendant le placement extérieur. La présence de la personne dans son logement ne relève pas de sa volonté, mais précisément du régime que le JAP aura fixé »(2). Même s’ils sont libres, les justiciables sont en effet soumis à diverses obligations et mesures de contrôle. Une grille horaire encadre leurs sorties et le simple dépassement d’une demi-heure peut entraîner l’arrêt du placement. Si cette rigueur vise à rassurer le magistrat et, par son biais, la société, et si elle facilite le travail des associations, elle est d’abord utile aux condamnés. « Elle les sécurise. L’expérience nous montre d’ailleurs que, vers la fin de la mesure, certains adoptent un comportement susceptible de les mener à une réincarcération car la levée de la contrainte se révèle très angoissante », témoigne Isabelle Lacape.

S’auto-surveiller

Respecter une telle discipline ne va pas de soi. Cela implique que la personne « prenne le relais de sa propre contention », pointe Reynald Brizais, afin de respecter les engagements prévus au planning établi avec son référent. De fait, les intervenants sociojudiciaires sensibilisent les candidats à l’extrême difficulté de cette auto-surveillance : plus que les informer, il s’agit de les mettre « dans une perspective d’élaboration », insiste-t-il. Il s’agira ensuite pour les équipes d’effectuer « un travail de re-placement », autrement dit de leur redonner une place dans la cité en utilisant une série de leviers : identité administrative, mise au travail et attribution d’un emploi, logement, soins, dynamique des liens familiaux, sociaux…

Malgré la possibilité offerte aux magistrats d’ordonner un placement extérieur en alternative à une incarcération(3) et malgré son intérêt notoire – ce que confirme l’évaluation conduite par Citoyens et justice et l’université de Nantes (voir page 27) –, la mesure ne connaît qu’un faible succès. En 2005, elle représentait 21 % des aménagements de peine sous écrou, contre 6,8 % aujourd’hui. Sur le terrain, un ralentissement est par ailleurs perceptible – 30 % des places conventionnées dans le réseau Citoyens et justice ne sont pas occupées. « Cette mesure atteint aujourd’hui des chiffres critiques qui n’étaient plus connus depuis 2009 et la loi “pénitentiaire” », alerte Stéphanie Lassalle, conseillère technique « post-sententiel ». Le placement extérieur est « la mesure proportionnellement la moins importante des aménagements de peine sous écrou. Le placement sous surveillance électronique [PSE] en représente près de 80 % », reconnaît Claire Lapointe, cheffe du bureau des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peines à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Estimant toutefois que le PSE n’est pas adapté à tous les profils, elle défend la diversification des mesures, dont le placement extérieur. « Complet, celui-ci permet vraiment d’individualiser le suivi et de l’adapter aux besoins de la personne condamnée. »

Plusieurs obstacles freinent toutefois le recours à cette mesure. Si la demande doit émaner du justiciable, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) et les magistrats sont les moteurs du déclenchement du processus d’admission. Or celui-ci se heurte au turn-over des uns et des autres, à la frilosité de l’institution judiciaire sur fond de climat sécuritaire, au manque de moyens, à l’ignorance de la mesure… « Des magistrats ne connaissent pas cet aménagement de peine ou ne savent pas inciter les équipes à s’intéresser au sujet. Travailler dans le vide pour des retours négatifs n’a rien de valorisant pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation [SPIP] », remarque Cécile Dangles. Certains magistrats, surtout les plus jeunes, sont, selon Christian Fournier, président de la commission post-sententielle de Citoyens et justice, « dans l’incapacité de prendre des décisions exigeant une prise de risques ». De même, les avocats s’emparent peu de ces possibilités offertes à leurs clients. La fédération propose donc, dans un souci de pédagogie, d’instaurer des comités de pilotage réguliers sur un territoire « pour échanger, non sur une base hiérarchique mais technique, partenariale », précise Christian Fournier. Il déplore, par ailleurs, que les associations ne soient pas invitées aux conférences semestrielles d’aménagement des peines des cours d’appel.

Les associations butent aussi sur la difficulté des candidats à obtenir des permissions de sortir. « Pour des personnes incarcérées depuis longtemps, avec un profil compliqué, il y a des risques importants et, même si un JAP accepte de les prendre, le parquet fait appel et souvent cela s’arrête là », explique Myriam de Crouy-Chanel, JAP à Beauvais. De fait, maints projets n’aboutissent pas. Or beaucoup de structures estiment important de pouvoir rencontrer le détenu à l’extérieur. « Ça lui permet de se projeter là où il pourrait être amené à vivre, voire de tester la mesure durant un week-end, de se renseigner auprès de ses pairs, dont la parole compte beaucoup », pointe Isabelle Lacape. Cécile Dangles estime aussi que les permissions de sortir sont essentielles : « Elles permettent au juge de vérifier la bonne adaptation du projet et, si besoin, de le réévaluer. Cela permet à tous les acteurs impliqués de voir les choses autrement. »

L’évaluation menée par Citoyens et justice et l’université de Nantes relève que seules 23 % des demandes reçues aboutissent (après l’étude de faisabilité, d’éventuelles rencontres et la coproduction du projet) à un placement extérieur. Du côté des associations, les refus sont rares. Quand c’est le cas, ils sont parfois motivés par le profil psychiatrique du candidat mais, en général, ils sont liés aux relations entre le SPIP et l’association et aux éléments transmis (dossiers incomplets, impossibilité des rencontres, changement de projet, refus de libération…). Motif plus important encore : le trop court reliquat de peine des personnes orientées. « Il faut au moins trois mois effectifs pour travailler. Sinon rien ne peut être réellement bâti et il y a un risque pour l’association de perdre en crédibilité », observe Isabelle Lacape. Cela pose ainsi la question des courtes peines. Aujourd’hui, 97 % des condamnés à moins de six mois sont libérés en sortie sèche. « Or, parfois, ils ont tout perdu. Il faut donc réagir vite mais le rythme en maison d’arrêt ne permet pas aux CPIP de monter des dossiers. Tout l’enjeu des futurs quartiers de préparation à la sortie sera de favoriser l’autonomisation et la responsabilisation des détenus afin qu’ils bénéficient d’un aménagement de peine ou, du moins, d’une sortie bien préparée », assure Régis Claudepierre, adjoint à la cheffe du bureau des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peines de la DAP. Il souligne que ces nouveaux quartiers devraient se situer à proximité de bassins d’emploi et de transports en commun et favoriser par leur architecture une fluidité des mouvements et des actions collectives.

Des difficultés financières

Les associations ont également à affronter de lourdes difficultés financières qui les mettent, pour certaines, au bord du gouffre. Tout d’abord, certains engagements ne sont pas tenus. « Des demandes sont instruites par des CPIP, les associations sont d’accord, puis il y a un blocage des budgets. On demande aussi à des CPIP de ne plus présenter aucune mesure », déplore Isabelle Lacape. En 2016, il y a ainsi eu un différentiel de près de 3,3 millions d’euros entre la dotation prévue au projet de loi de finances et les montants engagés. « Depuis 2012, la sanctuarisation des crédits et le fléchage d’un budget spécifique dans les dotations des directions interrégionales des services pénitentiaires sont en place. Or le nombre de placements extérieurs recule, laissant apparaître une sous-consommation des crédits qui lui sont dédiés », résume Stéphanie Lassale. Avec le risque de créer un cercle vicieux en réduisant le nombre de journées conventionnées d’une année sur l’autre. Conséquence : « On se retrouve avec des professionnels formés dont on ne sait plus quoi faire puisque sans financements pour mettre en place ce qui était contractuellement prévu », complète Thierry Lebéhot, magistrat et président de Citoyens et justice.

Par ailleurs, outre des équipes qualifiées pour répondre aux difficultés des personnes confiées, le placement extérieur exige l’immobilisation de places d’hébergement ou de logements adaptés en adéquation avec le volume d’activité fixé entre les partenaires, alors que le financement des structures est assuré par un prix de journée. Autrement dit, lorsque les places réservées restent inoccupées, elles ne sont pas payées. L’accueil de sept personnes ayant ainsi été différé, une association a perdu près de 29 000 €, ce qui équivaut à 774 jours de prise en charge. Le prix de journée n’a de surcroît pas été réévalué depuis dix ans. S’il vient compléter les financements de droit commun perçus par les structures, en particulier pour l’hébergement, ce prix ne couvre d’ailleurs que rarement le coût de la mesure. Enfin, la phase préparatoire à l’accueil d’un postulant (instruction du dossier, rencontres en prison ou au dehors…) n’est pas rémunérée tant que la personne n’est pas hébergée. Or, pointe Christian Fournier, « sur 140 dossiers instruits, seules 30 personnes bénéficieront de la mesure. Pour un placement extérieur à titre probatoire pour un détenu longue peine, il faut parfois deux à quatre visites en détention pour amorcer le travail sur un projet… » Autant de raisons qui amènent la fédération à réclamer l’instauration d’une dotation globale.

La précarisation de certaines structures et la réduction des effectifs qu’elle entraîne ont en outre des effets pervers. « Si une association commence à détricoter son dispositif, elle touchera à la qualité. Inévitablement, il y aura des transgressions, des incidents et des incarcérations, ce qui aboutira à disqualifier la prise en charge », analyse Christian Fournier. C’est bien d’ailleurs ce que redoute Jean-Philippe Renard, directeur du service sociojudiciaire Anne de l’association Réalise à Nancy. Il est obligé en effet de réorganiser un dispositif prévu pour 30 places, mais qui a tourné, en 2015 et en 2016, avec 16 places en moyenne. « Nous risquons de perdre la confiance des magistrats. Mais nous ne pouvons pas non plus faire du surbooking, proposer plusieurs projets différents pour un même logement afin d’assurer nos arrières ! », explique-t-il. Il « existe un nombre de places et donc de jours conventionnés, en dessous duquel on ne peut mettre en place un traitement bien adapté aux personnes. Il y a fatalement un point de rupture », confirme Reynald Brizais. Pour le chercheur, un bon accompagnement suppose « des équipes qui se sentent en sécurité car c’est dans leur solidité que la personne trouvera la possibilité de tenir. Dès qu’on fragilise cette cohésion d’équipes par des perspectives menaçantes, la solidarité en son sein s’effrite. Or elle est essentielle. »

Les difficultés récurrentes qu’elles rencontrent depuis des années ont donc incité certaines associations à renoncer à accompagner ce public. La disparition d’équipes qualifiées et la perte de savoir-faire se révèle parfois peu réparable. « Quand je suis arrivée à l’application des peines à Lille il y a sept ans, on m’a dit qu’on ne finançait plus de placement extérieur. Quatre ans après, on nous a dit qu’on pouvait à nouveau y recourir. Mais les associations ne nous ont évidemment pas attendus ! Il a fallu tout refaire. Puis à nouveau, ça a coincé pour d’autres raisons… », se souvient Cécile Dangles. Des territoires se retrouvent ainsi sans possibilité de recourir au placement extérieur. D’où des disparités criantes. Dans certains lieux, des places sont vacantes alors qu’ailleurs elles manquent cruellement. Des départements dotés de gros centres de détention peuvent en effet avoir de nombreux projets et insuffisamment de financements, quand d’autres, surtout équipés en maisons d’arrêt, peuvent instruire peu de projets et se retrouver avec des budgets non dépensés. « C’est une situation que nous connaissons en Haute-Normandie. Pour y remédier, il conviendrait de penser à la fongibilité des enveloppes entre les départements d’une même direction interrégionale », observe Isabelle Lacape. Réussir le retour en société d’un détenu exige en effet, selon elle, « un investissement financier, social, à la hauteur du coût évité par une non-récidive ». Et de s’interroger : « Se pose-t-on la question des financements pour une place de prison ? Reporte-t-on l’incarcération d’une personne d’une année sur l’autre au prétexte qu’on n’aurait pas assez d’argent ? »

La loi… et la pratique

« Depuis quinze ans, la politique de l’aménagement des peines a été largement renforcée et on assiste à un vrai changement de culture : on est passé de l’aménagement de peine “cadeau” pour bonne conduite à celui considéré comme étape normale du parcours d’exécution de la peine », se réjouit Claire Lapointe, cheffe du bureau des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peines à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). La loi « pénitentiaire » du 24 novembre 2009(1) énonce ainsi que les aménagements de peine doivent être posés en principe à toutes les étapes de la procédure, donc y compris avant la mise à exécution de la peine. La loi élargit de surcroît le spectre des personnes concernées en élevant le quantum de peine pouvant donner droit à un placement extérieur, une semi-liberté ou un placement sous surveillance électronique. En outre, « tout projet sérieux d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive peut désormais être envisagé et il n’est plus fait spécifiquement mention à l’emploi », rappelle la magistrate. La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive, dite « de réforme pénale »(2), s’appuie enfin sur des travaux de recherche internationaux dont les résultats attestent que l’exécution de la peine en milieu ouvert produit des effets très positifs en matière de prévention de la récidive et de sortie de la délinquance. Elle affirme avec force l’exigence d’individualisation dans le prononcé de la peine et dans ses modalités d’exécution et elle insiste sur la nécessité d’accompagner le retour à la vie libre des détenus.

Ces évolutions ont entraîné l’essor des aménagements de peine sous écrou. Toutefois, à partir de 2015, leur nombre a baissé. « Tous ont suivi cette inflexion et, en particulier, la semi-liberté et le placement extérieur », reconnaît Claire Lapointe. Elle affirme cependant la détermination de la DAP à « mettre les magistrats en capacité de prononcer, quand ils l’estiment opportun, ces mesures en cherchant à les rassurer sur l’évaluation du public et sur le suivi offert ».

Notes

(1) Intitulée « Evaluer, c’est prouver notre efficacité ! Le placement extérieur, une mesure d’aménagement de peine performante » et organisée à Paris le 15 décembre 2016 – www.citoyens-justice.fr.

(2) Dans PE – Placement extérieur. Rapport d’enquête 2009, publié en 2011, dans le cadre de la recherche-action menée par Citoyens et justice et l’université de Nantes.

(3) Le placement extérieur concerne en particulier des personnes condamnées, libres ou détenues, dont la peine ou son reliquat ne dépasse pas deux ans, ou un an en cas de récidive. Il peut en outre être accordé en mesure probatoire à une libération conditionnelle.

(1) Voir ASH n° 2679 du 22-10-10, p. 47.

(2) Voir ASH n° 2869-2870 du 18-07-14, p. 34.

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