Souvenirs de foyers

Le journal imaginaire d’un psychiatre, des extraits de contes pour enfants, les souvenirs d’une mère – aujourd’hui grand-mère – dont les enfants ont été placés en institution au début des années 1960… Dans Au temps des “enfants placés” à la DDASS, le psychiatre et psychanalyste Xavier Jacquey a bâti un véritable récit kaléidoscopique pour raconter le « tournant culturel et politique » de cet organisme dans les années 1980. Un récit à focales multiples qui rend bien compte des représentations inconciliables des différents acteurs de l’époque, et qui tente d’expliquer les raisons de « cette non-rencontre » entre des familles ayant vécu le placement comme une forme de violence institutionnelle et des travailleurs sociaux persuadés alors d’œuvrer pour le bien de l’enfant. Au fil des paysages textuels, les points de vue des uns et des autres aident à mieux comprendre les évolutions qui ont transformé l’institution au milieu des années 1980. On comprend, par exemple, la honte et la souffrance d’une « mère DDASS » à qui l’« on prend les enfants » après une simple signature sur un papier. « Patchwork des fantasmes étranges que ce continent de misère faisait et fait probablement toujours naître chez ceux qui l’abordent », le journal de François, le psychiatre, met quant à lui le projecteur sur les questionnements des professionnels qui ont connu « ce temps mutant de la DDASS » et sur les nouvelles pratiques ayant alors émergé. L’occasion d’évoquer la création des groupes de rencontre entre parents et professionnels, qui ont notamment permis aux premiers de se libérer de l’image de mauvais parents et aux seconds de ne plus se « vivre comme des voleurs d’enfants ». Enfin, Xavier Jacquey utilise avec talent toute la puissance symbolique des contes pour apporter au lecteur une respiration et un recul, afin que celui-ci approche au mieux quelques-uns des ressorts pulsionnels en jeu dans ces histoires familiales. Les extraits de La reine des neiges permettent ainsi de « faire sentir quelque chose de ces […] infernales pulsions de mort qu’il revient aux professionnels, aujourd’hui où les lois ont changé, de convertir en pulsion de vie ».