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Un rapport plaide pour une grande réforme de la politique de réinsertion des détenus

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Au-delà de l’amélioration des conditions de détention – considérée comme un préalable indispensable –, l’IGAS, l’IGF et l’IGSJ préconisent d’intégrer l’objectif de réinsertion dans le fonctionnement même du système pénitentiaire et de revoir complètement la gouvernance de la politique menée en la matière.

Missionnées en mai 2015, les inspections générales des services judiciaires (IGSJ), des affaires sociales (IGAS) et des finances (IGF) ont récemment remis au garde des Sceaux un rapport d’évaluation des politiques interministérielles d’insertion des personnes placées sous main de justice, qu’elles soient incarcérées ou qu’elles exécutent leur peine en milieu ouvert(1). « Le constat dressé à cet égard est largement celui d’un revers, politique et administratif, qui est aussi, au-delà, celui de notre société, malgré des engagements indéfectibles des professionnels de l’administration pénitentiaire comme de tous les acteurs mobilisés dans un puissant et précieux mouvement associatif », déplorent-elles. Pour les auteurs, tout est à revoir : il faut « inverser la logique et le fonctionnement actuels du système pénal », et réformer en profondeur la gouvernance de la politique de réinsertion, « pour l’heure défaillante ».

Améliorer les conditions de détention, un préalable nécessaire

Pour les inspections, « les conditions de détention jouent un rôle déterminant dans la mise en place d’une offre d’insertion et donc dans l’élaboration d’une trajectoire de réinsertion ». Dès lors, insistent-elles, l’« amélioration substantielle [des conditions de détention] représente un préalable nécessaire à l’efficacité des politiques mises en place ». Par exemple, les auteurs suggèrent de mettre en œuvre, « sans délai », les recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2011 sur l’accès à l’informatique des détenus, dans la mesure où Internet est « devenu un outil indispensable » pour l’accès aux droits et aux études supérieures(2).

Dans ce cadre, le rapport préconise aussi de valoriser le milieu ouvert et la maîtrise du recours à la détention dans un « système pénal arrivé à saturation ». En pratique, les autorités judiciaires ont souvent recours aux aménagements de peine pour éviter les sorties dites « sèches », qui restent malgré tout « majoritaires », déplore le rapport. En outre, poursuit-il, « la contrainte pénale et la libération sous contrainte instaurées par la loi du 15 août 2014 [relative à l’individualisation des peines] n’ont pas réussi à corriger cette situation » malgré un accompagnement important(3).

Plus globalement, les auteurs recommandent d’élaborer un programme national d’amélioration des conditions d’incarcération grâce auquel, notamment, la phase d’accueil en détention pourrait être repensée « afin qu’elle soit réellement une phase d’évaluation des besoins/risques en lien avec le passage à l’acte et la construction d’un parcours d’insertion, et non plus uniquement tournée vers l’optimisation des affectations en cellule ».

Placer la réinsertion au cœur du système pénitentiaire

Face à ce constat, les inspections considèrent que « l’objectif de réinsertion doit être intégré de façon structurelle et le plus en amont possible dans le fonctionnement du système pénitentiaire », dont les préoccupations actuelles tiennent plus à l’ordre public et à la sécurité des établissements. Selon elles, cet objectif doit ainsi être pris en compte lors des décisions d’implantation des établissements pénitentiaires(4), lors de leur conception, en termes d’architecture et de capacité d’hébergement – rarement inférieure à 400 places, ce qui entraîne une « dépersonnalisation qui n’est pas propice à la resocialisation des personnes détenues » –, en termes d’organisation interne des détentions qui, aujourd’hui, « donne priorité à la sécurité sur l’autonomie de la personne », ou encore de renforcement des personnels d’insertion, dont la part « demeure très faible ».

Le rapport relève aussi que,pour les acteurs de droit commun auxquels ont été transférées progressivement les politiques d’insertion des personnes placées sous main de justice, ces dernières « constituent un enjeu marginal et problématique et sont de ce fait mal identifiées dans leurs systèmes d’information ». En outre, les montants financiers dédiés à cette politique résultent de l’addition de « dépenses hétérogènes et non exhaustives ». Après examen des différentes lignes budgétaires, le rapport note d’ailleurs qu’elles concernent principalement les détenus en milieu fermé et ne sont « pas forcément des dépenses d’insertion ».

Au-delà, les inspections formulent des propositions par problématique d’insertion. S’agissant du travail en détention – dont l’offre est insuffisante et inadaptée, et le cadre peu protecteur, a récemment dénoncé la contrôleure générale des lieux de privation de liberté(5) –, elles suggèrent par exemple d’accroître et d’adapter la formation des détenus aux besoins économiques. Les auteurs invitent notamment la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), en lien avec la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, à « inscrire les détenus, notamment ceux qui exécutent leur peine en milieu ouvert, dans l’offre de conseil en évolution professionnelle[6], étape vers une orientation professionnelle adaptée ». Ils préconisent aussi de mettre en place un « programme ambitieux de service civique en direction des détenus pour établir une relation entre la détention et l’extérieur », en fixant des objectifs quantitatifs à chaque direction interrégionale des services pénitentiaires.

Par ailleurs, le rapport suggère de « prévoir un effort massif pour assurer le logement des personnes placées sous main de justice et notamment des sortants de prison ». L’enjeu est notamment d’éviter la perte de logement liée à l’incarcération, en particulier pour les détenus exécutant une courte peine (inférieure à un an). Les inspections recommandent par exemple de « prévoir un partenariat systématique entre l’administration pénitentiaire, la caisse d’allocations familiales [CAF] et les commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions locatives pour maintenir le logement ». Mais il convient aussi d’anticiper le logement à la sortie le plus en amont possible, indiquent-elles. En théorie, les besoins en hébergement/logement des sortants de prison sont pris en compte dans les textes, mais la pratique est tout autre. En effet, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ne sont, par exemple, pas toujours associés à l’élaboration des plans départementaux d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées et leur coopération avec les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) n’est « pas encore aboutie ». « Les modalités de coordination territoriale ne sont pas [non plus] adaptées à la réalité géographique des sortants de prison », relève le rapport : « La coordination interdépartementale est indispensable pour ne pas faire peser la demande sur les seuls lieux d’implantation des établissements pénitentiaires et pour prendre en compte l’origine géographique variée des sortants de prison. » Autre difficulté pointée dans le rapport : la conciliation des calendriers judiciaire et social, « enjeu majeur pour éviter les ruptures à la sortie de prison ». Pour y parvenir, il suggère de « promouvoir une anticipation le plus en amont possible des sorties côté SPIP et une gestion prévisionnelle des places vacantes et des sorties côté SIAO et structures d’hébergement ». Les inspections préconisent aussi, pour les sortants de prison, d’accroître l’offre de logement et d’hébergement « actuellement sous-dimensionnée, limitée aux CHRS [centres d’hébergement et de réinsertion sociale] et pas toujours adaptée, et de l’accompagner d’une prise en charge pluridisciplinaire ».

Réformer la gouvernance

« Pour l’heure défaillante », la gouvernance de la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice doit « être profondément réformée par la mise en place d’un système d’information et de connaissance, la mise en œuvre d’une réelle et indispensable interministérialité et par l’identification de moyens financiers suffisants », estiment les auteurs. En ce qui concerne les systèmes d’information, ils proposent notamment de « systématiser les échanges d’informations CAF/établissement pénitentiaire pour que la mise à jour des droits (suspension ou réactivation) soit automatique » et ainsi éviter de trop nombreux trop-perçus à rembourser dans les premiers mois de la sortie.

L’absence d’interministérialité, elle, est préjudiciable puisqu’elle ne permet pas la mobilisation des administrations de l’Etat à un niveau suffisant de responsabilité et limite celle des acteurs locaux. Les inspections proposent alors de mettre en place une « nouvelle gouvernance » au niveau national et une « gouvernance rénovée par niveau territorial ». Au niveau national, le rapport préconise d’« affirmer la place de la probation dans l’exécution de la peine et l’organisation des missions régaliennes ». Dans ce cadre, il suggère de créer un service à compétence nationale, rattaché à la DAP et chargé de la négociation, du suivi et de l’évaluation des accords et conventions passés pour l’insertion des détenus au niveau national. Ou encore, afin de restaurer du lien entre l’autorité judiciaire et les SPIP, de « créer, à titre expérimental, dans les dix plus grandes juridictions, des unités SPIP dotées en effectifs supplémentaires et ayant vocation à assurer aux parquets, aux juridictions d’instruction et de jugement les informations nécessaires au prononcé d’une décision adaptée à la situation et à la personnalité du prévenu ».

Au niveau local, les inspections préconisent, entre autres, d’« impliquer les conseils départementaux, les métropoles et les communes dans la prise en charge sociale des [détenus], au besoin par des incitations financières » et de recourir au « contrat à impact social » dans le cadre de l’appel à projets interministériel lancé par la secrétaire d’Etat à l’économie sociale et solidaire(7). Quant aux moyens dédiés à la politique de réinsertion, le rapport recommande, par exemple, de « préciser et [de] distinguer, au sein des SPIP, le travail de probation du travail social, en s’assurant d’un ratio suffisant d’assistants de service social […] pour prendre en charge les dossiers des personnes détenues sur tous les plans (accès aux droits, santé, logement) et procéder aux recrutements nécessaires ». En effet, au nombre de 73,5 en 2015 (contre 458 en 2005 et 265 en 2010), ces personnels ont été progressivement intégrés dans le corps des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) pour effectuer un métier de CPIP. « Les besoins en assistant social ne sont donc aujourd’hui pas satisfaits », constatent les inspections.

Notes

(1) Rapport sur l’évaluation des politiques interministérielles d’insertion des personnes confiées à l’administration pénitentiaire par l’autorité judiciaire – Disponible sur www.justice.gouv.fr.

(2) Avis du 20 juin 2011, NOR : CPLX1118749V, J.O. du 12-07-11.

(3) Dans son rapport d’application de la loi de 2014, le garde des Sceaux a, lui, souligné les débuts encourageants de la mise en œuvre de la contrainte pénale et de la libération sous contrainte, tout en relevant les freins pour lesquels il a proposé des solutions – Voir ASH n° 2982 du 4-11-16, p. 5.

(4) A l’heure actuelle, note le rapport, la cartographie des établissements pénitentiaires est « sans rapport évident avec la géographie de la délinquance : alors que celle-ci est urbaine, la plupart des établissements construits au cours de ces 30 dernières années ont été implantés en milieu rural pour des raisons tenant essentiellement au coût foncier ».

(5) Voir ASH n° 2997 du 10-02-17, p. 5.

(6) Voir ASH n° 2872 du 29-08-14, p. 37.

(7) Voir ASH n° 2952 du 18-03-16, p. 5 et n° 2986 du 2-12-16, p. 8.

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