La question de l’éthique déborde le cadre réglementaire ou légal dans les situations hors normes où les voies classiques d’expression prévues ne permettent pas d’obtenir une réponse rapide au regard des besoins. Or les textes actuels ne permettent pas de protéger un professionnel qui alerte des dysfonctionnements entraînant une maltraitance institutionnelle. Depuis 2002, les salariés des établissements relevant de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles qui sont témoins d’une maltraitance sur un usager sont protégés s’ils témoignent de ce qu’ils ont constaté, mais cette disposition ne concerne pas les dysfonctionnements de structure conduisant à exposer à un risque, voire à un danger, l’ensemble du public accueilli. Depuis la loi sur la protection de l’enfant de mars 2016, en théorie, le conseil départemental doit informer sans délai le préfet de tout événement survenu dans un établissement ou service qu’il autorise, dès lors qu’il est de nature à compromettre la santé, la sécurité, l’intégrité ou le bien-être physique ou moral des enfants accueillis. Il n’est pas sûr que ce signalement sur une structure qu’il finance soit la voie la plus facile… L’immunité des travailleurs sociaux lanceurs d’alerte reste à créer.
Interpeller l’institution sur la place publique, sortir de ses murs pour peser sur ses choix, renvoient à une proposition sur la protection de l’enfance que nous avions faite au sein de l’Association nationale des assistants de service social, en 2013, qui consistait à permettre à un professionnel d’alerter directement le défenseur des droits, sans accord préalable de la hiérarchie et sans craindre une sanction disciplinaire. L’enjeu est, dans des cas exceptionnels, de donner au travailleur social un pouvoir d’interpellation, en dehors de l’anonymat, celui-ci supposant que son geste n’est pas assumé, alors qu’il s’agit au contraire de poser un acte professionnel. Les travailleurs sociaux qui accompagnent les publics vulnérables doivent pouvoir dire à l’institution qu’elle est comptable de ses choix.
Dans le secteur public ou privé, l’employeur a toujours plusieurs entrées possibles pour invoquer une faute, dont l’obligation de réserve. Mais finalement, le vrai risque est de figer dans le silence des professionnels qui ont des choses à dire sur le non-respect des missions des institutions, surtout quand sont concernés des publics extrêmement fragilisés, quand est en jeu l’invisibilité des sans-voix. Lorsque l’on sait l’usure professionnelle vécue dans certains établissements, obliger les professionnels à se taire rend encore plus difficile la recherche du sens. Sans possibilité de dénoncer, on les abîme encore plus, il y a contamination de la maltraitance du public vers celle des travailleurs sociaux.
Face aux modes d’accueil et aux prises en charge insatisfaisantes, des travailleurs sociaux quittent leur poste pour dénoncer après ce qu’ils ont pu constater pendant leur exercice professionnel. Faute de trouver des réponses dans leur institution, certains orientent les mineurs non accompagnés vers des associations de bénévoles, ce qui peut être source de tension avec l’établissement, alors que l’accompagnement vers l’accès aux droits fait justement partie de leurs missions. Des collectifs se forment pour démasquer ce qui se cache parfois derrière les vitrines institutionnelles. Ce qui est sûr, c’est que des questions complexes comme la prise en charge des mineurs isolés font ressurgir la nécessité de repenser notre rôle.
(1) Signataire de la pétition de soutien à l’éducatrice, Ibtissam Bouchaara, salariée de la Sauvegarde de la Marne, qui a recueilli plus de 6 000 signatures sur www.change.org.
Santé
La Fédération des acteurs de la solidarité appelle à signaler les refus de soins
Dans la foulée de l’annonce, fin janvier, par le défenseur des droits, de l’ouverture d’une enquête sur « les pratiques de certains médecins n’acceptant pas les bénéficiaires de la CMU [couverture maladie universelle – remplacée depuis le 1er janvier par la protection universelle maladie (PUMA)] ou de l’AME [aide médicale de l’Etat] », la Fédération des acteurs de la solidarité (ex-FNARS) revient sur la saisine de l’instance le 10 janvier, dont elle est à l’origine avec Médecins du monde et le Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Elle invite ses adhérents à « signaler toute situation » de cet ordre auprès de son observatoire des dysfonctionnements dans l’accès aux soins des personnes en situation de précarité lancé fin 2016 (1).
« Les premières remontées ont permis de découvrir que certains médecins affichaient en ligne », sur des sites de prise de rendez-vous par Internet, leur refus de recevoir des patients couverts par la CMU, la CMU-C ou l’AME, avec ou sans motif, rappelle la Fédération des acteurs de la solidarité, qui souhaite voir la « forte médiatisation de cette saisine » se transformer « en actions d’amélioration de l’accès aux soins pour tous ». Elle prévoit d’ailleurs, avec Médecins du monde et le CISS, « de relancer les ordres de médecins, à qui un courrier a déjà été adressé en décembre 2016, afin d’organiser une rencontre et discuter ensemble de propositions d’actions pour améliorer l’accès aux soins de tous ». L’organisation juge aussi « important d’alerter les candidats à la présidentielle sur [ses] propositions concernant la lutte contre les discriminations à l’encontre des personnes en situation de précarité et l’amélioration de leur accès aux soins ». Parmi ces revendications, consultables sur sa « plateforme de réformes prioritaires pour investir dans la solidarité », figurent la fusion de l’AME dans la PUMA, la généralisation effective du tiers payant ou encore la formation du corps médical à l’accueil et à la prise en compte des personnes en situation de précarité.
Le défenseur des droits a, pour sa part, confirmé « le caractère illégal » de ces refus de soins. « Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins », selon l’article L. 1110-3 du code de la santé publique, rappelle-t-il, et « le fait d’annoncer publiquement le refus de ces patients, même en les réorientant vers les hôpitaux publics, est contraire aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal interdisant les discriminations ». Autrement dit, « cette pratique est ainsi susceptible de caractériser une discrimination en raison du statut, de l’état de santé ou éventuellement de la vulnérabilité économique des patients concernés », résument les services de Jacques Toubon, en précisant que l’institution rendra publique, en mars prochain, une étude financée dans le cadre d’un partenariat avec le Fonds CMU, intitulée « Les pratiques médicales et dentaires, entre différenciation et discriminations. Une analyse de discours de médecins et dentistes.” »
(1) Voir ASH n° 2983 du 11-11-16, p. 12.