Recevoir la newsletter

Travail en détention : la contrôleure des prisons réclame un cadre plus protecteur

Article réservé aux abonnés

Adeline Hazan préconise l’élaboration d’un « véritable droit social pénitentiaire », permettant aux détenus de bénéficier d’un contrat de travail. Et plaide pour le développement d’une offre de formation plus adaptée à la population carcérale et tournée vers l’emploi.

Cinq ans après son prédécesseur, Jean-Marie Delarue, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, observe que les constats dressés à l’époque en matière de travail et de formation professionnelle en détention « restent pour la plupart d’actualité ». C’est ce qui ressort d’un avis qui devait paraître au Journal officiel du 9 février, dans lequel elle dresse un état des lieux de l’offre et des conditions de mise en œuvre des actions en la matière. « Travailleur exclu du droit commun, la personne détenue ne bénéficie toujours pas d’un contrat de travail et du statut juridique qui en découle, déplore Adeline Hazan. Travailler en détention demeure encore trop souvent perçu comme un privilège et non comme un droit. » Quant aux actions de formation professionnelle, elles sont non seulement mises en œuvre avec difficulté en raison de l’insuffisance des moyens matériels qui leur sont dévolus, mais aussi bien souvent inadaptées au public auquel elles s’adressent.

Des conditions de travail « irrespectueuses des droits »

Seul l’article D. 433 du code de procédure pénale offre un cadre minimal au travail en prison : il dispose en effet que « l’organisation, les méthodes et les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre ». Mais ce cadre minimal « n’est pas mis en pratique de façon satisfaisante », regrette la contrôleure générale. Autre problème qu’elle soulève : « la pauvreté de l’offre de travail en détention ». Au 1er janvier 2014, au sein des 188 établissements pénitentiaires hébergeant 67 075 personnes, seules 23 423 ont accédé chaque mois à une activité rémunérée.

Quant aux conditions de travail, elles sont « irrespectueuses des droits des travailleurs », estime la contrôleure générale : périodes d’essai à durées « très diverses », absence de jours de congé, faible rémunération, dont les « règles de calcul divergent d’un établissement à l’autre, voire au sein d’un même établissement »… Adeline Hazan invite donc une nouvelle fois les pouvoirs publics à élaborer un « véritable droit social pénitentiaire » et demande que le travail en détention soit « encadré par un contrat de travail, permettant aux personnes détenues d’être protégées au titre de l’activité professionnelle qu’elles réalisent ».

En outre, l’accès à une activité professionnelle relève d’une procédure spécifique dite de « classement » qui, en pratique, n’est pas appliquée uniformément, constate la contrôleure générale, qui recommande donc que cette procédure soit à l’avenir formalisée : délivrance d’un livret explicatif au détenu arrivant sur les modalités d’accès au travail, puis bilan d’évaluation et d’orientation, accompagné d’un entretien individuel pendant lequel il peut exposer ses projets professionnels et d’insertion. A défaut, elle souhaite que les demandes de classement au travail fassent l’objet d’une traçabilité.

En outre, constate Adeline Hazan, alors que l’article D. 432-3 du code de procédure pénale énonce les critères de classement au travail des détenus(1), les établissements pénitentiaires appliquent, eux, une diversité de critères, parfois priorisés (ancienneté de la demande, comportement en détention, compétences…). Il y a donc ici un manque de transparence qui, dans certains cas, peut « laisser place à des pratiques discriminatoires », déplore-t-elle. Elle invite donc les établissements pénitentiaires à appliquer les critères de classement au travail énoncés par l’article D. 432-3, auxquels il faudrait même ajouter celui « prioritaire » de l’état des ressources financières du détenu. Par le jeu de ce classement, les détenus se trouvent inscrits sur une liste d’attente. Mais, « trop souvent, les personnes qui sont appelées à travailler sont choisies dans la liste d’attente selon des critères qui paraissent flous », relève la contrôleure générale. Aussi préconise-t-elle « que les personnes détenues soient régulièrement informées de leur positionnement sur la liste d’attente du poste sollicité et que le critère prédominant soit celui de l’ancienneté de l’inscription sur la liste ».

Une attention particulière doit également être portée à la diversité des formes de travail pénitentiaire pour pouvoir s’adapter au plus grand nombre, estime Adeline Hazan. Par exemple, elle encourage le déploiement de certaines expérimentations actuellement portées par des établissements pénitentiaires, qui ont implanté, en leur sein, des établissements et services d’aide par le travail ou des structures d’insertion par l’activité économique. Elle préconise aussi le développement de postes thérapeutiques pour les détenus souffrant d’un handicap et le lancement d’une réflexion sur d’autres modes d’activités permettant une occupation de ces personnes dans un double objectif de socialisation et d’insertion.

Une offre de formation peu adaptée

Auparavant de la compétence de l’administration pénitentiaire, le pilotage de la formation professionnelle des détenus relève désormais des conseils régionaux depuis la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle(2). Une décentralisation qui a entraîné des difficultés dans la mise en œuvre des actions de formation en raison, notamment, de la faiblesse des moyens matériels qui leur sont consacrés, constate la contrôleure générale.

En outre, les formations professionnelles, dont nombre d’entre elles sont qualifiantes, apparaissent parfois inadaptées à la population carcérale au regard de son taux d’illettrisme, d’environ 10,9 %, supérieur à la moyenne nationale, indique la contrôleure générale. Adeline Hazan considère, en conséquence, que « la promotion [des formations qualifiantes] ne doit pas conduire à négliger la mise en place de dispositifs de remobilisation au travail et de formations pré-qualifiantes qui permettent une acquisition ou une réappropriation des savoirs de base : actions de découverte des métiers, ateliers d’écriture de curriculum vitæ et de lettre de motivation… ». D’ailleurs, « les stages visant à remobiliser les personnes désolidarisées du monde du travail sont également à développer », insiste-t-elle.

Au final, Adeline Hazan demande à ce que l’offre de formation professionnelle soit mieux adaptée aux détenus et tournée vers l’emploi. Par exemple, ses services ont relevé l’existence de formations qualifiantes en alternance dans certains établissements pénitentiaires, « permettant une articulation intéressante avec le travail en détention ». Il s’agit là d’un « dispositif innovant qu’il conviendrait d’étendre à d’autres établissements pénitentiaires », selon la contrôleure générale. Mais l’acquisition d’une qualification doit aussi favoriser l’obtention d’un emploi à l’extérieur, rappelle-t-elle, soulignant que l’offre de formation doit « être susceptible de déboucher sur des activités économiques porteuses d’emploi ». Dans ce cadre, les conseils régionaux devraient pouvoir améliorer les liens entre le milieu pénitentiaire et le monde extérieur via des partenariats locaux avec, par exemple, les missions locales et Pôle emploi, afin de diminuer le risque de rupture professionnelle à la libération.

Notes

(1) Il s’agit des capacités physiques et intellectuelles du détenu, de l’influence du travail sur ses perspectives de réinsertion, de sa situation familiale et de l’existence de parties civiles à indemniser.

(2) Plus précisément, la décentralisation de cette compétence est effective depuis le 1er janvier 2015 pour les établissements pénitentiaires en gestion publique. Pour ceux relevant d’une gestion déléguée, la décentralisation pendra effet à l’échéance des marchés, à savoir d’ici à 2018 au plus tard.

Côté cour

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur