« A ce jour, nous n’avons pas connaissance d’études ou d’articles consacrés à la responsabilité juridique et éthique de l’évaluateur externe. Nous pensons pourtant que l’avenir nous réservera des contentieux dans ce domaine. Principalement parce que la relation qui unit les parties est de nature contractuelle. L’évaluateur doit par conséquent prendre en compte ce risque contentieux qui lui rappelle que l’exercice est encadré par la loi et que son “client” est en droit de lui demander des comptes. Par ailleurs, l’évaluation doit respecter un cadre éthique dont les principes sont énoncés dans le document d’engagement que signe l’évaluateur habilité par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Des principes fondateurs qu’il ne faudrait pas réduire à de simples intentions.
Il existe une responsabilité juridique de l’évaluateur externe quelle que soit la forme d’exercice de son activité (société, profession libérale, auto-entrepreneur…). A l’égard du commanditaire, cette responsabilité est de nature contractuelle. L’annexe 3-10 du code de l’action sociale et des familles (CASF) tient lieu de cahier des charges pour la réalisation des évaluations externes ; elle précise les éléments que doit contenir le document de mise en concurrence, “fondement de la relation contractuelle entre les parties au contrat”(2). Tout contentieux relève alors des juridictions civiles, que le commanditaire soit de statut public ou privé. Aussi, une responsabilité de l’évaluateur externe – tant sur la forme que sur le fond du rapport d’évaluation – peut être envisagée. Sur la forme, l’évaluateur s’engage à remettre, in fine, un rapport d’évaluation au commanditaire dans un délai contractuellement prévu. La responsabilité peut naître, par exemple, de la non-exécution ou du retard dans l’exécution de la prestation attendue.
Sur le fond, on peut envisager un désaccord entre les parties. Néanmoins, dans la mesure où, tout au long du processus d’élaboration du rapport d’évaluation externe, des rencontres entre la direction de l’établissement ou du service et l’évaluateur externe sont prévues dans le cadre d’un comité de suivi(3), cette hypothèse semble assez peu probable. L’objet des rencontres est en effet non seulement de s’assurer du bon déroulement des opérations d’évaluation, du respect des termes du contrat, mais aussi de discuter les intentions scripturales de l’évaluateur. Cela permet de mettre en débat certains éléments afin de procéder, si nécessaire, à des réajustements. Dans un premier temps, un pré-rapport d’évaluation externe est communiqué à l’organisme gestionnaire et au responsable de l’établissement ou du service. L’objectif est d’aboutir à une version finale acceptable de part et d’autre quand bien même des désaccords pourraient persister. L’évaluateur doit produire un écrit fidèle aux constats et analyses qui lui semblent pertinents tout en ayant une approche bienveillante des établissements et services évalués. Comme le précise l’annexe 3-10, l’évaluateur doit être en mesure de se situer dans une logique d’écoute des professionnels et des usagers et, surtout, de compréhension du projet d’établissement ou du service et du contexte dans lequel il intervient. Par ailleurs, le commanditaire est en droit d’émettre des observations lors de l’élaboration du pré-rapport. Puis, dans un second temps, des commentaires, tant sur le fond que sur la forme, peuvent être formulés dans l’abrégé du rapport d’évaluation externe, ce qui, de facto, accentue le caractère contradictoire du processus évaluatif(4). Il est prévu dans le modèle d’abrégé du rapport d’évaluation externe élaboré par l’ANESM une rubrique intitulée “Commentaires de l’établissement social et médico-social sur l’évaluation externe”. Ces derniers peuvent porter tant sur le déroulement de l’évaluation externe que sur ses conclusions. De façon générale, la production réalisée par l’évaluateur externe est “validée” par le commanditaire qui se charge ensuite de transmettre le rapport définitif à l’autorité administrative compétente.
A la responsabilité civile, peut s’ajouter une responsabilité pénale. L’évaluateur est tenu de signaler des manquements aux lois et règlements conformément à ce qui est prévu par le code pénal. En particulier, au travers des infractions de non-dénonciation de crime ou de délit(5). Par ailleurs, il est tenu à une obligation de réserve et de secret(6). Nous pensons que la violation de cette obligation particulière entre dans le champ d’application de l’article 226-13 du code pénal relatif à la violation du secret professionnel(7).
Outre les responsabilités juridiques encourues, il existe aussi une responsabilité envers l’ANESM. L’évaluateur se doit de respecter une méthodologie d’évaluation et de production des résultats. Le rapport d’évaluation doit être conforme aux exigences posées par la circulaire du 21 octobre 2011(8), qui précise le périmètre de l’évaluation et le contenu minimal du rapport d’évaluation externe. L’ANESM peut, en cas de manquement, suspendre ou retirer l’habilitation de l’organisme évaluateur défaillant. Par ailleurs, à la fin de chaque semestre civil, l’évaluateur est soumis à des obligations de reddition de compte. Il doit transmettre par voie électronique un rapport d’activité à l’ANESM. Le défaut de transmission peut, après invitation de l’évaluateur à formuler ses observations dans le délai de un mois, entraîner une sanction. La décision de suspension fait l’objet d’une publicité et a pour effet de suspendre toute évaluation en cours. Une procédure de retrait d’habilitation peut être engagée si l’établissement ou le service ne régularise pas sa situation. Les manquements de l’évaluateur à ses obligations peuvent être portés à la connaissance de l’ANESM par l’organisme gestionnaire de l’établissement et service social et médico-social (ESSMS), le conseil de la vie sociale, le conseil départemental ou l’agence régionale de santé.
La circulaire de 2011 indique qu’en cas de suspension ou de retrait de l’habilitation de l’évaluateur externe, il est à la charge de l’ESSMS de contacter un autre organisme habilité en vue de poursuivre et d’achever l’évaluation en cours. Dans une telle hypothèse, l’évaluateur peut être tenu responsable du préjudice financier causé à l’établissement. Précisons enfin que l’ANESM est un groupement d’intérêt public (GIP), ce qui entraîne la compétence des juridictions administratives en cas de contentieux.
Seule l’ANESM est compétente pour habiliter les organismes qui souhaitent faire de l’évaluation externe. Le dossier de demande d’habilitation contient un formulaire intitulé “Engagement des organismes” qui précise, entre autres, les “règles de conduite applicables aux organismes et à leurs équipes intervenant à l’occasion de missions d’évaluation externe”. Intégrité, objectivité, confidentialité et compétence constituent les principales obligations qui s’appliquent aux évaluateurs. On ne peut concevoir d’évaluation qui ne s’inscrive dans un cadre éthique précis, c’est-à-dire en référence à des valeurs permettant de garantir un processus évaluatif de qualité tant sur la forme que sur le fond. L’acte d’engagement précise la posture que doit adopter l’évaluateur. Il s’agit en partie d’obligations négatives consistant à ne pas faire ou à s’interdire certains comportements. A l’inverse, certaines obligations positives existent. Elles se traduisent par des obligations de faire, de révéler ou encore de respecter. Si “l’éthique est une réflexion qui vise à déterminer le bien agir en tenant compte des contraintes relatives à des situations déterminées”(9), alors l’ensemble de ces obligations tant positives que négatives constituent un socle commun au service d’une posture et d’une réflexion éthique des évaluateurs externes. Les principes ainsi posés permettent de borner les attentes légitimes que l’on peut avoir envers les évaluateurs.
Nous pensons qu’à l’avenir les évaluateurs seront sans doute amenés à contracter une assurance “responsabilité professionnelle” pour couvrir le risque contentieux inhérent à leur activité car, dans cette affaire, les enjeux financiers restent considérables. »
(1) Déjà auteur d’une tribune libre sur les recommandations de l’ANESM, dans les ASH n° 2925 du 18-09-15, p 36.
(2) Annexe 3-10 du CASF, section 2 : « Etablissement du contrat entre la personne physique ou la personne morale gestionnaire de l’établissement ou du service et l’organisme habilité ».
(3) Bien que non obligatoire, la mise en place d’un comité de suivi est vivement recommandée. L’annexe 3-10 fait seulement référence à l’obligation de prévoir les modalités de suivi de l’évaluation externe dans le document de mise en concurrence.
(4) Selon l’annexe 3-10, l’évaluateur doit mettre en place « des modalités de travail qui garantissent un examen contradictoire des points de vue exprimés ».
(5) Code pénal, art. 434-1 (non-dénonciation de crime) et art. 434-3 (non-dénonciation de délit). L’auteur de l’une de ces infractions encourt trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
(6) Selon l’annexe 3-10, les évaluateurs « sont tenus à une obligation de réserve et de secret à l’égard de toute information dont ils ont connaissance dans le cadre de leur activité ».
(7) Michel Boudjemaï – Le secret professionnel en action sociale – Ed. ASH Professionnels, 2015 – Disponible auprès d’Info6tm – Service VPC – 23, rue Dupont-des-Loges – 57000 Metz – Tél. 01 40 05 23 15.
(8) Circulaire relative à l’évaluation des activités et de la qualité des prestations délivrées dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux – Voir ASH n° 2733 du 18-11-11, p. 7.
(9) « Le questionnement éthique dans les établissements sociaux et médico-sociaux » – Recommandation de bonnes pratiques professionnelles – ANESM (juin 2010) –