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Le Conseil constitutionnel censure nombre de mesures de la loi « égalité et citoyenneté »

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Le Conseil constitutionnel a, le 26 janvier, rendu sa décision sur la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a eu la main lourde. Il a en effet censuré dans leur intégralité pas moins de 43 articles et jugé sept autres partiellement contraires à la Constitution.

Près d’un article sur cinq censuré pour des motifs de procédure

Adopté définitivement le 22 décembre dernier au terme d’un parcours mouvementé marqué par les positions diamétralement opposées du Sénat et de l’Assemblée nationale(1), le texte soumis aux sages s’était considérablement enrichi par rapport à la version initiale du projet de loi, passant de 41 à 224 articles. Les auteurs des recours contestaient la constitutionnalité de 18 d’entre eux tandis que le Conseil constitutionnel s’est saisi d’office d’un autre article. Les auteurs des recours estimaient en outre que 23 articles avaient été adoptés suivant une procédure irrégulière. Soit pour absence de lien, même indirect, avec le projet de loi initial – articles qu’on appelle communément « cavaliers législatifs » –, soit pour non-respect de la règle dite « de l’entonnoir », qui prohibe l’introduction après la première lecture de dispositions nouvelles sans relation directe avec une disposition restant en discussion. Les sages se sont par ailleurs prononcés d’office sur la régularité de l’adoption de 29 autres articles.

Les dispositions que le conseil n’a pas examinées dans sa décision pourront, a-t-il rappelé dans un communiqué, « le cas échéant, faire l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité ».

De nombreuses dispositions retoquées par le Conseil constitutionnel l’ont au final été pour non-respect de la procédure parlementaire. « Près d’un article sur cinq », a résumé le président (LR) de la commission des lois du Sénat dans un communiqué, comptabilisant 36 « cavaliers législatifs » et sept dispositions contraires à la règle « de l’entonnoir ». « Toutes ces dispositions […] auraient mérité des textes de loi distincts, précédés d’un travail approfondi de concertation et d’évaluation de leur impact, tant de la part du gouvernement que des assemblées », estime Philippe Bas, qui voit dans la décision des sages « une sanction contre la frénésie et le désordre législatif ».

Dans un communiqué, les ministres du Logement et de la Ville, pour leur part, se sont avant tout félicités d’une décision qui « valide les objectifs et principales dispositions proposées par le gouvernement ou issus des travaux parlementaires en matière de mixité sociale, d’engagement citoyen et d’égalité réelle ». Emmanuelle Cosse et Patrick Kanner « prennent acte » de la censure de certaines dispositions « pourtant attendues ». Ils présentent en revanche les autres dispositions censurées comme étant « de moindre ambition au regard des objectifs de la loi » ou soulignent qu’elles ont été « adoptées contre l’avis du gouvernement ».

Les dispositions retoquées sur le fond

Le Conseil constitutionnel a notamment jugé contraire à la Constitution l’article 100 de la loi, qui prévoyait la suppression du bénéfice de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale pour les communes qui n’atteignent pas leurs objectifs de réalisation de logements sociaux. Les sages ont rappelé que cette dotation a pour objet d’améliorer les conditions de vie dans les communes les plus défavorisées. Ils ont également relevé que le dispositif mis en place par la loi faisait perdre à la commune le bénéfice de la dotation quel que soit l’écart entre le niveau de logements sociaux dans la commune et les objectifs auxquels elle est tenue. Enfin, le conseil s’est fondé sur le fait que la perte de ressources ne faisait l’objet d’aucun plafonnement. Il en a déduit que les dispositions de l’article méconnaissaient sur ce point le principe de libre administration des communes.

Autre disposition censurée : l’article 217 relatif aux actions de groupe(2). Pour en faciliter la constitution, cet article prévoyait la création d’un fonds de participation à leur financement. Il devait être alimenté par une majoration des amendes prononcées par les juridictions lorsqu’est portée devant elles une action de groupe. Problème : le législateur avait prévu que ces amendes, censées alimenter le fonds, ne pouvaient être prononcées que par un juge pénal. Ce qui a déplu aux sages, au nom du principe d’égalité. « En faisant ainsi dépendre la sanction encourue du choix de la partie civile de porter son action devant le juge pénal plutôt que devant le juge civil, les dispositions contestées créent, entre les défendeurs, une différence de traitement injustifiée », ont-ils expliqué.

Le Conseil constitutionnel a encore constaté une malfaçon qui l’a conduit à retoquer pour « inintelligibilité » l’article 179, qui modifiait l’article L. 132-1 du code du travail relatif à la discrimination en droit du travail.

Il a aussi censuré l’article 68, qui « se bornait » à affirmer que la Nation reconnaît le droit de chaque jeune atteignant l’âge de 18 ans à compter de 2020 à bénéficier d’une expérience professionnelle ou associative à l’étranger. Une disposition « dépourvue de portée normative » et donc contraire à la Constitution.

Enfin, les sages se sont prononcés d’office sur le 2° de l’article 173 de la loi qui réprimait le négationnisme de certains crimes, y compris lorsque ces crimes n’ont pas fait l’objet d’une condamnation judiciaire. Pour le conseil, ces dispositions ne sont pas nécessaires à la répression des incitations à la haine ou à la violence qui sont déjà réprimées par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Les Hauts Magistrats ont par ailleurs relevé que l’article contesté aurait permis que des propos puissent donner lieu à des poursuites pénales au motif qu’ils nieraient des faits sans pourtant que ces faits aient été reconnus judiciairement comme criminels au moment où les propos sont tenus. Il en aurait résulté une incertitude sur la licéité d’actes ou de propos portant sur des faits susceptibles de faire l’objet de débats historiques. Le conseil a, en conséquence, jugé que les dispositions contestées portaient à l’exercice de la liberté d’expression une atteinte qui n’est ni nécessaire ni proportionnée et les a donc déclarées contraires à la Constitution.

La reconnaissance du métier de médiateur social parmi les « cavaliers législatifs »

Parmi les dispositions censurées en tant que « cavaliers législatifs », on retiendra notamment :

→ l’article 64, qui autorisait la dématérialisation de la procédure d’acquisition de la nationalité française par déclaration de nationalité ou décision de l’autorité publique ;

→ l’article 222, qui disposait que l’autorité parentale exclut tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ;

→ l’article 46, qui procédait à la ratification de l’ordonnance n° 2015-904 du 23 juillet 2015 portant simplification du régime des associations et des fondations(3) ;

→ les articles 13 et 14, qui organisaient une procédure permettant aux associations de saisir le préfet afin qu’il se prononce sur leur caractère d’intérêt général ;

→ l’article 44, qui étendait les missions du Haut Conseil à la vie associative ;

→ l’article 45, qui modifiait l’article 41-4 du code de procédure pénale afin de permettre que les immeubles confisqués dans le cadre de procédures pénales et devenus propriété de l’Etat puissent être utilisés à des fins d’intérêt public ou pour des finalités sociales, notamment par des associations reconnues d’intérêt général ou des entreprises solidaires d’utilité sociale agréées ;

→ l’article 119, qui prévoyait la résiliation de plein droit des contrats de location en cas de condamnation pour trafic de stupéfiants du locataire ou de l’un des occupants du logement ;

→ l’article 126, qui réduisait les sanctions pénales applicables en cas d’occupation en réunion des espaces communs ou des toits des immeubles collectifs d’habitation ;

→ l’article 203, qui prévoyait la délivrance de plein droit d’une carte de résident aux victimes de violences conjugales ;

→ l’article 204, qui interdisait le retrait du titre de séjour d’une personne victime de violences familiales ;

→ l’article 220, qui inscrivait dans le code de l’action sociale et des familles la profession de médiateur social.

S’agissant, enfin, des dispositions censurées pour non-respect de la « règle de l’entonnoir », on signalera entre autres :

→ le paragraphe I de l’article 67, qui créait un livret d’épargne pour le permis de conduire ;

→ l’article 128, qui étendait les compétences du Fonds national d’accompagnement vers et dans le logement ;

→ ou bien encore les paragraphes V à VII de l’article 152, qui modifiaient les règles de prise en compte des dettes locatives dans les procédures de surendettement pour lutter contre les procédures d’expulsion.

Notes

(1) Voir ASH n° 2990 du 30-12-16, p. 32.

(2) Initialement limitées au domaine de la concurrence et de la consommation, les actions de groupe ont été l’an dernier étendues aux discriminations directes et indirectes commises par des entreprises privées ou publiques, et à la santé – Voir ASH n° 2977 du 30-09-16, p. 50 et n° 2980 du 21-10-16, p. 40.

(3) Un texte qui, pour mémoire, vise à mettre en œuvre des dispositifs destinés à aider les associations à assurer leurs missions, à rayonner dans la vie locale et à favoriser plus encore l’engagement citoyen – Voir ASH n° 2922 du 28-08-15, p. 41.

[Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 et décision du Conseil constitutionnel n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, J.O. du 28-01-17 ; rectificatif à la loi, J.O. du 31-01-17]

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