Recevoir la newsletter

Elodie Druez : « Le diplôme donne une légitimité qui permet de dénoncer les situations de racisme et de discriminations »

Article réservé aux abonnés

Les études ne manquent pas sur les jeunes en difficulté scolaire issus de l’immigration. Mais quid des bons élèves ? Doctorante en sciences politiques, Elodie Druez s’est intéressée à l’impact du racisme et des discriminations sur les diplômés du supérieur originaires d’Afrique subsaharienne. Si les bonnes notes les protègent des discriminations, le racisme reste bien présent.
Avoir de bons résultats scolaires protège-t-il du racisme et/ou des discriminations ?

C’est en partie le cas. En France, le problème de la discrimination se pose essentiellement au moment de l’orientation scolaire. Dès lors qu’un élève a de très bonnes notes, on ne remet jamais en cause son niveau, même s’il est noir. En revanche, lorsque les notes sont un peu moyennes, les stéréotypes peuvent s’activer et ces jeunes peuvent être empêchés d’intégrer une filière générale. Concernant le racisme, c’est différent. Les enquêtés évoquent très rarement des attitudes racistes de la part du corps enseignant. Mais lorsque ces bons élèves d’origine subsaharienne intègrent des établissements dont le public est majoritairement blanc, ils se trouvent très souvent confrontés à des stéréotypes racistes de la part des autres élèves. Par exemple, l’un des enquêtés portait une casquette et on lui a demandé s’il n’était pas une « racaille ». Il existe toujours une association, dans le regard des gens, entre la couleur de la peau, l’appartenance à un milieu populaire et l’échec scolaire. De ce point de vue, il y a une articulation entre logique de classe et logique de race.

Pourquoi consacrer cette recherche aux diplômés d’origine subsaharienne ?

C’était d’abord pour aller à l’encontre de cette idée reçue qui voudrait que tous les jeunes Noirs vivent dans des quartiers défavorisés et soient en difficulté scolaire. En réalité, beaucoup d’entre eux réussissent(1). Environ 25 % ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur. Je me suis concentrée sur des jeunes d’origine subsaharienne parce que l’Afrique est un continent qui me passionne et aussi en raison de l’intérêt académique de cette recherche, les travaux étant principalement centrés sur les enfants d’immigrés maghrébins. En revanche, la seconde génération d’origine subsaharienne est encore jeune et a été assez peu étudiée. En outre, être noir en France, ce n’est pas la même chose qu’être d’origine maghrébine. Le racisme et les discriminations sont liés à la couleur de la peau et à l’imaginaire qui y est associé.

Comment avez-vous enquêté ?

La partie quantitative se fonde sur l’enquête « Trajectoires et origines »(2) dirigée par Patrick Simon, mon directeur de thèse(3). Je me suis appuyée sur un échantillon d’environ 850 jeunes d’origine subsaharienne, dont 25 % diplômés du supérieur. Le principal constat est qu’ils déclarent davantage de racisme et moins de discriminations à l’école que ceux qui ont un diplôme inférieur ou égal au bac. Un résultat surprenant, dans la mesure où la littérature sur le vécu des discriminations montre qu’en général les diplômés ont tendance à déclarer plus de discriminations que les autres. La deuxième source est constituée d’une quarantaine d’entretiens. Je me suis appuyée, pour cela, sur mon réseau personnel et sur des associations d’étudiants d’origine africaine qui m’ont donné accès à des jeunes de familles subsahariennes ayant eu une trajectoire ascendante. Pour la plupart, ils ont suivi leur scolarité dans des quartiers défavorisés mais, grâce à leurs résultats, ils ont eu accès à de bons lycées puis ont effectué des études supérieures.

Quel est leur profil ?

J’ai eu le souci de maintenir la parité entre hommes et femmes chez les personnes interrogées. Celles-ci avaient entre 22 et 30 ans, ce qui correspond à peu près à la tranche d’âge moyenne de la seconde génération de l’immigration subsaharienne. Certains de ces jeunes diplômés viennent de milieux très populaires, leurs parents n’ayant aucun diplôme et ne sachant, parfois même, ni lire ni écrire. D’autres, à l’inverse, ont des parents cadres supérieurs, très diplômés à leur arrivée en France ou y ayant effectué leurs études. Cela renvoie à la structure de l’immigration africaine, qui est composée à la fois de populations défavorisées provenant surtout d’Afrique de l’Ouest et de publics favorisés et diplômés venant plutôt d’Afrique centrale. Parmi les personnes enquêtées, certaines habitaient dans Paris intra-muros et d’autres en banlieue, plutôt dans des quartiers défavorisés. J’ai d’ailleurs pu constater que vivre dans Paris représentait un avantage certain en termes de trajectoire scolaire. Un collégien ayant de bonnes notes peut en effet accéder à de très bons lycées, même s’il est issu du collège d’un quartier populaire. Cela compte dans la trajectoire ascendante de certains enquêtés.

Vous vous appuyez sur trois concepts clés : « racisme », « discrimination » et « racisation ». Qu’est-ce qui les distingue ?

Il existe des différences conceptuelles entre le racisme et les discriminations. La notion de « discrimination » s’appuie sur une définition juridique précise, et il me paraît important de s’y tenir. Etre discriminé, c’est subir un traitement inégalitaire, être empêché dans l’accès à un bien, un service ou un emploi. Le racisme, en revanche, renvoie davantage à des attitudes et des préjugés, à ce que pensent les gens. Cela se traduit plutôt par des mots exprimant des stéréotypes ancrés dans l’imaginaire collectif. Quant à la « racisation », il s’agit d’un terme plus large englobant les deux dimensions que sont le racisme et les discriminations. Il y a débat sur cet usage du terme de « racisation ». Mais il me semble utile car, même en l’absence de racisme et de discriminations, la race reste présente dans les rapports sociaux. Par exemple, il y a racisation lorsqu’on demande aux enquêtés – ce qui est extrêmement fréquent – d’où ils viennent. Dans l’esprit de leurs interlocuteurs, leur couleur de peau implique nécessairement une origine étrangère. Le terme de « racisation » permet ainsi de penser la question raciale en termes processuels, dans le cadre de micro-interactions.

Les enquêtés perçoivent-ils différemment les situations de discriminations et de racisme selon leur niveau de diplôme ?

C’est un point que j’aborde rapidement dans l’article, mais qui est très important. Dans la partie préliminaire de cette enquête, j’ai interrogé quelques jeunes d’origine subsaharienne non diplômés pour pouvoir établir une comparaison avec les diplômés. Il apparaît que ces jeunes non diplômés intériorisent davantage la domination qu’ils subissent, notamment sur le plan scolaire. Par exemple, ils pensent que s’ils ont été orientés en filière professionnelle, c’est de leur faute, parce qu’ils n’avaient pas de bonnes notes. Ce mécanisme d’intériorisation d’un statut social est extrêmement puissant. A l’inverse, le diplôme donne une sorte de légitimité qui permet de dénoncer les situations de racisme et de discriminations. Lorsqu’on vient d’une famille ayant déjà un certain niveau scolaire et que l’on est soi-même titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur, on peut porter un regard plus critique sur sa trajectoire et sur le système scolaire. Plusieurs personnes racontent comment on a essayé de les orienter vers des filières peu valorisantes et comment elles ont réussi à échapper à ce qu’elles jugent, a posteriori, comme une injustice.

Comment les jeunes concernés réagissent-ils dans ces situations de discriminations et de racisme ?

Il est très difficile de répondre au racisme. Réagir de façon conflictuelle est mal accepté socialement. Les personnes concernées ont donc plutôt une stratégie de minimisation : « C’est de la bêtise, je suis au-dessus de ça. » Elles peuvent aussi développer des stratégies de type éducatif : « Tu n’as rien compris, je vais t’expliquer… » Les réactions dépendent évidemment beaucoup des propos qui sont tenus. Lorsque les stéréotypes racistes s’expriment à travers des blagues, bien souvent les enquêtés font mine de rire, même si ça ne les amuse pas vraiment. Reste que, parfois, la blague ne passe pas et qu’il faut réagir. Certaines limites ne doivent pas être dépassées, mais la réaction peut être coûteuse. Des personnes interrogées ont ainsi perdu des amis à cause de propos racistes. Néanmoins, qu’il s’agisse de discriminations ou de racisme, beaucoup expriment la volonté que cela ne soit pas un frein. Ils veulent se battre pour réussir malgré tout en déjouant les stéréotypes, y compris dans leur vie professionnelle. Ce qui implique d’être plus exemplaire que les autres en ayant le sentiment de ne pas avoir le droit à l’erreur. C’est une forme de résilience.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Elodie Druez est doctorante en troisième année au Centre d’études européennes de Sciences Po et à l’Institut national d’études démographiques (INED). Elle a publié Réussite, racisme et discrimination scolaires. L’expérience des diplômé•e•s d’origine subsaharienne en France (revue Terrains & Travaux n° 29, 2016).

Notes

(1) Voir à ce sujet l’interview du sociologue Fabien Truong dans les ASH n° 2927 du 2-10-15, p. 34.

(2) Voir ASH n° 2749 du 2-03-12, p. 36.

(3) Elodie Druez prépare une thèse sur l’expérience de la racisation et des discriminations chez les diplômés d’origine subsaharienne en France et au Royaume-Uni.

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur