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Projet pour l’enfant : une mise en œuvre laborieuse

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Neuf ans après la réforme de la « protection de l’enfance », la loi du 14 mars 2016 a ciblé la « protection de l’enfant ». Il ne s’agit plus de se préoccuper d’une entité, mais d’un enfant concret, en garantissant la prise en compte de ses besoins fondamentaux. Pivot de cette ambition : le projet pour l’enfant, à élaborer en concertation avec ses parents. Mais cet outil – qui figurait déjà dans le texte de 2007 – a encore du mal à entrer dans les pratiques.

En 2007, la notion de « projet pour l’enfant » « est arrivée très tard », se souvient Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), qui était alors conseillère technique au ministère de la Famille. « C’est durant les échanges parlementaires que les questions du “qui fait quoi et comment” ont abouti à l’idée de concevoir un “projet avec la famille” […]. Certains parlementaires ont incité à ce que ce “projet de la famille” soit en réalité plus un “projet destiné à l’enfant”. […] C’est naturellement qu’est venue l’idée que c’était le “projet pour l’enfant” et surtout pas “de l’enfant”. »

Depuis 2007, le projet pour l’enfant (PPE) a connu des fortunes diverses. Dans l’état des lieux dressé par l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE)(1), dans lequel s’exprimait Fabienne Quiriau, il apparaît que nombre de départements ne l’avaient pas encore mis en place à la fin 2014, ou de manière plus ou moins partielle selon les modes de prise en charge et d’accompagnement. Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, a réaffirmé en 2016 le caractère obligatoire du PPE pour toutes les prestations d’aide sociale à l’enfance (hors aides financières) et pour les mesures de protection judiciaire(2). Pièce maîtresse de la loi du 14 mars dernier, le PPE constitue le symbole d’une nouvelle définition de la protection de l’enfance : cette dernière a désormais pour mission de « garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant » et non plus de « prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives », comme c’était le cas dans la loi de 2007. Au PPE de poser l’ensemble des actions à mettre en place pour servir l’intérêt de l’enfant et de répartir les rôles entre les protagonistes amenés à intervenir auprès de lui, à commencer par ses parents.

Un « document de vie »

Le projet pour l’enfant est « un outil que nous, assistants familiaux, trouvons hyper-intéressant, parce qu’en définissant les fonctions de chacun il rend la prise en charge de l’enfant beaucoup plus cohérente et moins conflictuelle », déclare une professionnelle de conseil départemental, qui souhaiterait que la démarche soit mise en œuvre sur son territoire. Conflits moindres avec l’équipe pluridisciplinaire, alors qu’il arrive aux référents d’établir « des calendriers de visites aux parents sans se concerter avec eux, ni avec nous » ; instrument de pacification, aussi, des relations avec les familles en levant l’ambiguïté sur les actes usuels qu’il revient à chacun d’accomplir. A contrario, sans une telle feuille de route, « on ne connaît rien de la situation de l’enfant quand il arrive chez nous, on accueille en aveugle ».

Le PPE « ouvre en grand le livre du parcours ASE [aide sociale à l’enfance] d’un enfant, il n’y a plus d’imprécisions sur les objectifs, ni sur le rôle et les missions des différents intervenants », confirme Magali Buquet-Cordon, responsable territoriale de l’ASE, qui pilote le déploiement progressif de cet outil dans le Vaucluse. Après l’avoir expérimenté en 2015 pour les mesures d’accueil provisoire, le département en a étendu l’usage l’année suivante aux placements judiciaires. « Pas question, par exemple, pour le parent de tenir un discours au lieu d’accueil et un autre au référent : réuni autour de la table pour la formalisation du document, tout le monde a les mêmes informations au même moment », reprend Magali Buquet-Cordon. Et si, par la suite, des désaccords surviennent, il est possible de rédiger un avenant sans attendre l’échéance formelle de révision du projet pour l’enfant.

« Document de vie de l’enfant, le PPE est un document vivant », souligne Magali Buquet-Cordon. Dans le Vaucluse, c’est aussi un document unique, c’est-à-dire qu’il intègre les écrits relatifs à l’accueil du mineur : document individuel de prise en charge ou contrat de séjour pour un accueil en établissement, contrat d’accueil ou convention d’accueil si l’enfant est confié à un assistant familial ou à un lieu de vie. Le projet pour l’enfant proprement dit, c’est-à-dire la formulation de ses besoins et de la manière d’y répondre, prend appui sur l’évaluation initiale de la situation ayant conduit à la décision d’accueil. Les objectifs opérationnels du PPE ne sont pas définis d’emblée, mais trois mois après le début de la mesure, au terme d’un travail effectué par le référent ASE, tant auprès des parents et de l’enfant que des différents acteurs investis auprès de lui – outre la personne ou le représentant de l’établissement qui l’accueille, ce peut être également, par exemple, le responsable du service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) qui suit l’enfant, ou l’assistant social de l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) où il est scolarisé. Cette mise en synergie de l’ensemble des intervenants fait du PPE « un véritable instrument du travail d’équipe », souligne Michelle Babin, présidente de la Fédération nationale des assistants familiaux. En Vendée, où elle exerce, ce sont d’ailleurs les assistants familiaux qui ont demandé la mise en place du PPE à la direction de l’enfance et de la famille. « Depuis, les conditions de travail n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient auparavant », assure l’assistante familiale. L’enfant, aussi, apprécie la démarche : « Il a l’impression que le PPE peut aider ses parents dans la prise en charge et il se sent sécurisé quand il les voit signer le document. »

Mise en place chronophage

Les responsables de l’ASE n’ont évidemment pas attendu le PPE pour élaborer des projets. Cependant, « par le passé, ces derniers n’étaient pas forcément formalisés », explique Isabelle Judas, inspectrice à l’ASE de Seine-Saint-Denis(3). Du coup, « pour les mesures administratives, il m’était souvent difficile de percevoir ledit projet et, pour les mesures judiciaires, de faire une proposition avisée au juge des enfants de maintien ou pas du placement, ou bien de passage du judiciaire à l’administratif ». Comme, par ailleurs, les professionnels ne travaillaient pas avec les familles, « il y avait des parents qui disparaissaient ou qui étaient très opposés au service, et on décidait à leur place », rappelle-t-elle. Un manque de lien avec les parents qui pouvait aboutir à ce que des adolescents aillent quand même dans leur famille, à l’insu des professionnels, alors que les droits d’hébergement avaient été supprimés.

Toutefois, formuler des objectifs éducatifs par écrit et travailler avec les parents constituent deux fondamentaux du PPE qui peinent à entrer dans les habitudes professionnelles. C’est pourquoi l’ASE de Seine-Saint-Denis s’emploie, depuis plusieurs années, à aider ses personnels à s’approprier la démarche. Pourtant, « malgré notre insistance de cadre, on constate partout la difficile mise en œuvre effective de cette nouvelle pratique », fait observer Agathe Muriot, responsable adjointe de circonscription ASE de Saint-Denis. Certaines difficultés tiennent à la charge de travail des éducateurs ayant à orchestrer la construction du PPE. D’une part, il faut pouvoir anticiper l’organisation des rencontres avec les parties prenantes, alors que l’exercice en circonscription est souvent régi par l’urgence d’une situation qui craque, d’un nouveau suivi, du remplacement d’un collègue au pied levé… D’autre part, le temps accordé aux échanges ne doit pas être trop contraint. Plus on est nombreux autour de la table, plus la réunion risque de durer, « mais il est difficile d’inviter les gens et d’être trop limitatif dans la distribution du temps de parole », relève Agathe Muriot. Réaliser un PPE demande facilement deux heures, et une demi-journée complète s’il y a plusieurs enfants, précise-t-elle. Quand le couple est séparé et les conflits trop prégnants, il faut prévoir deux rencontres différentes, ce qui est encore plus chronophage. Cependant, le temps pris au moment de la conception du PPE permet d’en gagner ensuite dans la réalisation des actions. Si on se met d’accord sur qui fait quoi – par exemple, en ce qui concerne les accompagnements de l’enfant au sport ou au CMP (centre médico-psychologique) –, « tout le monde est gagnant », défend Agathe Muriot.

Le déficit de formation des éducateurs dans la conduite de réunion constitue un autre obstacle qu’évoque la responsable. Il y a les aspects liés à l’animation proprement dite de la rencontre (gestion du temps, canalisation autour du sujet, distribution de la parole), mais aussi, parfois, des inquiétudes liées au fait de devoir simultanément animer la rencontre et rédiger un document qui sera ensuite remis aux parents et à l’inspectrice de l’ASE, puis le cas échéant transmis au juge des enfants.

« Objet frontière »

Les éducateurs de circonscription se posent également la question de leur légitimité pour occuper cette place de coordonnateur du PPE, qui les conduit souvent à avoir pour interlocuteurs les chefs de service d’établissements d’accueil, c’est-à-dire des professionnels d’un échelon hiérarchique supérieur au leur. Il leur faut donc apprendre à incarner cette fonction. De leur côté, les parents, qui se retrouvent face à une assemblée d’intervenants, n’ont pas non plus une position facile. Ils viennent cependant volontiers participer à ce temps de travail concernant leur enfant, qui est aussi une occasion, pour les professionnels, de les rassurer sur la place dans laquelle ils vont pouvoir s’inscrire, souligne Agathe Muriot. Même quand les parents sont opposés au principe du placement, le référent ASE doit s’efforcer de les aider à « convenir d’un certain consensus cohérent pour l’enfant », par exemple en clarifiant le rythme et l’organisation des hébergements. C’est en ce sens que le PPE apparaît comme un « objet frontière », selon l’expression de Ludovic Jamet, chargé d’études à l’ONPE, c’est-à-dire un objet susceptible de réunir un ensemble d’acteurs et de les amener à réfléchir collectivement autour d’un même objectif : la construction d’un projet pour l’enfant au regard de son intérêt et de ses besoins.

A Wambrechies, dans le Nord, l’association SOS Petits Princes inscrit son action dans cette perspective collaborative : à côté des familles, mais pas contre les professionnels. Se définissant comme une structure d’aide, de soutien et d’accompagnement des parents d’enfants confiés à l’ASE, SOS Petits Princes a été créée en 2006. Quand, un an plus tard, le PPE est apparu dans la loi réformant la protection de l’enfance, « on a trouvé l’idée positive : elle allait dans le sens des demandes des familles qui voulaient savoir que faire pour retrouver leurs enfants », explique Patrick Grave, directeur de l’association.

Mais, dix ans plus tard, force est de constater que le PPE reste compliqué à concrétiser. « Il y a des résistances énormes des travailleurs sociaux à détailler ce qu’ils font sur le papier ». Toutes les familles épaulées par l’association ont néanmoins un PPE… parce que cette dernière insiste. Un professionnel de l’ASE qui refuse d’établir un PPE « se met hors la loi, néanmoins ce fait n’est pas sanctionné », dénonce SOS Petits Princes. « Dès que les familles ont l’ordonnance de placement, on la reprend et on l’explicite avec elles, puis on sollicite l’ASE afin de mettre en place un PPE », explique Patrick Grave. Ce projet pour l’enfant est ensuite préparé avec les parents en amont de sa formalisation avec l’ASE. « Les familles ne savent pas ce qu’elles peuvent dire, ni comment le dire », commente le responsable de l’association, qui pointe les difficultés de communication entre professionnels et parents. C’est un problème de culture et de langage, parfois de langue elle-même, mais aussi et surtout d’appréhension des situations. « Le professionnel voit l’enfant, mais pas la famille, ou plus exactement pas la globalité des difficultés qui font que l’enfant peut ne plus être la priorité de la famille. » D’où l’intérêt de réunir autour de la table, pour la rédaction du PPE, des acteurs qui ne sont pas forcément impliqués dans l’accompagnement de l’enfant, mais qui connaissent les problématiques familiales. Par exemple un voisin, ou bien le médecin traitant d’une mère qui l’a aidée à sortir de la toxicomanie, ou encore les éducateurs d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) qui suivent d’autres enfants de la famille. « Nous incitons les familles à convier tous les intervenants qui leur semblent opportuns, ce que fait aussi de son côté le référent de l’ASE, explique Patrick Grave. On peut se retrouver à 10, 12 ou 15, ce qui prend du temps, mais est très intéressant – et permet ultérieurement d’en gagner. »

Ni avocat, ni porte-parole des familles, l’association se positionne en tiers facilitateur des contacts des parents avec les professionnels. Ce qui va dans le sens des recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) pour favoriser la participation des usagers en protection de l’enfance (4). Mais les parents – et l’enfant – sont-ils considérés comme de véritables acteurs ou de simples destinataires du PPE ? « Pour moi, la question est tranchée depuis de longues années », affirme la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes(5). Et de s’étonner « qu’elle suscite encore tant de débats et de crispations ! »

Les piliers du développement de l’enfant

Le projet élaboré pour l’enfant, dont la vocation est de répondre à ses besoins, doit évidemment commencer par identifier et évaluer ces derniers. Mais quels sont ces « besoins fondamentaux » que la loi du 14 mars 2016 enjoint à la protection de l’enfance de garantir ? Comme le montre une étude de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), cela dépend des chercheurs et/ou des pays(6). Certains besoins d’ordre physique ou éducatif font largement consensus. En revanche, « d’autres – les besoins psychologiques, par exemple – suscitent des controverses d’une collectivité à l’autre, voire à l’intérieur d’une même collectivité », souligne l’ONPE. Thomas Berry Brazelton, professeur émérite de pédiatrie à l’université de Harvard (Etats-Unis), et Stanley Greenspan, pédopsychiatre, ont mis en évidence sept besoins essentiels des enfants, permettant aux intéressés de grandir, d’apprendre et de s’épanouir : le besoin de relations chaleureuses et stables ; le besoin de protection physique, de sécurité et de régulation ; le besoin d’expériences adaptées aux différences individuelles ; le besoin d’expériences adaptées au développement ; le besoin de limites, de structures et d’attentes ; le besoin d’une communauté stable, de son soutien, de sa culture ; le besoin de protection de notre avenir. En Angleterre, au Québec et en Italie, les programmes nationaux d’aide aux enfants reposent également sur sept besoins développementaux, mais ces derniers sont formulés de manière différente. Pour les programmes anglais et québécois, les sept besoins sont la santé, l’éducation, le développement comportemental et affectif, l’identité, les relations familiales et sociales, la présentation de soi, les habiletés à prendre soin de soi. En Italie, les sept dimensions dont l’enfant a besoin pour grandir sont : la santé et la croissance ; les émotions, les pensées, la communication et le comportement ; l’identité et l’estime de soi ; l’autonomie ; les relations familiales et sociales ; l’apprentissage ; le jeux et les loisirs. En 2012, le pédopsychiatre Maurice Berger déplorait que la loi française de 2007 sur la protection de l’enfance ne fasse pas référence aux besoins minimaux devant être satisfaits pour qu’un enfant se développe correctement(7). L’ONPE note toutefois que « la mention ou l’idée de “besoins de l’enfant” apparaît à cinq reprises » dans ce texte. Dans la loi du 14 mars 2016, c’est huit fois le cas. Il reste maintenant à définir plus précisément ces besoins incontournables. C’est l’objet du travail d’un comité d’experts mandaté à cet effet par le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, dont le rapport est attendu pour le 17 février(8).

Notes

(1) Le PPE : état des lieux, enjeux organisationnels et pratiques – Rapport de l’ONPE – Juillet 2016 – Voir ASH n° 2973 du 2-9-16, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2970-2971 du 22-7-16, p. 49 et n° 2985 du 25-11-16, p. 61.

(3) Lors du colloque intitulé « Dessine-moi un projet », organisé à Bobigny le 26 janvier 2016 par Idée 93, l’Anmecs et l’Andesi.

(4) Voir ASH n° 2887 du 12-12-14, p. 7.

(5) Le 13 juin 2016 à Metz, lors des IXes assises nationales de la protection de l’enfance.

(6) « Les besoins fondamentaux de l’enfant et leur déclinaison pratique en protection de l’enfance » – ONPE – Note d’actualité, octobre 2016.

(7) Soigner les enfants violents : traitement, prévention, enjeux – Ed. Dunod, 2012 – Voir ASH n° 2757 du 27-04-12, p. 31.

(8) Voir ASH n° 2974 du 9-09-16, p. 5.

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