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Ecrire à plusieurs mains

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Passe-t-on, avec le projet pour l’enfant, « d’un écrit sur les familles à un écrit avec les familles » ? Cette question est au cœur d’une recherche-action réalisée par une actrice de terrain dans le Finistère.

Chargée de mission en 2013 et 2014 pour la mise en œuvre du projet pour l’enfant (PPE) dans le Finistère, Magalie Vendé s’est notamment intéressée à l’implication des protagonistes – parents, enfants, professionnels – dans la rédaction de ce document. La démarche de coconstruction que sous-tend le PPE recueille un large consensus, mais l’association des familles à l’écrit n’entre pas forcément ipso facto dans les pratiques. D’où l’importance d’accompagner les travailleurs sociaux à cet égard, ce qui a été l’objet d’ateliers avec les équipes éducatives que la chargée de mission a animés. De fait, il arrive que les professionnels soient réticents à associer les familles à l’écriture du PPE. « Les enfants et les parents ne pourraient exprimer par écrit ce qui était jusqu’à présent dit oralement », ce propos fait partie des réflexions récurrentes entendues par Magalie Vendé(1).

Le premier frein invoqué est la « limite intellectuelle » des intéressés. Même si les professionnels ont le souci de ne pas disqualifier les parents, cela reviendrait à dire que certaines de leurs formulations seraient perçues comme irrecevables par un futur lecteur, avance la chargée de mission. Les travailleurs sociaux s’inquiètent en particulier de la trace que pourraient laisser dans un écrit des manifestations de colère ou de violence, l’emploi par les parents ou les enfants de mots menaçants ou dévalorisants. Un autre obstacle mis en avant a trait à la difficulté pour certains parents d’écrire en français, voire au fait de ne savoir ni lire ni écrire. « Ces explications nous apparaissent comme étant défensives, car c’est oublier la fonction d’échange que permet l’écriture » et le rôle de traducteur des professionnels du lien social – sans compter qu’il est possible de faire appel à une personne de l’entourage familial ou à un service d’interprétariat, relève l’intervenante.

Pour étudier ce que le projet pour l’enfant provoque ou montre en matière de postures professionnelles et de participation des usagers, Magalie Vendé en a étudié 100, choisis de manière aléatoire. Les trois quarts d’entre eux concernaient des enfants de plus de 8 ans et 15 % des mineurs confiés. Dans 72 % des cas, les enfants se sont exprimés dans le document, soit directement (éventuellement à travers un dessin), soit par l’intermédiaire d’un adulte (parent ou plus souvent travailleur social). Les enfants font surtout part de besoins concernant leurs relations avec leurs parents ou leur fratrie, avant l’école ou les loisirs.

Une vision partagée

Du côté des parents, qui sont 98 % à avoir participé à la rédaction du PPE, la problématique principale est sept fois sur dix centrée sur l’enfant, avec des attentes relatives à son comportement ou ses résultats scolaires. Les parents évoquent très peu leurs besoins d’adultes (problèmes budgétaires, d’insertion, de santé ou de logement). Ce qui signifie que le sens du PPE, à savoir se centrer sur l’enfant, est intégré, mais aussi que cet outil ne donne pas toujours une vision globale de la situation familiale, analyse Magalie Vendé. « Il apparaît dans cette recherche une réelle liberté d’expression des usagers », qui, pour beaucoup, présentent leur ressenti de manière très personnelle, que l’on se situe dans le cadre d’une mesure judiciaire ou administrative. « Quand certaines personnes sont en difficulté avec l’écrit, les professionnels ont pu retraduire leurs mots sans les interpréter et en ayant la précaution de mettre les phrases entre guillemets », constate la chercheure. « Faire avec » les parents et les enfants lui semble donc possible.

Certaines pratiques favorisent la prise de parole et l’élaboration d’un diagnostic partagé, et marquent aussi, le cas échéant, les divergences de points de vue. « Les familles sont prêtes à s’engager, à faire connaître leur personnalité […], leur singularité, leur fonctionnement. » Du côté des professionnels, en revanche, le langage est plus impersonnel, et les objectifs s’inscrivent dans des registres stéréotypés d’action, facilement transposables d’une situation à une autre. Il s’agira, par exemple, pour une maman d’« aller vers l’extérieur » et d’« apprendre le cadre et le respect des règles » à son enfant. L’écrit des professionnels apparaît peu comme le « témoignage d’une prise de recul et de réflexion commune avec les familles », commente Magalie Vendé. La posture des intervenants « correspond encore à celle du travail social expert, qui préconise en tenant compte en partie du diagnostic pour prescrire un dispositif ». Plus qu’un espace de coconstruction, l’écrit se révèle être une aide à la prise de décision, sa principale fonction. « Ecrire pour que ça passe et non pas écrire ce qui se passe. » Ce qui revient finalement à « traduire une situation en mots pour se couvrir ou pour qu’elle rentre dans des cases ». Conclusions de l’étude : « L’écrit PPE est encore principalement utilisé pour solliciter un moyen » à propos duquel l’adhésion de l’usager est recherchée, et il ne correspond en général pas à une « implication commune autour d’un projet innovant ».

Notes

(1) Voir « D’un écrit sur les familles à un écrit avec les familles en protection de l’enfance ? Exemple avec le projet pour l’enfant au conseil général du Finistère » – Septembre 2014 – Recherche disponible sur www.odpe.finistere.fr.

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