Ce fut « une mauvaise réunion ». Le commentaire de Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité, à l’issue de la réunion de bilan de la situation à Calais, le 30 janvier, avec Bruno Le Roux, ministre de l’Intérieur, et Emmanuelle Cosse, ministre du Logement (voir ce numéro, page 7), suffit à résumer la colère des associations. Trois mois après le démantèlement de la « jungle », ces dernières sont loin de partager le satisfecit des ministres. Elles « avaient porté deux types de demandes, explique Florent Gueguen. Le maintien d’un dispositif humanitaire minimal, sachant qu’entre 400 et 500 personnes sont désormais réparties à Calais dans de petits campements, et la reprise des orientations vers les CAO [centres d’accueil et d’orientation]. Tout cela nous a été refusé au motif que le ministre de l’Intérieur veut faire place nette ! »
Or, défendent les associations, seule la prise en charge des migrants se présentant désormais sur la Lande peut éviter l’émergence de nouveaux bidonvilles. « A trois mois de la présidentielle, le gouvernement n’a pas voulu prendre d’initiative interprétée comme favorisant la reconstitution de campements », constate Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. Et les associations présentes à Calais ou engagées dans l’accueil des migrants sont d’autant plus remontées qu’il leur a fallu attendre cette réunion de bilan pour se voir promettre la transmission du rapport du préfet honoraire Jean Aribaud et du président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, Jérôme Vignon, sur l’« après-démantèlement ». Un rapport qui, justement, « demande le maintien de structures humanitaires sur place », ajoute le directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité, et qui n’a pas encore été rendu public.
« Cela fait 25 ans que Calais représente un objectif pour un grand nombre de personnes qui souhaitent trouver refuge en Grande-Bretagne, nous avions dit avant le démantèlement que nous ne voyions pas par quel coup de baguette magique cela évoluerait !, enrage également Laurent Giovannoni, responsable du département « accueil et droit des étrangers » au Secours catholique. Il n’y a pas d’autre solution que de prévoir un accueil sanitaire et social pour ces réfugiés, et la décision de ne rien laisser est un déni de réalité, c’est irresponsable et c’est tromper l’opinion ! » Alors que le nombre de migrants affluant à Calais pourrait augmenter dans les mois à venir, cet arbitrage revient, estime Laurent Giovannoni, à rayer d’un coup de plume les efforts du gouvernement pour sortir de la crise humanitaire de la « jungle ». « On a tout rasé pour revenir à une situation pire que celle de 2012, où un minimum de besoins sanitaires étaient pris en compte, juge-t-il. Les pouvoirs publics font comme si le problème n’existait plus. C’est hallucinant de constater une telle démission générale ! »
Autre motif de préoccupation : l’avenir des CAO. Selon le gouvernement, qui a annoncé l’ouverture d’un nouveau centre dans le département du Pas-de-Calais, 5 466 adultes ont été orientés vers ces 301 structures réparties dans 11 régions. « Nous n’avons pas d’engagement sur leur pérennisation, alors qu’une partie doit fermer au printemps, souligne Florent Gueguen. Nous demandons que certains soient transformés en centres d’accueil pour demandeurs d’asile et d’autres en centres d’hébergement d’urgence généralistes, notamment pour les migrants non-demandeurs d’asile. » La situation risque d’être d’autant plus tendue, prévient-il, que « les fermetures programmées vont avoir lieu en même temps que celles des places d’urgence hivernales ». En outre, les CAO ont été, dans le cadre de la loi de finances pour 2017, placés sous l’unique tutelle du ministère de l’Intérieur. « Ce qui fait craindre qu’ils soient utilisés uniquement en cas de gestion de crise. » Dans une interview à l’AFP parue le 1er février, le directeur général de l’OFPRA a souligné, de son côté, que pour les migrants de Calais, l’« accès à l’asile [doit être] possible » et que les associations ne doivent pas se retrouver seules à gérer la situation ».
Les associations s’inquiètent aussi de la prise en charge dans le dispositif de droit commun de la protection de l’enfance des quelque 1 000 mineurs actuellement accueillis en centres d’accueil et d’orientation pour mineurs (CAOMI). Seuls 800 ont pu rejoindre le Royaume-Uni en 2016. « A la mi-février sera connue la réponse définitive des Britanniques sur les recours déposés par quelque 400 mineurs », indique Pierre Henry. Qui, par ailleurs, laisse entrevoir une autre question : « Sur 360 évaluations en CAOMI, il y a eu 68 reconnaissances de minorité ». Les ministres ont confirmé aux associations, le 30 janvier, l’ouverture prochaine d’un CAOMI dans le département du Pas-de-Calais. « Mais, situé à 60 ou 80 km de Calais, il ne répondra pas à la situation des jeunes qui n’ont aucun lieu pour se poser », commente Laurent Giovannoni. Sans compter que beaucoup ne veulent pas se rendre dans une telle structure, de peur de devoir renoncer à leur projet de trouver l’asile outre-Manche.