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Vers un dialogue d’égal à égal

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Le service social du CROUS de Lille est le seul en France à disposer d’une médiatrice familiale. Une pratique innovante, encore marginale, mais unanimement saluée pour son efficacité dans les cas de rupture entre les jeunes adultes et leurs parents.

« Quand on m’a proposé de renouer le dialogue avec mes enfants, j’ai eu l’impression d’une ouverture sur le ciel. » Privée de contacts avec ses deux aînés étudiants, hormis pour leurs besoins administratifs, Agathe D. est venue en désespoir de cause au service social du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Lille(1). Par chance, elle s’est retrouvée dans le seul CROUS de France où exerce une médiatrice familiale diplômée, Hélène Linqué. Celle-ci explique : « Je suis un tiers neutre qui facilite les échanges. » Pour cela, elle crée un espace de rencontre où les parties prenantes peuvent exprimer leurs ressentis, lever les nombreux quiproquos, puis trouver un terrain d’entente.

Une souffrance reelle et reciproque

Un grand classique : l’étudiant, majeur qui vit encore sous le même toit que ses parents. Ceux-ci ne l’ont pas vu grandir et s’inquiètent de ses rentrées tardives le soir. Lui prend leurs remarques comme des atteintes à son indépendance, sans voir qu’en fait ses parents sont bienveillants. « Il suffit alors d’un pas de côté pour faire autrement et éviter le conflit », sourit la médiatrice. Hélène Linqué a un autre exemple en tête : une mère qui prend une location pour les vacances, avec une chambre prévue pour son fils. Celui-ci apprend ce séjour par sa sœur et croit qu’il n’est pas invité. Il part alors en vacances avec son amie et ses beaux-parents, et sa mère ne comprend pas pourquoi. Née sur un malentendu, la souffrance est cependant réelle et réciproque. « C’est arrivé parce que, juste à ce moment-là, ils ne se parlaient plus », note la professionnelle. La médiation leur a permis de renouer les liens distendus.

Hélène Linqué se partage entre son activité traditionnelle d’assistante sociale et ce nouveau métier, pour lequel elle s’est formée de sa propre volonté, soutenue par son employeur et son chef de service. « Je sentais qu’il y avait un manque, quelque chose dont on ne se saisissait pas, se souvient-elle. Pour les services sociaux des CROUS, l’usager, c’est l’étudiant. Mais que faire quand il est dans un mal-être parce qu’il n’est plus en liaison avec sa famille ? » La médiation familiale – la réponse adéquate, selon elle – est cependant peu usitée. Seule exception, les procès pour défaut d’assistance financière à son enfant. En dernière extrémité, quand le jeune se retrouve sans ressources, il peut, jusqu’à l’âge de 25 ans, assigner ses parents devant le juge. Pour éviter une procédure judiciaire douloureuse, la conciliation est alors tentée, avec orientation du jeune adulte vers la médiation intergénérationnelle dispensée par des services tiers, le plus souvent associatifs. « Mais alors il y avait toujours ce même frein : l’étudiant devait sortir de son cadre, et il n’y allait pas », note Hélène Linqué. Etudiant en troisième année à l’université Lille-2 Droit et Santé, Simon Klinnik le reconnaît volontiers : « De moi-même, je n’aurais pas fait une médiation, car c’est difficile d’accès et cela entraîne un coût. Là, c’était simple, c’était au CROUS et je me suis dit : “Pourquoi ne pas essayer” » En effet, ce centre régional possède un atout majeur : la médiation y est gratuite, quand les associations appliquent pour une telle prestation le barême de la caisse d’allocations familiales – soit, selon les revenus, entre 2 et 130 €. Peuvent bénéficier des services du CROUS les étudiants de l’académie de Lille en formation initiale issus d’un établissement habilité à la sécurité sociale étudiante.

Grâce à une initiation aux outils de la médiation mise en place par le Centre national de formation des CROUS, Hélène Linqué découvre cette nouvelle forme d’intervention et est séduite par ses potentialités. En 2011, elle décide d’approfondir ses connaissances et d’aller jusqu’au diplôme. Elle demande alors la possibilité de se former sur deux ans, en alternance. Le CROUS de Lille accepte de financer les 7 000 € nécessaires sur son budget « formation » et autorise qu’elle s’absente une semaine par mois. Hélène Linqué utilisera ses congés pour accomplir son stage obligatoire de 70 heures. En novembre 2013, elle est diplômée, avec un projet clair : elle veut être médiatrice au sein des CROUS. « Il y a une double innovation dans cette démarche », souligne Marianne Souquet, médiatrice professionnelle, orthophoniste de formation et animatrice du groupe d’analyse de pratiques auquel participe Hélène Linqué six jours par an, en guise de supervision. « D’abord, la relation parents-jeunes adultes est un des nouveaux champs d’application de la médiation et est très rarement explorée. La médiation a en effet été créée lors des séparations des couples pour protéger les enfants, et reste circonscrite à ce domaine dans 95 % des cas. Ensuite, c’est une institution – le CROUS – qui donne une place à cette pratique, ce qui veut dire qu’elle reconnaît un besoin. »

Un positionnement neutre

Hélène Linqué y va à pas prudents. La première année, en accord avec sa direction, elle accorde une journée par semaine à la médiation familiale, soit 20 % de son temps de travail. Elle prépare sa communication, affichettes dans les salles d’attente et marque-pages à emporter. Puis elle organise des réunions d’information pour ses collègues assistantes de service social. Elles sont 19 équivalents temps plein sur l’académie de Lille. « Je voulais les rassurer, leur expliquer que je ne prenais pas une partie de leur travail, mais je les invitais à se saisir de cet outil complémentaire qu’est la médiation familiale », explique-t-elle. Sophie Lecointe, également assistante sociale, qui travaille avec elle, résume parfaitement les différences de positionnement : « Poser des actes de médiation fait partie de notre travail, mais nous ne pouvons pas être médiatrices, par notre statut même. Nous prenons parti pour notre public, l’étudiant que nous accompagnons, et n’avons pas la neutralité nécessaire car nous n’avons qu’une version de l’histoire. » Bien sûr, la professionnelle se met en relation avec les parents pour résoudre les problématiques évoquées par le jeune suivi – par exemple, un refus de remettre la fiche d’imposition nécessaire pour établir une demande de bourse, ou l’impossibilité d’aller récupérer des affaires personnelles au domicile familial… Mais parfois l’assistante sociale se retrouve avec, au bout du fil, des parents en souffrance qu’elle ne peut accompagner. « Avoir une médiatrice nous permet de ne pas être dans un entre-deux et de fixer plus clairement les limites de notre travail », reconnaît Sophie Lecointe. Dans ces cas, elle propose aux parents un rendez-vous avec la médiatrice.

Hélène Linqué insiste également sur un autre point : parler avec elle n’engage à rien. Accepter ou refuser une médiation ne conditionne pas l’aide apportée à l’étudiant. Même s’il décline la proposition, il continuera à être suivi par son assistante sociale du CROUS. C’est une garantie importante pour les professionnelles. De même, le respect de l’intimité des échanges s’impose : « Hélène rentre beaucoup plus dans le détail de la relation familiale, note Sophie Lecointe. Nous, nous échangeons, mais de façon succincte, sur les grandes lignes. Le secret professionnel s’impose de part et d’autre. »

Hélène Linqué a ensuite sensibilisé d’autres relais potentiels, les centres de prévention et de soins pour les étudiants, situés au sein des campus, mais aussi les gestionnaires des restaurants et des résidences universitaires, ainsi que les représentants élus des étudiants. Peu à peu, la médiation familiale a trouvé sa place et prouvé son utilité. Aujourd’hui, la médiatrice consacre deux jours et demi par semaine à cette activité, soit un mi-temps. Isabelle Danjou, son chef de service, se félicite de sa présence, même s’il faut tordre un peu les règles administratives. « Le poste de médiatrice sociale n’existe pas dans la grille de l’Education nationale », précise la responsable. Il faudrait donc trouver des financements complémentaires pour qu’Hélène Linqué puisse augmenter sa présence horaire et surtout disposer d’un statut officiel. Mais la médiation parents-jeunes adultes est encore trop nouvelle et expérimentale pour bénéficier d’une reconnaissance de la part des instances nationales. Ce qui est un frein à son développement.

Sur l’année scolaire 2015-2016, le service social du CROUS de Lille a reçu 9 744 étudiants pour 15 858 entretiens. Sur ce total, Hélène Linqué a mené 32 entretiens en médiation familiale. Depuis la rentrée 2016, de septembre à décembre, elle a déjà eu 14 rendez-vous – un nombre en progression constante, mais qui reste une goutte d’eau dans l’activité du service. « C’est un outil extraordinaire », s’exclame Françoise Halle, assistante sociale et adjointe du service, qui propose presque systématiquement la médiation dans les cas de rupture familiale. « Les étudiants sont des adultes en devenir, estime-t-elle, et il leur faut pour cela avoir réglé leurs comptes avec leurs parents », afin de ne pas reproduire des liens familiaux compliqués avec leurs propres enfants. D’où son idée d’en faire un passage obligé pour l’étudiant comme pour les parents dans les cas où les adultes ne subviennent plus aux besoins de leurs enfants. « Une fois qu’on a réglé le problème financier, il est intéressant d’aller voir autre chose. Pourquoi en est-on arrivé là ? Pourquoi les parents ne se mobilisent-ils pas ? », explique Françoise Halle.

Une procedure par etapes

Une médiation ne s’improvise pas et impose des entretiens préalables, surtout quand il s’agit de relations intergénérationnelles. « Par principe, ces liens sont indissolubles, au contraire du lien de conjugalité, précise Marianne Souquet. Ce sont donc des médiations complexes, où il faut que les parents se préparent aux reproches tandis que le jeune doit comprendre qu’il ne s’agit pas d’un tribunal, que ses parents ont fait de leur mieux, même s’ils ont commis des erreurs. » Le premier entretien sert à vérifier que la médiation est l’outil adapté : elle ne peut être utilisée dans les cas d’emprise ou de violences intrafamiliales, ou quand une situation est pathologique : fragilité psychologique trop importante ou dépendance à l’alcool ou à la drogue. Hélène Linqué explique ensuite aux étudiants orientés vers elle le principe du dispositif. « Souvent, leur première réaction consiste à dire : « Mes parents ne voudront pas. » Or, justement, la médiation, c’est arrêter de parler à la place de l’autre. Je leur propose alors de prendre contact avec les parents, pour voir s’ils sont d’accord ou pas. » Hélène Linqué passe le plus souvent par un courrier, dont elle a conçu la formulation, concise sans être anxiogène. « Je vous invite à me rappeler afin que nous puissions convenir ensemble d’un rendez-vous. Cette prise de contact ne vous engage à rien. » Les notions d’« invitation » et de « libre arbitre » sont essentielles, car il faut l’accord des parties. « Entrer dans le processus, c’est déjà faire bouger les lignes, être dans une dynamique de changement », souligne la médiatrice. Pour Eglantine Flament, assistante sociale sur les campus de Valenciennes et de Cambrai (Nord), la médiation ne peut cependant s’adresser qu’à un certain type de public. « Il faut que le jeune adhère, que la famille comprenne bien les règles. Cela suppose un minimum de recul sur le conflit », précise-t-elle.

Dans 82 % des cas, les familles donnent suite. Comme avec l’étudiant, la médiatrice reçoit le ou les parents pour informer de ce qu’est une médiation. S’ils acceptent le principe, vient le temps du deuxième entretien, où les protagonistes sont rencontrés de façon séparée, pour mettre à plat les difficultés. Le premier geste d’Hélène Linqué consiste alors à dessiner le génogramme, la composition de la famille : grands-parents, couples recomposés, fratrie… Des différences significatives peuvent émerger. Entre autres, quand un jeune n’évoque pas le nouveau compagnon de sa mère. « C’est un point d’arrêt sur la situation actuelle, explique-t-elle. Ensuite, je demande les attentes, affectives mais également financières. Souvent, ils n’ont pas réfléchi à ce dont ils ont besoin. Pour l’enfant d’un couple divorcé, ça peut être de demander aux parents d’arrêter de le prendre pour un arbitre. »

Garantir un temps de parole equitable

Enfin, arrive la médiation proprement dite, avec le rendez-vous entre l’étudiant et sa famille. Hélène Linqué veille aux moindres détails. Ne pas choisir un local trop exigu – « car il est difficile d’avoir les genoux qui se touchent quand on est en conflit », sourit-elle. Veiller aussi à ce que les deux parties ne se rencontrent pas dans la salle d’attente, surtout si elles ne se sont pas vues depuis des années. En effet, Hélène Linqué est garante du cadre et du temps de parole dévolu à chacun : « Les personnes sont ainsi en sécurité », insiste-t-elle. La réunion peut alors commencer, en suivant un déroulé précis. « Je vais d’abord cibler tout ce qui est commun, pour leur montrer qu’ils ont les mêmes préoccupations. Ensuite, on va voir ensemble l’espace du possible, ce qui pourrait être fait autrement », détaille la médiatrice. « Je suis moins dans le “je vous conseille” que dans une vigilance à toutes les ouvertures potentielles. »

C’est aux participants de construire eux-mêmes leurs solutions. Véronique D., qui a accepté la médiation proposée par son fils, alors que son ex-mari l’a refusée, en mesure aujourd’hui tous les bénéfices : « Elle m’a permis de retrouver mon fils. A la suite du divorce, il y a eu une mésentente et on ne se voyait plus. » Elle confie avoir eu peur de cette confrontation. « Je craignais que cela se passe mal entre nous. Mais je ne m’attendais pas à avoir des secousses émotionnelles de cette ampleur. Nous étions tous les deux très émus, nous avons dit les choses que nous avions sur le cœur, et cela s’est passé de façon fluide, sans agressivité. Je n’avais pas compris que certains faits ou remarques l’avaient affecté à ce point. » Elle reconnaît le rôle fondamental de la médiatrice : « Elle arrivait à apaiser chacun, sans frustration de l’un ou de l’autre. Seuls, je pense que le ton serait sans doute monté. Quand on est mère, on garde en tête l’aspect “autorité maternelle”, malgré tout. Là, nous avons réussi à nous parler d’adulte à adulte. » Instaurer une relation d’égal à égal est l’un des enjeux primordiaux de la médiation familiale. « La parole doit être équitable autour de la table, rappelle Marianne Souquet. Mais on reste toujours l’enfant de ses parents, et le parent de ses enfants. » Car chacun est coincé dans son rôle, avec des conceptions parfois décalées face aux besoins réels. « Qu’est-ce qu’une bonne mère ? s’interroge Hélène Linqué. Pour certaines femmes, c’est offrir un repas prêt à ses enfants. Mais ceux-ci préféreraient peut-être qu’elle leur demande comment ils vont, plutôt que d’avoir leur assiette pleine sur la table. »

Simon Klinnik a aujourd’hui un recul d’un an sur sa médiation pour en dresser le bilan. « J’ai pu garder mes parents », affirme-t-il. Il s’y était rendu en désespoir de cause : « J’étais au fond du trou, prêt à aller au procès. C’était un peu la dernière solution », reconnaît-il. Aujourd’hui, il reparle à ses parents, qui le considèrent désormais avec un autre regard, le reconnaissent comme un jeune homme majeur et responsable. « A un moment, on en a marre d’être regardé comme un enfant », sourit-il. Il a réglé avec eux les questions financières. « La médiation, c’est aussi une éducation à la communication, analyse-t-il. Trouver des solutions soi-même, c’est comme cela qu’on devient grand. »

Notes

(1) CROUS de Lille : 74, rue de Cambrai – 59043 Lille Cedex – Tél . 03 20 88 66 27.

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