« Ce texte risque d’aggraver les malentendus sur notre fonction. Selon les auteurs, si la place du psychologue dans le champ social est “aujourd’hui si fortement contestée”, si ses pratiques ont dérivé vers la “clinique psychologisante”, c’est que celui-ci “a oublié la façon dont la psychologie clinique s’est construite à l’origine”. Estimant que “les psychologues cliniciens se sont fourvoyés dans une pratique qui s’appuie exclusivement sur la psychanalyse”, ils nous engagent à savoir “convoquer les différentes approches” et “fabriquer les outils permettant de rendre [leur] pratique adéquate à l’expression des besoins que le sujet [leur] a adressés dans le cadre de [leur] missions”.
Ces positions rejoignent celles promues par le Syndicat national des psychologues, qui milite pour la légalisation des règles déontologiques, parmi lesquelles le respect des différentes approches théoriques. “Le problème diffus de la place de la psychanalyse a souvent servi à exaspérer les clivages, en autorisant chaque tendance à caricaturer la position adverse, et réciproquement…”, alertait, dès 1983, René Clément(3). Néanmoins, à la différence des auteurs de l’article, ce dernier nous engageait à nous prévaloir d’un savoir. Pas d’un “savoir sur l’autre”, plutôt d’un savoir autre. Un “savoir sur l’humain”, issu de notre formation régulièrement mise à jour et enrichie de chaque rencontre dans notre pratique. Ce savoir-là ne passe-t-il pas, bien sûr sans exclusive, par la prise en compte de l’inconscient et de ses effets ? Il ne se traduit d’ailleurs pas tant dans ce que le psychologue dit que dans ce qu’il sait taire.
S’il ne peut s’agir d’occuper la place de “superviseur” dans l’institution, comme l’expliquent les deux auteurs, le psychologue n’est-il pas le garant de la libre circulation de la pensée en psychologie ? Les institutions, les psychologues ne se trouvent sans doute pas tant exposés “au risque de la psychanalyse”… que de sa mise en quarantaine quasi généralisée.
Le psycholoque ne saurait, nous dit-on, “dispenser des soins” : les entretiens cliniques qu’il peut proposer n’ont-ils pas une “visée thérapeutique” ? Qui aurait légitimité à parler de l’effet, sinon l’“usager” ?
Les auteurs citent, du reste, le rapport du Conseil supérieur en travail social, “Refonder le rapport aux personnes. Merci de ne plus m’appeler usager” (2015), qui dénonce la dérive liée à “la priorité donnée à l’approche individuelle”. Nous avancerons l’idée que la dimension de la personne est réduite à l’état d’usager par la promotion de l’être de droit(s), ce qui est insuffisant à dire le sujet. Ce dernier est aujourd’hui cerné par quantité de protocoles et de procédures standardisés et réduit à l’objet manifeste et explicitement énoncé de sa venue dans le service. Pourtant, et alors que les deux auteurs mettent l’accent sur “les besoins que le sujet a adressés [au psychologue]”, comme le rappelle Marie-Claude Egry(4), “l’être humain n’est pas réductible à son besoin”. Le psychologue est là notamment pour savoir accueillir et permettre aux équipes de trouver un sens à ce qui “cherche à se dire” au-delà du manifeste et du conscient.
Le psychologue se serait-il, par ailleurs, laissé enfermer dans une clinique psychologisante ? Force est de constater que la psychologisation qui sévit effectivement dans les services et leurs discours émane avant tout… de non-psychologues. Comme si chacun pouvait jouer avec un titre protégé depuis 1985… Gardons-nous d’adopter une position de victime. Nous pourrions bien avoir une responsabilité en ayant laissé la place vacante. Comme le dit, là encore, René Clément, “s’il est abusif de penser que l’on ne pourrait parler de psychologie sans psychologue, autant en parler avec les représentants autorisés de la profession, cela dans une perspective scientifique”. Car c’est bien dans le champ des sciences humaines que se situe la formation du psychologue.
Ce dernier serait aussi, selon les auteurs, “dégagé des contingences du quotidien”. Pourtant, comme l’affirme encore René Clément(5), “notre savoir sur l’humain et l’importance de traiter toute personne en prenant en compte sa dimension de sujet nous conduit à devoir nous engager individuellement et collectivement pour promouvoir et défendre des évolutions sociales toujours plus qualitatives au service de l’humain”. L’extension abusive de l’expression “neutralité bienveillante” ne saurait dispenser le psychologue de s’impliquer “dans la cité”. »
Contact: galopin.patrick0970@orange.fr
(2) Egalement secrétaire de la commission « Fonction publique territoriale » du Syndicat national des psychologues.
(3) « Les psychologues entre la tentation psychanalytique et la prise de pouvoir institutionnelle ? » – Cahiers de l’ANREP n° 1-2, 1984. René Clément (1949-1994), psychologue et psychanalyste, fut notamment président de l’ANREP (Association nationale pour la recherche et l’étude en psychologie) et responsable du secteur sanitaire et social du Syndicat national des psychologues.
(4) « De la précarité à l’accueil du sujet » – Psychologues et psychologies n° 219 – Décembre 2011.
(5) « Les psychologues et les attentes de la société », Psychologues et psychologies n° 117 – Février-mars 1994.