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« La période hivernale est un moment de mobilisation de la société »

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Tous les hivers, les pouvoirs publics préparent rituellement un plan « grand froid » visant notamment à protéger les personnes à la rue en cas de basses températures. Comment fonctionnent ces plans et quelle est leur efficacité ? Nous avons interrogé à ce sujet le sociologue Edouard Gardella, qui rappelle que l’histoire de ces plans est étroitement liée à celle de l’urgence sociale.
A quand remontent les plans « grand froid » ?

L’histoire de ces plans est associée à celle de l’urgence sociale en tant que politique de l’Etat. La première fois qu’une politique d’urgence hivernale en direction des personnes exclues du logement a véritablement été mise en œuvre, c’était à la suite de l’hiver 1954, avec l’« insurrection de la bonté » de l’abbé Pierre. L’une des conséquences de cette mobilisation fut le vote, en 1956, de la loi instaurant la trêve hivernale des expulsions. Ce rythme saisonnier a perduré, et s’est même renforcé en 1983 avec le programme de lutte contre la pauvreté et la précarité, dit « plan Bérégovoy », du nom de celui qui était alors ministre des Affaires sociales du gouvernement Mauroy. Jusqu’en 1989, il y aura systématiquement des plans d’urgence sociale durant la période hivernale. Ils ne concerneront d’ailleurs pas que les SDF mais plus globalement la lutte contre la pauvreté. Après la loi sur le RMI en 1988, et la loi « Besson » sur le logement pour les plus défavorisés en 1990, ces plans hivernaux devaient disparaître, la pauvreté étant censée reculer. Mais en 1991, une évaluation du RMI a montré que les SDF étaient encore nombreux et bénéficiaient peu de cette allocation. Le monde associatif se remobilise donc autour de cette question, surtout durant l’hiver rigoureux de 1992-1993. Interpellé par les collectivités, le monde associatif et les professionnels, l’Etat lance à nouveau un plan d’urgence, mais ciblé cette fois sur les SDF. C’est aussi à ce moment-là qu’a été créé le SAMU social de Paris, à l’initiative de Xavier Emmanuelli.

En quoi consistent ces plans ?

Depuis 1993, ils visent principalement la mise à l’abri des personnes à la rue durant les périodes de froid, avec un degré d’engagement de l’Etat en fonction des températures. Celui-ci finance le monde associatif pour qu’il ouvre plus de places d’hébergement et embauche davantage de personnel. Il permet également la réquisition d’équipements publics tels que des gares, des gymnases… Le plan « grand froid » est un dispositif national, à charge pour les préfets de le décliner dans les départements afin que les personnes sans abri soient prises en charge de manière plus réactive qu’à l’accoutumée.

De quelle façon les intervenants sociaux sont-ils mobilisés ?

Ils assurent les mêmes fonctions que le reste de l’année, sauf qu’ils sont plus nombreux et disposent de davantage de moyens pour aller à la rencontre des personnes sans abri et leur proposer des places d’hébergement. Les dispositifs d’urgence sociale fonctionnent toute l’année, mais durant l’hiver la mission de répondre aux demandes d’hébergement, dévolue autrefois au 115 et aujourd’hui aux SIAO [services intégrés d’accueil et d’orientation], est renforcée. Leur rôle consiste à prendre les appels des personnes en difficulté et à les orienter vers des places d’hébergement qui leur conviennent. Enfin, les accueils de jour sont parfois ouverts sur des horaires plus larges que d’habitude. Reste qu’en ce qui concerne les hébergements d’urgence, la question des horaires demeure compliquée. Depuis la loi « DALO », il existe un principe de continuité de ces services. Les personnes qui y dorment ne sont plus censées en partir obligatoirement le matin, mais les pratiques locales restent très diverses.

Le plan « grand froid » a-t-il les moyens de ses objectifs ?

Dans leurs rapports annuels, le 115 de Paris et l’Observatoire national des 115 publient la part des appelants obtenant une réponse positive. Or, s’il y a durant l’hiver plus de moyens disponibles, il y a aussi davantage de personnes qui sollicitent le 115. Au bout du compte, la saturation est à peu près la même qu’en été, voire plus dégradée. En ce qui concerne les places d’hébergement, elles sont quasiment complètes, en particulier à Paris, avec toujours des personnes qui voient leurs demandes refusées. Ce que le 115 de Paris appelle les « demandes non pourvues » recouvre un manque quantitatif de places, mais aussi une inadéquation qualitative. En effet, les permanenciers peuvent refuser de donner une place qu’ils jugent inadaptée à la personne qui appelle. Par exemple, envoyer une famille dans un gymnase où il n’y a que des lits de camp ou proposer à un jeune une place dans un établissement accueillant surtout des sans-abri chroniques. Toutefois, en hiver, sur décision de la préfecture, les permanenciers du 115 doivent attribuer les places, mêmes si elles ne sont pas en adéquation avec les demandes.

Ces plans ne sont-ils pas d’abord un outil d’affichage politique donnant l’illusion d’agir ?

C’est une critique récurrente portée par le monde associatif, qui se félicite d’avoir des moyens supplémentaires en hiver, mais estime que disposer de ces moyens seulement à cette saison est insuffisant. Pourtant, si l’on replace ces périodes d’urgence dans une perspective historique, on constate qu’elles sont des moments d’effervescence entre les acteurs administratifs, associatifs et professionnels. La période hivernale est un moment de mobilisation de la société qui peut donner des effets durables. Par exemple, le RMI est né, notamment, d’expérimentations locales d’un revenu minimum garanti pendant les plans hivernaux des années 1980. On peut interpréter ces mobilisations hivernales comme des rites de solidarité qui renforcent, parfois, les droits des plus démunis, comme lors de la mobilisation des Enfants de Don Quichotte qui a ouvert sur la loi « DALO ».

Des associations critiquent ces plans, soulignant que ce n’est pas le froid qui tue les sans-abri…

Le collectif d’associations Les Morts de la rue réalise depuis plusieurs années des statistiques qui indiquent en effet que le froid ne serait pas la première cause de mortalité des SDF. Selon ces chiffres, ils meurent d’abord de chutes, d’accidents, d’agressions… Ce travail d’observation est susceptible de ne plus faire du froid le moteur de l’action publique en faveur des personnes sans abri. Du moins est-ce l’objectif politique de ce collectif d’associations, qui demande en conséquence la pérennisation des moyens hivernaux pendant toute l’année

Cela ne repose-t-il pas la question de l’accès au logement ?

La sortie de l’hébergement d’urgence reste sans doute largement entravée par le manque de logements, et surtout par leur coût, en particulier dans les grandes villes. Selon la plupart des acteurs, la construction de logements supplémentaires n’aura qu’une efficacité limitée tant que leur accès reste conditionné par un loyer élevé. C’est aussi ce qui explique, en partie, la saturation du dispositif d’hébergement d’urgence. Si les personnes y restent faute de sortie possible en logement autonome, les nouveaux venus ne trouvent plus de places. Les acteurs de l’hébergement estiment que même si on lançait aujourd’hui une politique de logements autonomes abordables financièrement, il faudrait sans doute développer d’autres dispositifs d’habitat à court terme en attendant que les logements construits soient effectivement accessibles.

Une minorité de personnes sans abri ne restera-t-elle pas toujours rétive à toute tentative de mise à l’abri ?

C’est l’objet du rapport que je finalise, avec l’Observatoire du SAMU social de Paris, pour l’ONPES [Observatoire national de la pauvreté et de la lutte contre l’exclusion]. Nos résultats montrent que les personnes sédentarisées dans l’espace public y trouvent une possibilité d’habiter que ne leur offrent pas, à leurs yeux, les hébergements sociaux. « Habiter » signifiant avoir une familiarité avec les lieux où l’on dort, bénéficier de son autonomie et recevoir une certaine considération. Paradoxalement, ces personnes trouvent dans l’espace public leurs repères, produits par le réseau de relations qu’elles ont mis du temps à créer. Du point de vue du citoyen lambda et de celui des pouvoirs publics, il vaut mieux dormir dans un hébergement social que dans un espace public. Pour les personnes sans abri, c’est loin d’être toujours vrai. Quant aux travailleurs sociaux, certains réalisent que les relations nouées par les gens comptent parfois autant que du confort matériel. Les politiques sociales, si elles veulent répondre de façon réaliste à ceux qui dorment dans les espaces publics, n’ont pas intérêt à les réduire à des personnes en rupture de liens sociaux. En effet, avec d’autres chercheurs, nous montrons qu’une personne désocialisée par rapport à certaines sphères sociales est nécessairement resocialisée ailleurs. Même si cela a évidemment des conséquences, en termes de dégradation de la santé et d’accès aux droits.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Le sociologue Edouard Gardella est chargé de recherches au CNRS. Il est corédacteur du prochain rapport annuel 2017 de l’ONPES sur le mal-logement. Avec Daniel Cefaï, il a coécrit L’urgence sociale en action. Ethnographie du SAMU social de Paris (éd. La Découverte, 2011). Il a aussi codirigé, avec Katia Choppin, Les sciences sociales et le sans-abrisme (éd. Presses universitaires de Saint-Etienne, 2013).

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