La pauvreté devrait être à l’ordre du jour de la campagne présidentielle. Autant tenter d’en dire des choses sensées. Ainsi, chaque année, est annoncée une croissance de la pauvreté ou, tout du moins, une accentuation de certaines de ses dimensions. Or la tendance observée depuis les années 1970 est plutôt à une forte baisse puis à une stabilisation du taux de pauvreté. Cette évolution, mesurée sous sa forme monétaire, masque néanmoins de profondes transformations. En un mot, la pauvreté s’est bien davantage transformée qu’elle n’a augmenté. Tour d’horizon de cette thématique en dix points :
1. L’inscription sur l’agenda politique. Si, pendant les Trente glorieuses, la pauvreté ne représentait pas un sujet d’importants débats, celui-ci s’est imposé à partir des années 1980. Certes, les thèmes du « quart monde » ou encore des « sans-logis » avaient déjà émergé, mais ils n’avaient absolument pas la même importance dans le débat public.
2. Une politique publique prioritaire. Alors que la pauvreté n’était pas érigée en risque de sécurité sociale ni en priorité explicite des mécanismes de protection sociale, depuis les années 1990, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion est établie comme une priorité des politiques publiques.
3. Le rajeunissement de la pauvreté. Les pauvres étaient d’abord, pendant les Trente glorieuses, des personnes âgées qui n’avaient pas encore accès à des régimes de retraite performants. A l’inverse, ce sont aujourd’hui d’abord des jeunes et des enfants vivant dans des ménages qui n’ont pas accès à une insertion professionnelle stable.
4. La « monoparentalisation » de la pauvreté. Les familles nombreuses se faisant plus rares et les familles monoparentales étant plus répandues, la pauvreté affecte d’abord des personnes vivant dans les secondes.
5. La féminisation. De cette « monoparentalisation » découle une certaine féminisation de la pauvreté. Les femmes à la tête de foyers monoparentaux ont encore plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail.
6. Le problème des budgets contraints. Si les taux de pauvreté restent relativement constants, l’augmentation du coût de la vie, et singulièrement des coûts du logement, a un puissant impact sur les budgets des plus défavorisés.
7. Davantage de travailleurs pauvres. Les travailleurs pauvres sont, certes, des individus en situation professionnelle précaire, mais la pauvreté se mesurant non pas à l’échelle individuelle mais à celle du ménage, les travailleurs pauvres sont aussi des personnes vivant dans des familles à faibles revenus, même avec des emplois stables.
8. La dépendance accrue aux prestations. Si les taux de pauvreté restent relativement constants, c’est, entre autres raisons, parce que les dépenses sociales en général et les dépenses spécifiques pour remédier à la pauvreté augmentent.
9. L’urbanisation de la pauvreté. Tandis que la pauvreté se stabilisait en moyenne nationale, elle augmentait clairement dans l’agglomération parisienne et dans les autres unités urbaines de plus de 200 000 habitants. Plus que l’urbanisation de la pauvreté, c’est sa concentration urbaine qui est préoccupante avec la problématique des « zones urbaines sensibles », que l’on appelle maintenant « quartiers prioritaires ». Les taux de pauvreté y sont deux à trois fois plus élevés que dans la population générale.
10. Une immigration débattue. Le sujet est actuellement très sensible. Pour illustrer la plus grande part prise par l’immigration dans la pauvreté, on peut signaler qu’au milieu des années 1980, à la création des Restos du cœur, il suffisait de parler français pour se faire comprendre. Dans les années 1990, il a fallu trouver des traducteurs pour des langues de pays issus de l’ex-bloc soviétique. Aujourd’hui, il faut pouvoir se débrouiller avec l’ensemble des langues du monde. La pauvreté, qui pouvait se saisir comme un problème essentiellement national, s’est, dans une certaine mesure, internationalisée.