« En regardant les choses d’un peu loin, on pourrait croire aujourd’hui que l’inclusion des personnes aveugles et amblyopes(1) au sein de notre société est une affaire réglée. Et il est vrai que dans le show-biz, le monde des affaires, la politique même, certaines personnes aveugles ont particulièrement réussi et démontrent ainsi qu’il n’y a pas de fatalité à leur endroit. Pourtant, la réalité du quotidien nous éloigne quelque peu de ces belles réussites.
Aujourd’hui, dans notre pays, plus d’une personne aveugle sur deux se retrouve au chômage. L’étude récente de Bruno Gendron, maître de conférence à l’université d’Orléans, intitulée « Etude sur l’orientation scolaire et professionnelle des jeunes déficients visuels »(2), montre que pour les jeunes déficients visuels, ces difficultés sont liées tout particulièrement au manque de diversité des formations suivies, au faible niveau de formation tant initiale que professionnelle et au décalage avec les exigences actuelles du marché du travail.
La plupart des jeunes déficients visuels ont des capacités cognitives et intellectuelles, mais restent à des niveaux de formation inférieurs au baccalauréat alors que le niveau moyen exigé par les entreprises se situe à bac + 3. Cette difficulté d’accéder aux études supérieures est à mettre en lien avec le fait que, en 2016, à peine 5 % des livres édités sont accessibles, adaptés aux personnes aveugles et amblyopes. Comment s’instruire si l’accès au monde du savoir que représente toujours le livre est à ce point barré ?
L’étude met tout particulièrement en évidence la méconnaissance des professionnels ou acteurs de l’orientation, le peu de prise en compte des potentiels et des compétences réelles des jeunes déficients visuels et les obstacles liés aux présupposés d’accessibilité à certaines formations. L’inaccessibilité des outils d’orientation numériques est un frein majeur dans l’accès à l’information et à la connaissance des métiers ou des dispositifs d’appui et d’aides proposés par l’Etat ou les conseils régionaux. Nous ne comptons plus les sites inaccessibles et les logiciels professionnels non adaptés.
Au fond, ce qui fait malentendu, c’est que la personne aveugle passe aujourd’hui inaperçue. Elle est généralement bien acceptée dans la vie de tous les jours. Son aptitude à converser avec autrui favorise le contact. Mais il faut bien mesurer qu’aujourd’hui tout est image, tout passe par la vision et qu’être privé de ce sens premier de la connaissance du monde pose, pour les personnes concernées, d’énormes difficultés.
Alors les personnes aveugles et amblyopes seront-elles les grands exclus du monde de demain ? Nous ne le pensons pas et toute notre action consiste à faire en sorte qu’il n’en soit pas ainsi. Mais pour relever ce défi, il faudra tout à la fois mobiliser de l’imagination, de la créativité et de la force de persuasion, afin que tous les concitoyens osent nous regarder et puissent considérer que, bien que privés de vue, nous pouvons contribuer à la richesse de la société par les qualités et compétences humaines que nous développons, par l’apport et le développement des innovations qui permettent d’apporter des solutions aux problèmes posés par la déficience visuelle et qui créent des possibilités utiles pour toute la population. Alors, à partir de ce regard lucide, ils imagineront, nous imaginerons ensemble, les solutions pratiques permettant aux nouvelles technologies de nous être accessibles et de faire que cette société inclusive souvent évoquée soit aussi une réalité pour nous.
Tout ce travail est à faire. La Fédération des aveugles et amblyopes de France est à l’œuvre mais ne réussira pas toute seule. Tout au long de l’année 2017, les manifestations liées à son centième anniversaire(3) permettront que notre pleine citoyenneté ne soit plus un vain mot. »
(1) L’amblyopie est une différence d’acuité visuelle entre les yeux, qui ne peut pourtant pas être expliquée par une lésion organique. Ce trouble semble affecter 2 à 5 % de la population.
(2) Réalisée à la demande de la Fédération des aveugles et amblyopes de France – Décembre 2013 – Disponible sur
(3) Le lancement a lieu avec « Les premiers entretiens des aveugles de France » organisés à l’Unesco les 26 et 27 janvier prochain, avec des débats sur les thèmes de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’emploi et de l’accessibilité –