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Petits usagers, grande responsabilité

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Crèches, microcrèches, haltes-garderies, jardins d’enfants… les établissements d’accueil de jeunes enfants sont très divers. Et parmi leurs directeurs, nombre d’EJE qui continuent d’assurer leur première fonction à temps partiel.

Marie-Claude Blanc se souvient : « Avec mon équipe, nous avions créé une passerelle avec une école primaire. Au cours du dernier trimestre, on accompagnait les enfants qui allaient y être scolarisés afin qu’ils se familiarisent avec ce nouvel environnement. Nous participions également à la vie associative de la commune. C’est important que les directeurs aient connaissance des autres institutions médico-sociales pour se renforcer dans leurs compétences et mieux orienter les parents. » Cette EJE de formation a été directrice d’une crèche halte-garderie parentale de la région lyonnaise pendant dix ans, avant de devenir formatrice. Elle a profondément aimé ce travail, qui lui offrait autonomie et diversité des missions.

Une galaxie en expansion

Comme elle, près de 10 000 directeurs exercent dans des crèches collectives, familiales ou parentales, des haltes-garderies, des jardins d’enfants et des microcrèches… Autant de structures (publiques, privées et associatives) qui constituent la galaxie de l’accueil non permanent de jeunes enfants en France. Pour répondre à la diversité des besoins des 2,4 millions d’enfants de moins de 3 ans (Observatoire national de la petite enfance de la CNAF, 2014), le nombre de ces établissements d’accueil du jeune enfant croît, avec une forte tendance au développement soit de grandes structures, soit de microcrèches (dix enfants au maximum). « Il va donc falloir recruter de plus en plus de directeurs d’établissement, pointe Véronique Salvi, ancienne directrice de crèche et coordonnatrice « petite enfance » à la Ville de Paris (500 EAJE). Ce qui n’est pas simple car c’est une fonction pour laquelle les responsabilités sont importantes, qui demande des connaissances, des compétences, de l’empathie. » Dans l’ouvrage Bien-traitance et management dans les lieux d’accueil (éd. Belin, 2016), la psychologue clinicienne Sophie Baget rappelle : « Le responsable d’établissement est le réceptacle, d’une part, de nombreuses consignes et attentes qui génèrent de la pression de la part de son administration, des politiques, des parents et, d’autre part, de multiples angoisses circulant dans ce collectif : l’accueil de très jeunes enfants avec leur dynamique psycho-affective particulière (dépendance, modalités pulsionnelles, émotionnelles et d’expression primaire archaïque), de jeunes parents en construction et vivant une première séparation, et de professionnelles travaillant grâce à leurs capacités identificatoires aux enfants. »

C’est aussi un métier où, quand on travaille dans une petite ou moyenne structure, on est susceptible d’être « schizophrène » : beaucoup ne sont directeurs qu’à temps partiel et continuent d’exercer des fonctions d’EJE ou d’infirmière puéricultrice. « D’une structure à une autre, le temps de travail ne sera pas le même, confirme Gwendaël Lefèvre, responsable recrutement pour les crèches People & Baby et ancienne directrice de halte-garderie. Si les fonctions tournent dans tous les cas autour de quatre grands axes (la relation avec les parents, l’accueil des enfants, l’encadrement d’une équipe pluridisciplinaire et la gestion administrative, logistique et financière de la structure), la directrice va changer de casquette au fil de la journée. Sachant qu’en plus de ce large spectre de responsabilités, elle doit aussi gérer les impondérables : une professionnelle malade, un parent qui a besoin d’une garde non programmée, une machine à laver qui tombe en panne… » « On n’est pas tout à fait directeur d’une crèche comme on peut l’être d’un EHPAD ou d’une MECS, souligne quant à elle Marie-Laure Bonnabesse, responsable de la filière des EJE à l’IFTS d’Echirolles (Isère) et coauteure de l’ouvrage Projet d’établissement et accueil de jeunes enfants (éd. ASH, 2016). Bien qu’il y ait en commun les notions de “travail d’équipe”, de “prendre soin des usagers” et de “défense des valeurs”, d’autres points, notamment dans l’organisationnel et le relationnel, sont spécifiques à cette fonction. Il y a, par exemple, des règles très précises sur les présences des professionnels auprès des enfants puisqu’il ne peut jamais manquer quelqu’un. On ne peut pas non plus laisser un groupe d’enfants un seul instant sans attention. Comme on se situe dans le cadre de la coéducation, le travail avec les familles est aussi très important. »

Un métier devenu plus complexe et exigeant

Marie-Claude Blanc confirme : « Les parents sont de plus en plus exigeants depuis qu’on est passé d’un mode de garde à un mode d’accueil. » Puis ajoute que le métier de direction s’est complexifié ces dernières années, avec l’accueil d’enfants qui peuvent être porteurs de maladies chroniques ou de handicaps et qui nécessitent des protocoles d’accueil particuliers. C’est le cas à la halte-garderie Les Pitchounes, à Cambrai (Nord), qui reçoit régulièrement des enfants handicapés(1). Il est dirigé depuis avril 2016 par Virginie Petit, qui était précédemment adjointe de la structure, après avoir exercé pendant douze ans en tant qu’infirmière puéricultrice à l’hôpital. « Mon expérience en pédiatrie me sert beaucoup pour mon travail en crèche, même si, en tant que manager, je passe une bonne partie de mon temps à faire de l’administratif. Bien que je sois à temps plein sur mes fonctions de direction, dès que j’ai fini la paperasse, j’aide mes collaboratrices sur le terrain ! »

Toutes ces contraintes n’ont pas fait peur à Ericka Cruz. A 28 ans, la directrice de la crèche Le Ballon rouge – un multi-accueil de 64 berceaux dans le XXe arrondissement de Paris – a déjà plusieurs années d’expérience derrière elle. « J’ai suivi des études d’EJE en apprentissage dans une structure de la Fondation œuvre de la Croix Saint-Simon et, à l’issue de ma formation, la direction du pôle “enfance” m’a proposé de rester. » Elle intègre alors une crèche de 59 berceaux où elle prend régulièrement le relais de la directrice : « J’animais les réunions d’équipe, faisais les plannings, m’occupais de la comptabilité. » Un an plus tard, la fondation lui propose un poste d’adjointe de direction dans une structure de 100 berceaux avec 37 salariés. « Ça ne faisait qu’un an que j’étais EJE diplômée. Je préférais attendre pour avoir plus de bagage… Mais ça s’est précipité quand la directrice est partie en congé maternité. J’ai pris la direction de la crèche par intérim. » Une responsabilité qu’elle obtient par dérogation accordée par la PMI puisqu’un poste de direction pour un EAJE de plus de 20 places requiert, pour le moment, au minimum trois années d’expérience en tant qu’EJE. Ericka Cruz se retrouve à gérer des responsabilités importantes, l’établissement devant fermer ses portes pendant un an pour travaux. « Il a fallu que j’organise le déménagement, que je trouve des places pour les enfants dans les structures du quartier… », se souvient-elle. Quand la directrice revient, on lui propose d’intégrer la crèche Le Ballon rouge, avec pour directrice adjointe une infirmière puéricultrice. « Pour me parfaire, j’ai entamé en 2014 un Caferuis en formation continue. Certes, dans les études d’EJE, j’avais acquis de nombreuses compétences, mais j’ai pu approfondir les notions de “management”, de “montage de projet” et de “diagnostic territorial” car, au Ballon rouge, on sollicite régulièrement la PMI, le CAMSP, l’AEMO… » Elle commence à présent un master 2 de Management des organisations sanitaires et sociales.

Un poste à responsabilités très précoces

Ericka Cruz sortait à peine des études quand elle a pris des responsabilités. Une tendance qui risque de s’amplifier avec la réforme des diplômes en cours, qui ferait monter le DEEJE au niveau II et en l’adossant à une licence professionnelle de responsable des services d’accueil petite enfance. Ce qui ne va pas sans poser de problèmes.

Aujourd’hui coprésidente de la FNEJE, Julie Marty-Pichon a pris un poste de direction dès l’obtention de son diplôme d’EJE. « C’était pour l’ouverture d’une microcrèche en Ariège où ils avaient du mal à recruter. C’est quelque chose auquel j’aspirais, contrairement à beaucoup de mes collègues de promo, qui préféraient être sur le terrain auprès des enfants sans avoir ce type de responsabilités. » Selon elle, la formation d’EJE la préparait « à la relation en équipe, puisqu’on y apprend à mettre en œuvre un projet pédagogique ». Mais il manquait clairement d’autres aspects, comme la contractualisation avec les familles, la gestion administrative et financière, la prestation de service unique appliquée au projet d’établissement… « Si, personnellement, je n’ai pas rencontré de grandes difficultés, c’est que mon parcours individuel – j’avais été présidente d’une grosse association – m’avait permis d’acquérir des bases solides. »

Aussi la FNEJE estime-t-elle que passer le diplôme d’EJE au niveau II est une grande avancée, mais n’a pas que des avantages. « Cette réforme risque d’éloigner les EJE de la fonction éducative au quotidien. » Pour la fédération, la fonction de direction « doit plutôt devenir un complément de formation obligatoire pour tout professionnel prétendant à ce type de poste ». Acha de Laure, directrice en charge des 76 crèches départementales du Val-de-Marne, se pose aussi des questions : « Comment des directrices qui sont de catégorie A vont-elles chapeauter des EJE de terrain également de catégorie A ? Pourra-t-on encore embaucher des EJE non-directrices dans les établissements ? Et comment les collectivités territoriales en charge des crèches pourront-elles absorber cette nouvelle charge, qui vient augmenter les coûts de fonctionnement déjà élevés des EAJE, alors que le manque de structures se fait cruellement sentir dans certains territoires ? »

Un questionnaire insolite

« J’ai toujours su qu’une équipe écoutée et participative serait une équipe motivée », affirme Chantal Lancteau-Michel, directrice d’une crèche collective parisienne (100 berceaux) où elle revendique un management bientraitant. Son adjointe et elle ont mis au point un questionnaire destiné aux 28 professionnelles avec pour objectif d’améliorer leur management(1). A la question « Qu’attendez-vous du management des directrices de crèches ? », les salariées évoquent un cadre sécurisant et une application du règlement équitable et juste. Elles demandent à être associées à l’écriture du projet d’établissement, l’objectif étant de fédérer l’équipe autour d’un projet commun. Concernant plus précisément le rôle de leur directrice, les réponses, anonymes, montrent qu’elles souhaitent que celle-ci « trouve des solutions, prenne des décisions et les assume ». Elles apprécient le type de management de Chantal Lancteau-Michel, soulignant qu’il leur permet de rester créatives, de faire des propositions qui sont écoutées et de créer une ambiance de travail sereine. Elles lui reprochent néanmoins ses manifestations de stress « liées au non-remplacement d’agents en cours d’année, à la surcharge de travail, due entre autres au sureffectif des enfants ainsi qu’aux consignes administratives multiples et complexes ». Elles ressentent et reconnaissent la charge de la gestion d’un établissement important.

Plaidoyer pour la petite enfance

« La politique Petite enfance est abordée trop souvent comme un service à la population qui irait de soi, un lieu de consommation, même ! Il suffirait donc de construire un bâtiment et d’y placer des diplômés en puériculture et la vie suivrait son cours ? Les professionnels y sont encore trop souvent considérés comme des “nounous” qui passent du bon temps avec les enfants ou réalisent des missions prosaïques : nourrir, changer, “faire joujou” », s’insurge Jérôme Bonnemaison, ancien directeur de la petite enfance à la mairie de Toulouse et auteur du plaidoyer La petite enfance dans la cour des grands (éd. Dunod, 2016). Aux ASH, il rappelle que les structures d’accueil sont, au contraire, des lieux de solidarité et de lien social derrière lesquels se cachent d’énormes enjeux : elles jouent un rôle important dans l’éducation, dans la construction des identités parentales et dans une économie où les femmes aspirent à concilier emploi et vie familiale. Il salue les directeurs, dont il juge « les tâches à la fois gratifiantes et usantes ». Et les invite à se poser des questions au-delà de la gestion « au fil de l’eau » de leur établissement. Il préconise davantage de formations « autour de la communication avec les parents, de la question de l’égalité fille-garçon », et surtout les encourage à prendre leur temps pour rédiger le projet d’établissement, qu’il juge « souvent bâclé, empreint de formalisme et pas assez d’objectifs ». « Ce qui est dommage est qu’avant l’ouverture d’une nouvelle crèche, on presse le directeur pour qu’il finalise ce document, alors que celui-ci devrait être une émanation de l’équipe et dépendre du public accueilli, de l’architecture du lieu, etc., explique Jérôme Bonnemaison. Un projet ne doit pas être neutre, il doit soulever des problématiques qui définissent les particularités de la structure. Concevoir un projet, cela s’apprend. »

Lexique

• AEMO. Action éducative en milieu ouvert

• Caferuis. Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale

• CAMSP. Centre d’action médico-sociale précoce

• CNAF. Caisse nationale des allocations familiales

• EAJE. Etablissement d’accueil du jeune enfant

• EJE. Educateur de jeunes enfants

• EHPAD. Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

• DEEJE. Diplôme d’Etat d’éducateur de jeunes enfants

• FNEJE. Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants

• IFTS. Institut de formation de travailleurs sociaux

• MECS. Maison d’enfants à caractère social

• PJJ. Protection judiciaire de la jeunesse

Notes

(1) Voir le reportage « Tous les enfants sous bonne garde » dans les ASH n° 2909 du 8-05-15, p. 16.

(1) Bien-traitance et management dans les lieux d’accueil (éd. Belin, 2016).

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