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Menace terroriste : sécuriser sans se précipiter

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Poussés par le plan Vigipirate, complété par des guides et une circulaire publiés l’été dernier, les établissements et services sécurisent leurs sites et forment leurs salariés. Un exercice délicat à aborder avec prudence, pour éviter de fragiliser davantage les publics accueillis.

Plus d’électricité, interdiction de sortir et obligation de cacher rapidement les enfants. Voilà la situation à laquelle s’est trouvée confrontée l’équipe d’une crèche associative située près de la porte de Vincennes, à Paris, le 9 janvier 2015. A quelques pas de là, dans un quartier bouclé, les forces de l’ordre s’apprêtaient à donner l’assaut contre le preneur d’otages de la supérette Hyper Cacher. « Les professionnels ont agi au mieux, compte tenu de l’urgence, raconte Philippe Dupuy, délégué national de l’ACEPP (Association des collectifs enfants parents professionnels). Mais avec le recul, l’équipe a regretté que la conduite à tenir face à ce type d’événement n’ait jamais été envisagée. » Rien d’étonnant, tant la situation était alors inédite. Depuis, la survenue d’une attaque ou d’un acte terroriste visant ou touchant une structure sociale ou médico-sociale a cessé d’apparaître comme une vue de l’esprit. Deux guides de bonnes pratiques ont ainsi été diffusés en juin dernier par le ministère des Affaires sociales(1) et, le 17 août, une circulaire de la direction générale de la cohésion sociale(2) a rappelé aux gestionnaires d’EAJE ou d’établissements de la protection de l’enfance leurs « responsabilités dans la préparation aux situations d’urgence particulières pouvant toucher leur sécurité ». Principales consignes : élaborer et afficher un protocole écrit de mise en sûreté, déterminer les moyens de protection en cas d’évacuation ou de mise à l’abri, former les personnels et réaliser au moins un exercice par an.

Des réactions très diverses selon les contextes

Six mois plus tard, l’application de la circulaire demeure très hétérogène. Dans cette MECS du sud de la France, le sujet a été abordé en comité de direction. « Mais pour l’instant, nous n’avons rien fait, reconnaît la directrice. Bien sûr, nous fermons les grilles et les visiteurs doivent s’annoncer. Mais l’établissement est situé dans un château, avec un parc de deux hectares… Une sécurisation totale semble difficile et très coûteuse. Et puis, en milieu rural, nous ne nous sentons pas vraiment menacés. » A la Sauvegarde de Seine-Saint-Denis non plus, la publication de la circulaire n’a pas entraîné de branle-bas de combat, mais pour des raisons exactement inverses : « Ici, nous sommes constamment confrontés à des tensions, décrit Xavier Bombard, le directeur général. Donc les consignes de sécurité sont permanentes, et ont été accentuées avec le plan Vigipirate. La circulaire nous a juste donné l’occasion d’une piqûre de rappel. »

A Lyon, en revanche, Fawzi Benarbia a diffusé un protocole dès l’été aux 14 EAJE de la Mutualité française du Rhône : « Il fallait que les équipes reçoivent des directives claires et précises, mais aussi qu’elles disposent d’une représentation réaliste du risque, affirme le responsable de la filière « petite enfance ». La menace terroriste existe. Mais dans nos établissements, le risque d’intrusion relève plutôt de la malveillance – on nous vole des poussettes ! – ou du conflit avec un usager. » Là aussi, les règles de sécurité préexistantes ont été rappelées, notamment aux parents, et les services de police sont venus s’assurer de l’état des locaux. Le plus gros travail a porté sur le confinement. « Certaines crèches situées dans le périmètre d’un plan de prévention des risques industriels savaient déjà comment se calfeutrer, explique Fawzi Benarbia. Là, il s’agit de regrouper tous les enfants dans un lieu sûr et de les faire patienter ensemble, calmement et silencieusement. Ce n’est pas simple ! » Faut-il poser un verrou à la porte du dortoir, au risque que des enfants puissent s’y enfermer tout seuls ? Préférer les talkies-walkies aux téléphones sans fil habituels ? Et comment donner instantanément l’alerte à tous les collègues sans signaler sa présence ?

Au-delà des choix techniques, la mise en œuvre des mesures de protection pose des difficultés de fond. « Depuis la loi 2002-2, les établissements ont beaucoup travaillé sur leur ouverture ; les exigences accrues de sécurisation vont contraindre les structures à trouver un nouvel équilibre », souligne notamment Samia Darani, conseillère technique « enfance, famille, jeunesse » à l’Uniopss (Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux). Pour Marie Martin, attachée aux affaires générales du CDEF (Centre départemental enfants et familles) de Seine-Saint-Denis, le profil des publics accueillis appelle à une grande prudence : « En protection de l’enfance, notre mission consiste à stabiliser des enfants dans un milieu protégé, rappelle-t-elle. Formuler une hypothèse d’insécurité peut réactiver des angoisses terribles. » Elle sait de quoi elle parle : le 18 novembre 2015, les adolescents hébergés dans l’une des MECS du CDEF, à Saint-Denis, ont été réveillés par l’assaut donné contre l’appartement dans lequel s’étaient retranchés les tueurs des terrasses, situé dans une rue proche. « Ils ont entendu des tirs, cela a duré longtemps, ils ont été très marqués. Il a fallu faire intervenir un psychologue. »

Du temps pour se préparer

Au CDEF, le parti a donc été pris de mettre immédiatement en place les dispositifs techniques de sécurisation, mais de se laisser le temps de la réflexion sur le volet éducatif. « Il faut être très prudent. Nous commencerons sans doute par un exercice test dans une structure, et nous en tirerons le bilan avant d’en organiser d’autres », annonce Marie Martin, qui espère pouvoir s’appuyer sur le retour d’expérience de l’Education nationale. Des précautions qu’approuve Philippe Dupuy, le délégué national de l’ACEPP : « Le risque d’intrusion ou d’attaque violente ne doit pas être minimisé, et les professionnels doivent s’y préparer, conclut-il. Pour que ces pratiques deviennent vraiment opérationnelles, il faut bannir la précipitation et éviter d’imposer des normes toutes faites. On peut faire confiance aux équipes : la sécurité des publics fait partie des fondamentaux de nos métiers. »

Les ESSMS acteurs de la sécurité civile

La circulaire interministérielle du 17 août dernier ne vise explicitement que les EAJE et les structures de la protection de l’enfance, mais les mesures à prendre s’inscrivent dans le cadre juridique de la protection civile. L’article L. 721-1 du code de la sécurité intérieure dispose en effet que « toute personne concourt par son comportement à la sécurité civile. En fonction des situations auxquelles elle est confrontée et dans la mesure de ses possibilités, elle veille à prévenir les services de secours et à prendre les premières dispositions nécessaires ». Les obligations ainsi instituées sont donc opposables à toutes les catégories d’ESSMS.

Témoignage : Camille Colnat directeur qualité et gestion du risque du Groupe Saint-Sauveur, à Mulhouse (Haut-Rhin)

« Au sein du Groupe Saint-Sauveur, voilà un an que nous œuvrons sur le risque d’attentat. En septembre dernier, une journée de sensibilisation avec un ancien commandant du GIGN [Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale] a rassemblé les cadres des 15 structures (enfance, santé, handicap et seniors), afin qu’ils prennent conscience de la réalité de ce risque et de ses impacts. Penser le risque « intrusion » oblige à envisager des événements que l’on préfère occulter. Mais les professionnels sont assez satisfaits que l’employeur s’en préoccupe. Notamment parce que cela permet de mettre sur la table des points d’organisation qui n’ont pas été traités jusqu’alors. Ainsi, les professionnels de nuit ont indiqué qu’ils ne sont pas rassurés lorsqu’ils doivent réceptionner des livraisons à l’aube. Autre exemple, certaines familles ont pris par commodité l’habitude d’emprunter l’ascenseur de service, en dépit du risque « hygiène », et ignorent les affichages. Les équipes sont donc plutôt aidantes. Mais la démarche doit être portée par les directeurs d’établissement, car en cas d’incident leur responsabilité pourrait être engagée. A cet effet, tous nos directeurs viennent d’ailleurs d’assister à une formation sur le risque pénal, avec des simulations d’interrogatoires. Un audit de sûreté sera également réalisé pour chaque établissement, avec la gendarmerie et la police, en présence du directeur, du responsable de l’hébergement et des membres du CHSCT [comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail], qui peuvent relayer les messages importants auprès de leurs collègues. L’ensemble des salariés sera formé sur la menace terroriste, les gestes de survie ou l’attitude à adopter. Toutes ces mesures ont un coût. Les autorités de tarification ne nous attribuent pas d’enveloppe spécifique. Il va nous falloir intégrer ces audits et ces travaux dans notre dialogue de gestion. Des solutions ont bien été trouvées pour financer les travaux préconisés par la commission de sécurité des ERP [établissements recevant du public]. »

Notes

(1) « Vigilance attentats : les bons réflexes », guide à destination des personnels des ESSMS, et guide à destination des équipes de direction, à télécharger sur www.gouvernement.fr.

(2) Circulaire DGCS/SD2C/2016/261 du 17 août 2016.

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