A la suite de l’appel à candidatures lancé en septembre 2015, 53 structures disposant d’une expertise dans l’accompagnement budgétaire – centres communaux d’action sociale (CCAS), unions départementales des associations familiales (UDAF), associations spécialisées, sans oublier des services d’accompagnement mis en place par des institutions bancaires pour leurs clients fragiles – expérimentent les « points conseil budget » (PCB) dans quatre régions : les Hauts-de-France, le Grand-Est, l’Ile-de-France et la Nouvelle-Aquitaine(1). Un dispositif lancé en février 2016(2) dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale afin de prévenir le surendettement et dont la généralisation a été annoncée par le Premier ministre en avril 2016.
Objectif de ce nouveau service, selon François Soulage, président du comité de suivi de l’expérimentation pilotée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) en lien avec la direction générale du Trésor et la Banque de France : non « pas créer un nouveau réseau mais partir de l’existant avec l’idée de permettre aux acteurs déjà engagés dans la lutte contre le malendettement et le surendettement d’élargir leur action et de se coordonner ». Pour ce faire, une architecture à deux étages a été retenue : les PCB 1 (47 structures), dits « de proximité », sont des lieux ouverts à tous, qui apportent des conseils aux personnes cherchant de l’information sur la gestion de leur budget. Ils facilitent l’accès aux aides de droit commun – un levier essentiel dans la tentative de rééquilibrage du budget – et peuvent également accompagner les ménages dans le cadre de procédures de surendettement. Quand les cas sont trop complexes, ils doivent être transmis aux PCB 2 (quatre structures), dits « experts ». Ce sont des plateformes téléphoniques fonctionnant sans accueil physique spécialisées dans l’intervention auprès des créanciers. Deux structures sont labellisées PCB 1 et PCB 2.
Plusieurs mois après le démarrage de l’expérimentation – depuis le printemps pour certaines structures, voire seulement depuis l’automne pour d’autres – et alors que l’évaluation menée par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) est attendue pour la fin du mois, les acteurs de terrain dressent un bilan nuancé du dispositif. Certes, le label « point conseil budget » a valorisé leur action. « Dans le Nord, fortement touché par le chômage, le surendettement pèse lourd. Le centre communal d’action sociale a toujours été très actif sur cette question en faisant intervenir pas moins de sept conseillers en économie sociale familiale [ESF]. Il était temps que l’Etat reconnaisse l’ampleur du problème et l’engagement des acteurs locaux », se félicite Nadège Dewilde, conseillère en économie sociale familiale au CCAS de Lomme (Nord) (PCB 1). Même constat à l’autre bout de la France : « Nous sommes très actifs sur la question du surendettement depuis une petite dizaine d’années et nous avions notamment ouvert un service de microcrédit. Avec ce label, nous pouvons faire connaître cet engagement et le degré de qualification de nos conseillers en ESF qui se forment régulièrement aux nouvelles règles bancaires », témoigne Marie-Agnès Genelot, chef de service « référent insertion » au CCAS de Montpellier (PCB 1). « Cette expérience, ajoute Olivier Herlemont, directeur de l’UDAF du Nord, nous permet de montrer que l’accompagnement budgétaire n’est pas une intervention de second ordre, mais, au contraire, aide à résoudre d’autres problèmes, comme celui du logement. »
Le fait d’être labellisé par l’Etat a incontestablement permis aux opérateurs de « voir des portes s’ouvrir » et leur carnet d’adresses « s’étoffer ». Ils ont créé ou renforcé des liens avec des institutions comme les caisses d’allocations familiales ou le Trésor public et avec certains créanciers « qui, auparavant, n’acceptaient pas l’intervention d’un tiers dans leur dialogue avec un client en difficulté », se réjouit Christine Vacher, conseillère en ESF au CCAS de Tournefeuille (Haute-Garonne) (PCB 1). Certains créanciers sont même plus attentifs aux clients en difficulté et les orientent vers les points conseil budget, affirme Jean-Baptiste Delaforge, chef de projet « prévention surendettement » au Crédit municipal de Paris (PCB 1 et PCB 2). Ces relations plus fluides entre les acteurs facilitent la mise en place de plans d’apurement de la dette, évitant ainsi l’aggravation de la situation du débiteur. Sans compter le développement de nouveaux partenariats avec des fournisseurs d’énergie et des associations de consommateurs qui peuvent donner lieu à l’organisation d’ateliers collectifs sur la prévention du surendettement pour les publics accueillis dans les PCB. Certains opérateurs en profitent pour communiquer sur le sujet, encore tabou, de l’argent et de l’endettement. « Le label nous a permis de démarcher certaines entreprises, des services sociaux de la fonction publique territoriale ou encore des structures s’adressant aux retraités et de passer le message que le conseil budgétaire existe et est ouvert à tous », raconte Marie-Agnès Genelot du CCAS de Montpellier. Un message d’autant plus facile à faire passer que l’appellation « point conseil budget » a l’intérêt d’être sobre et non stigmatisante, « ce qui permet de toucher un public large, qui n’est pas forcément en grande difficulté financière et de faire de la prévention », ajoute Olivier Herlemont.
« En devenant PCB 1, notre activité d’accompagnement des personnes en difficulté budgétaire n’a pas été radicalement transformée. En revanche, nous disposons de nouveaux partenaires et de nouveaux outils qui facilitent la recherche de solutions », explique Christine Vandenbulcke, vice-présidente du CCAS de Lomme. En effet, l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA), opérateur technique de l’expérience, a élaboré une série de documents à l’intention des acteurs : lettres types de résiliation d’abonnement ou de demande d’échéancier, grille d’analyse de budget (pour calculer le reste à vivre et les capacités de remboursement), charte d’engagement à faire signer au bénéficiaire du service. Elle a également mis en place un forum en ligne permettant l’échange de bonnes pratiques entre les opérateurs. Un ensemble d’outils destinés à fournir le même niveau de connaissances budgétaires et bancaires aux structures labellisées qui ont chacune leur organisation et leurs pratiques propres, explique Caroline Allard, responsable de projet à l’ANSA.
Autre point positif de l’expérience : même si l’appel à candidatures coordonné par la direction générale de la cohésion sociale comportait un cahier des charges, celui-ci a laissé une grande souplesse aux équipes pour organiser les nouveaux services et décider des conditions d’accueil. C’est ainsi que le CCAS d’Agde (Hérault) a ouvert son PCB à la maison de la justice et du droit de la ville – et non pas dans ses locaux –, afin de « lever le frein de la stigmatisation » et de faciliter l’établissement d’une relation de confiance, souligne Stéphanie Barrau, conseillère en économie sociale familiale. Elle explique notamment être très souple dans l’organisation de ses rendez-vous, afin de pouvoir recevoir les personnes en emploi précaire et les travailleurs pauvres, des publics cibles de la lutte contre le surendettement. A Montpellier, le CCAS a ouvert une ligne téléphonique dédiée à l’activité du PCB 1, bien distincte du standard, afin de toucher une population plus large. « 80 % des appels donnent lieu à un rendez-vous en face à face, souligne Marie-Agnès Genelot, qui se félicite de voir arriver des publics jusque-là inconnus du CCAS. Ce sont des personnes qui se renseignent beaucoup mais qui ne souhaitent pas toujours être accompagnées, ce qui nous demande d’acquérir de nouveaux réflexes. »
Quant à l’UDAF de Seine-Saint-Denis, elle a fait le choix de n’ouvrir son PCB qu’en septembre 2016, « une fois que nous nous étions organisés avec les autres acteurs de la lutte contre le surendettement de notre territoire et que nous nous étions entendus sur les critères d’orientation des personnes afin d’être complémentaires », précise Mauricette Sorin, sa directrice.
La souplesse laissée au dispositif a permis aussi aux acteurs de développer la méthode de travail qui leur semblait la plus adaptée, à savoir l’accompagnement renforcé. « Le premier rendez-vous est très long, d’une durée d’environ 1 h 30 », détaille Jessica Meslard, responsable des sites du point information médiation multiservices (PIMMS) d’Artois-Gohelle (Pas-de-Calais) (PCB 1). « C’est un choix fait en connaissance de cause même si notre équipe est déjà très sollicitée par toutes sortes de demandes et que le PCB n’est qu’une de nos activités parmi d’autres. Il est en effet impossible de parler d’argent sans prendre son temps. Mettre à plat l’état de ses finances, c’est se mettre à nu, exposer peut-être des addictions, des choix de vie, une histoire familiale », justifie-t-elle. « Si nous n’avons pas toutes les données pour rétablir le budget, le travail est faussé », confirme Geneviève Robin, directrice du CCAS de Reims (PCB 1). Le PIMMS d’Artois-Gohelle propose aux personnes un parcours d’une dizaine de rendez-vous pour aller au-delà de la seule résolution du surendettement. « On ne lâche pas le public ! On procède à l’ouverture de droits afin de stabiliser durablement la situation et on propose aux personnes des ateliers collectifs, par exemple sur la consommation d’énergie, afin de déclencher de nouveaux réflexes », précise Jessica Meslard. L’accompagnement renforcé vise aussi à éviter une procédure de surendettement auprès de la Banque de France, lourde de conséquences pour le foyer concerné. Une procédure qui s’est banalisée, regrette Jessica Meslard, expliquant recevoir des foyers « qui envisagent de déposer un second, parfois un troisième dossier de surendettement ! ».
S’ils sont donc mobilisés et engagés dans l’expérimentation des points conseil bubget, les opérateurs émettent toutefois plusieurs réserves, notamment sur le financement de ces nouveaux services. En effet, l’Etat n’a pas alloué de moyens spécifiques et les acteurs sont obligés de puiser sur leurs fonds propres – certains ont dû procéder à des recrutements – dans un contexte de restrictions budgétaires. Seules les plateformes téléphoniques labellisées PCB 2 sont financées par les créanciers lorsque ceux-ci font appel à leurs services. « Si nous avons bien accueilli le dispositif, très vite, nous avons identifié des points d’alerte, précise Benoît Calmels, délégué général de l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas). Mettre en place un PCB engendre des coûts, ne serait-ce qu’en temps de travail mobilisé. Avec la généralisation du dispositif, toutes les structures potentiellement concernées ne pourront pas suivre, avec, à la clé, un risque d’inégalité territoriale dans l’accès au dispositif. » Chargé de mission au pôle « économie, consommation et emploi » à l’UNAF, Fabien Tocqué va dans le même sens. Selon lui, le dispositif n’est pas généralisable en l’état et doit être remodelé. « L’UNAF s’est pleinement engagée dans l’expérimentation, avec 15 de ses antennes labellisées », souligne-t-il. Et de réclamer des moyens financiers pour les PCB, qui, « pour certains, tournent déjà à plein régime ». Au PIMMS de Valenciennes (Nord), l’accompagnement bancaire représente ainsi une part importante de l’activité, « alors même que nous avons encore peu communiqué sur l’ouverture du service », s’alarme son directeur Sébastien Morel. Fabien Tocqué ne cache pas son amertume : « On sait qu’aujourd’hui seule la moitié des 800 000 personnes qui sont engagées dans un plan de surendettement sont accompagnées, ce qui entraîne un nombre important d’entre elles à redéposer ensuite un nouveau dossier. Il y a des besoins, et en face, des compétences. Il manque les moyens de l’Etat pour faire plus ! »
D’autres interrogations concernent le rôle des PCB 2, chargés de traiter les dossiers les plus complexes et de faire de la médiation avec les créanciers. Comment s’assurer de la bonne orientation des dossiers entre PCB 1 et PCB 2 ? Quelles règles appliquer dans la transmission des informations entre les intervenants sociaux et les créanciers ? Une plateforme téléphonique est-elle réellement le bon outil pour démêler des cas complexes ? « Il n’est pas évident de transmettre le dossier d’un PCB 1 à un PCB 2 », relève Stéphanie Barrau. On a envie de suivre les personnes jusqu’à la résolution de leurs difficultés et même au-delà pour s’assurer d’un retour à un équilibre durable. » Plusieurs équipes de PCB 1 expliquent d’ailleurs qu’elles font déjà de la médiation bancaire. Eliane Marroc, présidente de France ESF, regrette cette architecture à deux niveaux, « qui n’était pas souhaitée par les acteurs de terrain, membres du groupe de travail partenarial ». Selon elle, « on a reproduit ce dont on ne veut plus dans le travail social, à savoir saucissonner les parcours ». Elle déplore en outre que les PCB 2 n’effectuent pas d’accueil physique. Un avis toutefois nuancé par Jean-Louis Kiehl, président de la fédération française des associations Crésus, dont la plateforme téléphonique a été labellisée PCB 2 : « Sans travail en face à face, nous obtenons de très bons résultats. Nous avons étudié le parcours des personnes suivies et, après huit ans, 97 % d’entre elles sont à jour de leurs dettes et le taux de re-dépôt d’un dossier est de moins de 1 %. » Reste maintenant à connaître les résultats de l’évaluation de l’expérimentation confiée à l’IGAS en vue de sa généralisation, dont le rapport est attendu prochainement. Une évaluation qui apparaît beaucoup trop précoce à de nombreux acteurs de terrain…
Les acteurs des points conseil budget (PCB) ont accès à une offre de formation, déjà existante ou en cours d’élaboration, dispensée, notamment, par France ESF, l’association Finances & pédagogie (créée par les Caisses d’épargne) et la Banque de France.
L’association Finances & pédagogie réfléchit à la mise en place « d’actions locales de formation, spécialement adaptées à l’activité des PCB, mêlant les personnels des différentes structures afin de favoriser les échanges, souligne Patrice Cros, son directeur. A la demande des PCB, nous pouvons également intervenir directement auprès de leur public afin de les sensibiliser aux questions d’argent. »
La Banque de France, qui forme déjà de nombreux travailleurs sociaux sur la procédure de surendettement, envisage des formations gratuites des opérateurs des PCB, par le biais de ses succursales, précise Stéphane Tourte, son directeur. Elle pilote le projet de stratégie nationale que souhaite mettre en place le gouvernement sur l’éducation financière, qui vise notamment à « accompagner les publics en situation de fragilité budgétaire », en lien avec les 53 PCB(1). La Banque de France devrait ainsi ouvrir prochainement un portail, intitulé « mes questions d’argent », accessible au grand public comme aux professionnels, qui renverra notamment vers les PCB.
Les points conseil budget (PCB) s’appuient sur les expériences très diverses des acteurs déjà engagés dans la lutte contre le malendettement et/ou le surendettement. Comme l’observe, en 2013, l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA), dans son enquête « La préfiguration des points conseil budget. Etat des lieux des dispositifs »(1), les dispositifs « s’étant développés sous l’impulsion d’initiatives locales », il n’y a pas « de réponse généralisée à l’ensemble du territoire ». On trouve ainsi, au nombre des acteurs déjà engagés, des services sociaux (conseils communaux d’action sociale, conseils départementaux, caisses d’allocations familiales) qui, confrontés à une forte hausse des demandes d’aides, ont développé une action autour de l’accompagnement budgétaire, des associations spécialisées sur la question financière ou plus généralistes comme la fédération des associations Crésus (chambres régionales du surendettement social) et les unions départementales des associations familiales (UDAF). On compte, enfin, des banques (Crédit agricole, Caisse d’épargne…), qui ont mis en place un service spécifique, interne ou externalisé, pour leurs clients en difficulté, allant au-delà du traditionnel conseil bancaire. Divers par nature, les acteurs sont également divers dans leur organisation, leurs intervenants (professionnels et/ou bénévoles), les services proposés, les publics accueillis, comme les conditions d’accueil : certains services sont ouverts à tous, d’autres, comme les banques, s’adressent en priorité à leurs clients. Face à une telle diversité, le dispositif des PCB vise à apporter un service de même qualité au plus grand nombre sur l’ensemble du territoire.
(1) Un annuaire des PCB est consultable sur
(1) Réalisée à la demande de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – Disponible sur