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Solidarité bien ordonnée

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Alors que les migrations forcées occupent le devant de la scène, le SAMU social a décidé de recourir à la solidarité des Franciliens pour compléter son dispositif d’hébergement. Avec « Elan », il propose aux réfugiés des accueils en famille avec un accompagnement psycho-socio-professionnel renforcé.

« Quand je vois ce qui se passe, j’ai un peu honte de mon pays », résume Nathalie M. Assise dans son agréable salon, cette médecin, retraitée depuis peu, ne réfléchit pas longuement avant de formuler les raisons qui motivent son souhait d’accueillir chez elle une personne réfugiée. « Je me sens aussi un peu coupable de voir ce qui se passe dans l’actualité alors que moi je vis dans le confort. » Nathalie accueille ce matin-là Fouleye Gandega, assistante de service social, et Hamid Hannaoui, psychologue. Tous deux sont venus réaliser un entretien et visiter le logement que cette jeune grand-mère est prête à partager dans le cadre du dispositif « Elan », un programme d’hébergement citoyen mis en œuvre par le SAMU social en région parisienne(1). Les murs sont tapissés de livres, le duplex offre une chambre claire et une salle de bains à partager, la terrasse s’annonce accueillante pour l’été. Et, surtout, l’appartement est en proche banlieue, très accessible en transports en commun, un atout non négligeable pour des démarches d’insertion.

« Elan » a été créé par Nadège Letellier, psychologue de formation, qui travaille depuis onze ans au SAMU social et est détachée depuis début 2016 sur ce projet(2). « Depuis 2015, une vague de solidarité s’est constituée en France pour venir en aide aux migrants, résume-t-elle. Les propositions d’hébergement en famille se sont multipliées, mais en termes de qualité, les offres étaient extrêmement variables. » Afin de découvrir les initiatives existantes, le SAMU social se rapproche de Singa, une plateforme Internet qui met en contact internautes et migrants en recherche d’hébergement. « Ils étaient submergés de propositions – je crois me souvenir que quelque 16 000 familles les ont contactés, dont 1 600 en Ile-de-France –, mais l’association n’avait ni les compétences ni les moyens pour vérifier la qualité des logements proposés, le sérieux des propositions ou pour accompagner une potentielle cohabitation. »

Or il s’agit d’éviter qu’un 115 bis des particuliers se constitue, avec toutes les dérives que cela peut inclure. « Parmi les volontaires, il y a des personnes qui voient l’opportunité d’avoir une jeune fille au pair gratuite, voire carrément de se trouver un conjoint », redoute Nadège Letellier. Sans parler des risques auxquels s’exposent des familles qui accueilleraient ainsi un complet inconnu. Dans les premières recherches que la psychologue et responsable effectue auprès des associations déjà investies dans ce type d’action, elle prend aussi conscience des difficultés propres aux demandeurs d’asile ou réfugiés statutaires, qui ont généralement vécu des parcours douloureux, et aux familles d’accueil, souvent très volontaires mais qui ont du mal à trouver les limites de leur investissement et de leur responsabilité. « Il faut absolument éviter à tous de se retrouver en difficulté, et allier nos forces pour proposer un accueil de qualité », résume-t-elle.

Avoir conscience de la culture de l’autre

Le dispositif imaginé au sein du SAMU social vise à sécuriser l’accueil, accompagner la cohabitation au quotidien et proposer un accompagnement pluridisciplinaire à la personne hébergée. L’engagement porte sur un hébergement de trois mois renouvelable trois fois, au bénéfice d’individus ou de couples ayant obtenu le statut de réfugié (ou la protection subsidiaire) et qui disposent d’une allocation de subsistance, voire, souvent, d’un premier emploi. Les prémices du programme sont financées par les fonds propres du SAMU social, un appui du HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), des fondations BNP Paribas et Apprentis d’Auteuil.

Outre sa responsable, l’équipe est constituée de quatre assistants de service social, de deux psychologues et de deux conseillers en insertion socioprofessionnelle. Tous maîtrisent une deuxième langue en plus du français : l’arabe ou l’anglais. « Lorsque je recrute, la notion d’“interculturel” est très importante, précise Nadège Letellier. Tous nos professionnels doivent avoir conscience de la culture de l’autre et savoir se détacher de leurs propres représentations. C’est d’autant plus important lorsqu’on travaille avec des personnes qui ont subi des traumatismes divers. »

Les étapes de l’inclusion dans le dispositif peuvent être nombreuses. « Elan » recrute en permanence accueillants et accueillis. Pour les uns, un premier tri est réalisé dès la prise de contact téléphonique. « Nous expliquons très en détail le dispositif, les engagements que cela implique sur la durée d’accueil, et surtout au niveau de l’insertion dans la famille, dont tous les membres doivent être d’accord », décrit Fouleye Gandega. Pour les autres, plusieurs rencontres sont organisées, intégrant le travailleur social qui oriente la personne réfugiée vers le dispositif. « Ensuite, plusieurs entretiens avec le psychologue peuvent être nécessaires en fonction des difficultés vécues, pour évacuer certaines inquiétudes, évaluer l’autonomie de la personne, s’assurer qu’il n’y a pas de pathologies psychiques et que ce mode d’hébergement convient bien à la personne. »

En effet, tout le monde n’est pas à même de s’épanouir dans ce type de cohabitation. Certains s’adapteront à un accueil dans une famille avec de jeunes enfants, quand d’autres préféreront vivre chez un célibataire. Associer familles et bénéficiaires est donc un travail délicat. Une dizaine d’appariements ont déjà été réalisés depuis le mois de juin, et dix personnes réfugiées ont signé une convention avec le dispositif et sont en attente de la famille adéquate. « Du côté des accueillants, nous avons environ 70 candidatures évaluées pour lesquelles il faut trouver le bon candidat », indique Hamid Hannaoui. Bien que dans les starting-blocks, Nathalie M. devra ainsi probablement attendre un peu. D’autant qu’elle ne souhaite cohabiter qu’avec une femme, alors que les demandes émanent majoritairement d’hommes… Fouleye Gandega avait bien pensé à une candidate en revenant de la première visite à domicile : « Mais ce serait deux femmes avec un fort caractère. Je ne suis pas sûre que cela fonctionnerait. »

Le travail en équipe multidisciplinaire est présent à toutes les étapes du suivi. Les psychologues participent à la première visite à domicile auprès des familles et contribuent à évaluer la place symbolique que la personne accueillie pourra occuper. « Mais sans trop faire le psy, quand même », sourit Hamid Hannaoui. Une fois qu’un réfugié intègre son foyer, l’accueillant rencontre le psychologue une fois tous les deux mois. « Il s’agit de parler des difficultés rencontrées, de voir comment se déroule la cohabitation, poursuit le psychologue. Idéalement, on devrait rencontrer toute la famille, enfants inclus. Mais le plus souvent nous rencontrons le couple ou le célibataire accueillant. » Parfois, il n’y a pas vraiment de difficultés à rapporter. « Mais c’est toujours rassurant pour les familles de savoir qu’il y a un psychologue dans la boucle, observe le professionnel. Ils peuvent aussi nous contacter par e-mail ou par téléphone pour se rassurer sur un point ou un autre. »

« Pour les familles, il s’agit aussi de les aider à trouver la bonne distance », complète Nadège Letellier. La personne accueillie n’est pas un membre de la famille, ce n’est pas un enfant que l’on doit prendre sous son aile, même si des conseils ou une aide sont toujours les bienvenus. « Par exemple, nous avons un monsieur extrêmement brillant, autodidacte, que sa famille d’accueil pousse à entreprendre des études, alors que son objectif à lui est de travailler pour recouvrer son autonomie et intégrer au plus vite son propre appartement. Se sentant redevable, il a du mal à affirmer sa position, et il nous faut travailler aussi avec la famille sur ce sujet. » La question de la dette psychique que peut éprouver la personne accueillie devra être expliquée et travaillée avec chacune des parties. « D’ailleurs, nous avons mis en place une participation symbolique de 30 à 90 € mensuels que le réfugié, en fonction de sa situation, règle au SAMU social, explique Nadège Letellier. Cela peut permettre d’atténuer le sentiment de dette et encourager à l’autonomie. »

Respecter la subjectivité de la personne

Du côté des personnes réfugiées, la présence du psychologue est un peu plus sensible. « Nous tentons de faire en sorte que la personne ne soit pas bâillonnée par un discours institutionnel et que sa subjectivité puisse s’exprimer », évoque ainsi Hamid Hannaoui. De fait, il ne s’agit pas que le réfugié s’engage dans le dispositif pour plaire à son référent social ou satisfaire à un projet qui ne serait pas le sien. Un suivi individuel des accueillis est ensuite engagé. « Je n’ai rencontré qu’une seule personne qui appréhendait ce rendez-vous avec moi, note le psychologue. Il m’a révélé ensuite qu’il avait été marqué par un psychologue qui s’était opposé à son intégration dans l’armée lorsqu’il était plus jeune. »

Une fois les personnes réfugiées intégrées dans le dispositif, elles sont assignées à un travailleur social référent qui les accompagnera dans toutes les démarches sociales, en fonction de leurs besoins. Outre le contrat d’hébergement précaire qui les lie à l’accueillant, une convention signée avec le SAMU social garantit leur suivi social individuel. Avec, au menu, l’ouverture ou le renouvellement de droits, mais surtout les demandes de logement, la procédure DALO (droit au logement opposable)…

« En France depuis déjà de longs mois, beaucoup sont très autonomes », observe Nadège Letellier. A l’instar de Dawa Dzonga, Népalais installé depuis trois mois à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). Professeur de langue tibétaine, il est désormais agent de sécurité dans une multinationale du Web. « Quand je suis arrivé en France, il y a deux ans et demi, j’ai d’abord vécu six mois sous un pont, à Conflans-Sainte-Honorine. J’y ai rencontré l’association La Pierre Blanche, qui m’avait envoyé vivre quelque temps à Périgueux, dans une famille. C’est là que j’ai appris le français. » Revenu à Paris, son titre de résidence en poche, le trentenaire a ensuite suivi quelques formations qui lui ont permis de décrocher un contrat à durée indéterminée, mais pas encore l’appartement tant convoité qui lui permettra d’accueillir enfin sa famille, actuellement en Inde (Dawa Dzonga est marié et père de trois enfants). « J’ai un collègue qui m’a dit que pour 400 € je pouvais avoir 50 m2 à Bobigny, dans le privé », assure-t-il à l’assistante sociale lors d’une visite à domicile pour faire le point sur son accompagnement.Dubitative, la jeune femme le met en garde contre le miroir aux alouettes et lui rappelle que ses démarches lui ont permis de faire valoir son DALO. « Bon, mais je ne comprends pas, nous avons fait le dossier, et je n’ai toujours rien, interroge-t-il, impatient. Si je ne trouve rien, je partirai en province et je prendrai un autre boulot. » Dans ses projets, Dawa se voit bien ouvrir un restaurant tibétain, où sa femme, qui n’a pas eu la possibilité de fréquenter l’école, pourrait utiliser ses talents de cuisinière.

Démêler le parcours d’insertion

« Les personnes réfugiées sont souvent très dynamiques, très investies, observe Nadège Letellier. Elles veulent laisser derrière elles les difficultés qu’elles ont vécues pour aller de l’avant. D’ailleurs, les employeurs ne s’y trompent pas. » Néanmoins, beaucoup ont également besoin d’un accompagnement dans ce domaine, d’où la présence dans le dispositif de deux conseillers en insertion professionnelle. Dont Catherine Daix, qui résume : « Mon rôle est de faciliter l’accès à l’emploi et à la formation. Mais parmi nos accompagnements, j’observe que seules deux ou trois personnes n’ont ni job ni formation en cours. » La jeune femme témoigne d’un parcours professionnel varié – elle a été notamment formatrice en français langue étrangère, conseillère chez Pôle emploi puis en mission locale – et connaît bien le paysage de l’insertion professionnelle. Pour autant, son constat ne signifie pas que sa mission soit sans objet. « Je dois parfois passer beaucoup de temps sur une situation pour tenter de démêler des choses, savoir ce qui a été fait, quelles sont les démarches qui ont été menées à terme ou non. Tout d’abord parce que, faute d’une bonne maîtrise du français, il faut beaucoup se parler pour comprendre vraiment ce que souhaite la personne. » Et de citer ce jeune homme qui disait rechercher une formation en électricité alors qu’en fait il était intéressé par le secteur électronique… « Par ailleurs, dans une sorte d’urgence ou de frénésie, les personnes réfugiées peuvent engager beaucoup de démarches, puis ne pas les suivre parce qu’elles ne voient pas de résultats rapides », poursuit-elle.

Trouver des formations linguistiques occupe également beaucoup l’emploi du temps de Catherine Daix : « C’est compliqué, mais essentiel à l’insertion. Nous avons des personnes qui ont des niveaux d’instruction très faibles ou n’ont jamais été scolarisées. Les 200 heures de cours proposées par l’OFII [Office français de l’immigration et de l’intégration] ne suffisent vraiment pas. » D’autres personnes souffrent, quant à elles, de l’absence d’équivalence des diplômes obtenus dans le pays d’origine. Tout ceci expliquant que la plupart des personnes réfugiées occupent des emplois qui ne correspondent pas à leur qualification de départ. La conseillère tente justement de garder en perspective un rapprochement avec la position professionnelle perdue dans le parcours de migration. « Ce n’est pas simple. J’essaie de répondre à la demande de court ou de moyen terme qui est de se former pour trouver un travail, peu importe lequel, tout en entretenant le lien avec le projet professionnel initial de la personne. »

L’équipe est largement convaincue de l’intérêt du dispositif. « On voit les personnes évoluer très favorablement. C’est frappant dans le niveau de langue, dans la facilité à entrer en contact avec nous », résume Fouleye Gandega. Même s’il est difficile de tirer des conclusions après moins d’une année d’existence et avec seulement une dizaine de personnes accueillies et encore aucune sortie du dispositif, tous sont optimistes. « C’est un modèle d’accueil dynamisant, sécurisant et vecteur d’intégration, s’enthousiasme Nadège Letellier. On observe une intégration des codes sociaux et culturels de la société d’accueil et un épanouissement notable. Après tout, peut-être que l’on dépasse là les limites des modèles d’hébergement et d’accompagnement existants ? D’ailleurs, à terme, je suis persuadée qu’on pourra l’étendre à d’autres publics – femmes victimes de violences conjugales, jeunes en rupture… » Pour l’heure, le dispositif a déjà été retenu dans le cadre d’un appel à projets(3) du ministère du Logement et de l’Habitat durable. Un financement supplémentaire qui l’aidera à se développer pour atteindre plus de 330 personnes accompagnées d’ici à deux ans.

Notes

(1) Dispositif « Elan » : contact.elan@samusocial-75.fr – Tél. 06 16 63 27 82.

(2) Voir ASH n° 2975 du 16-09-16, p. 22.

(3) Sur toute la France, 11 associations ont été sélectionnées pour une expérimentation de deux ans permettant d’accueillir 1 361 réfugiés, dont 846 en Ile-de-France. Quatre d’entre elles (Singa-Groupe SOS, association La Pierre Blanche, SAMU social et Horizon 77) œuvrent en Ile-de-France.

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