« Lors d’une consultation réalisée au cours de mon internat de médecine générale, je devais réaliser un check-up santé d’une fratrie de trois jeunes enfants nouvellement placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) de Meurthe-et-Moselle. Que faire ? Comment ? Où les orienter ? Quand ? Face à l’étendue de mes questions et à la volonté des services de protection maternelle et infantile (PMI) et de l’ASE de trouver des améliorations au suivi de la santé des enfants de moins de 6 ans, ma thèse(1) est née.
Grâce à ce travail, j’ai pu rencontrer différents professionnels de santé et de la protection de l’enfance. En effet, le parcours d’un enfant suivi par l’ASE n’est malheureusement pas toujours un long fleuve tranquille du fait de son histoire ou de sa prise en charge qui fait intervenir différents professionnels, lieux de vie, écoles… Comment pouvais-je bien soigner ces enfants, moi qui n’avais eu aucune heure de cours sur cette population que je pressentais fragile ?
Paradoxalement, lors de mon étude, il m’est apparu que, sur le plan de la santé, ces enfants étaient suivis (visites médicales, suivi psychomoteur et/ou orthophonique, suivi CMP/CAMPS). Le problème majeur, et qui revenait régulièrement lors des entretiens avec les travailleurs sociaux, les psychologues de l’ASE, les assistants familiaux, les médecins, était la coordination des soins et le partage des informations importantes. Sur ce point-là, je ne pouvais être qu’en accord avec eux, moi-même n’ayant même pas envisagé, lors de la consultation de la fratrie, d’en référer à un membre de l’ASE.
En même temps, coordonner les soins, partager les informations, travailler ensemble demandent du temps. Or c’est un problème récurrent en médecine générale libérale : le manque de temps. Alors, en tant que médecin, j’étais vigilante sur tout ce qui était organique : l’enfant a-t-il eu sa consultation chez le cardiologue ? Ses lunettes sont-elles adaptées à sa vision ? … Mais quid du suivi psychomoteur, psychologique, orthophonique ? A la limite, je savais qu’il était suivi, mais ses progrès ? Ses difficultés ? Rien ou si peu de communication entre les différents intervenants.
Il apparaît donc indispensable que les soins soient coordonnés par un médecin référent dédié, qui gardera une vision globale du suivi de l’enfant. Cela évitera de perdre du temps en cas de difficultés ou de nécessité d’intensifier (ou d’alléger !) le suivi de l’enfant. En outre, le projet pour l’enfant doit comporter un volet « santé »(2), afin de fixer et de réévaluer régulièrement avec les professionnels les besoins et les progrès de l’enfant. L’objectif, en effet, est de partager les informations que chacun accumule pendant plusieurs mois !
L’absence de circulation des informations entraîne des arrêts de suivi (notamment psychologique) ou des suivis excessifs (trois consultations pour un même problème orthopédique bénin, l’enfant ayant changé trois fois de mesure ASE…), des épuisements des assistants familiaux et donc de leurs familles (épuisement et difficultés conjugales chez un assistant familial qui découvrira à la fin du placement que l’enfant avait subi des violences sexuelles dans sa famille biologique). Il faut que les informations circulent mieux entre les professionnels, mais aussi avec les parents. En effet, si ces derniers investissent la mesure ASE, le suivi médical et paramédical, l’enfant, qui le ressent, sera plus à même de progresser et donc de s’épanouir.
Mais comment échanger si nous ne savons pas avec qui nous travaillons ? Une travailleuse sociale qui s’était rendue à une réunion médicale pour un enfant qu’elle suivait avait été ébahie par tout ce que les médecins avaient pu mettre en place. Quant à moi, j’étais ébahie de voir tout ce que les travailleurs sociaux, psychologues, médecins de CMP et de PMI pouvaient mettre en place pour ces enfants !
Lors de ma formation initiale, je n’ai eu aucune heure de cours sur l’ASE, une heure sur la PMI, une heure sur la maltraitance (et non l’enfance en danger). Il m’a fallu un an et demi de travail pour découvrir dans quel milieu pouvaient évoluer mes jeunes patients. Notre formation en tant que médecin est complète sur bien des points mais nous sommes tellement démunis dès qu’un patient sort du cadre de nos études. Alors, formons-nous, formez-nous ! »
(1) Sur le suivi de santé des enfants de moins de 6 ans bénéficiant d’une mesure d’ASE en Meurthe-et-Moselle.
(2) Une recherche financée par le Fonds CMU et le défenseur des droits met en évidence que l’information relative à la santé « est lacunaire » – Voir ASH n° 2966 du 24-06-16, p. 17.